Fiévreuse plébéienne, le dernier livre d’Elodie Petit, est un texte à lire de préférence avec les mains sales. Edité chez Rotolux Press et relié à la main, c’est un livre qui nous plonge dans une esthétique énergique, rancunière, une écriture en giclures, en dé-charges poétiques.
Du bout des doigts, les pages se tournent comme on gifle le visage souriant et suppliant de l’amante SM : « J’aime quand tu passes la main dans mes cheveux assez violemment pour que mes yeux mouillent ». On a entre nos main un livre-objet incandescent qui nous préoccupe, il faut trouver à le déposer de nos mains à un corps.
Mais pourquoi fiévreuse plébéienne ? Fiévreuse, parce que c’est une photographie de ce moment où l’esprit, par les sens, est en surcharge. C’est le récit de l’émotion après le sexe qui nous fait plonger du charnel au vide. Les mots ne sont-ils pas les seuls à pouvoir capturer encore un peu, l’amante qui se prépare à partir ?
Plébéienne parce que « Je n’ai plus le temps de me consacrer à rien, à part à la prochaine baise et comment gagner bien un smic plèbe, je suis crevée et morose ».
Elodie Petit est un des rejetons de Kathy Acker, la cheffe de fil d’une littérature expérimentale américaine morte en 1994 à 51 ans, que Sarah Schulman décrivait comme une fille « qui savait qu’elle avait à dire quelque chose d’important à dire , qui aimait le sexe et la musique et qui refusait d’être obéissante ».
Dans les sous-bois, « le mec était adossé à un arbre la nuit commençait juste à tomber il a tourné trois fois autour de l’homme et du tronc » écrit Elodie Petit, qui se pose ici dans un héritage littéraire, trash, sexy et sensible.
Elle ressuscite des auteur.e.s, « Arthur Rimbaud la gouine », « bébé », « Johnny château », « Antonin Artaud », « Kathy Acker », les transforme en protagonistes et leur fait vivre l’expérience provocante et transformante de la sexualité. Iels sont hybridé.e.s dans un mélanges de genres et de sexualités irrésolvables, quoique à la tendance plutôt gouines-avaleuses-éjaculatrices.
je m’appelle Arthur Rimbaud
et je suis gouine
une vraie gouine qui aime l’autre trempée au bout de mes doigts serrés
ma peau qui colle aux leurs
ma chatte qui suffoque leurs cuisses
j’aime garder ma veste quand je baise
j’aime quand ça répond direct en face de moi
j’imagine serrer ta nuque très fort pendant que tu me suces
ma veste toujours sur mes épaules
mon poing à l’entrée de ton cul
tu t’ouvres trempée et impuissante
tu ris
Arthur Rimbaud
Une façon de situer sa poésie, à la fois en héritage littéraire et pop, et dans une position d’énonciation trouble : qui parle ? Parce qu’en effet, comme l’écrit la poète, : « 1. Il faut se souvenir que tout est toujours emprunté aux autres », « 6. Le plagiat est bon, il faut veiller à ce que soit engagé à des fins politiques ».
C’est le corpus qui devient corps. Cette affirmation du plagiat amène une conception de la création non plus comme production de formes nouvelles mais comme une hypertextualité collective et « recombinatoire ».
Qu’est-ce de la poésie d’Elodie Petit ? Un corps – de texte – slogan. Un engagement radical du sujet par son corps.
je ne suis pas alcoolique
j’ai peur de la mort
le sexe à la vie m’attache
c’est une histoire de fluide
je ne veux pas de chamane à dix mille
balles
je ne veux pas léguer mon existence
au travail salarial
je crois en la séduction permanente
à comment tu t’habilles pour
que je te déshabille
j’espère qu’il fera chaud et que ton cul
sera salé
que chacune se mettra à niquer
puissamment et fort
Arthur Rimbaud
Le sexe queer, ici, c’est habiter une énergie libidinale prolétaire et révolutionnaire. L’espace social est perçu à travers son regard intensément subjectif et outillé par son désir, sa sexualité, son identité gouine, dont émerge une critique. La poésie érotique se pose en alternative à la captation de nos subjectivités par le marché néolibéral. La joie de vivre érotico-politique en réunion est entendue comme un des outils pour sortir le désir de la machine capitaliste qui le produit :
mardi 12 novembre, 11h42
objet : mon cul s’ouvre à la révolution
Bébé,
j’ai pensé à une soirée poèmes, les gentes
seraient présentes et liraient des textes
à voix haute.
c’est simple, mais tout le monde
ne le fait pas
imagine – qu’est-ce que ça crée ?
des personnes vivantes qui écrivent et
qui se rassemblent dans un même espace
afin de dire tout haut les singularités
de la langue et l’envie de voir le quotidien
bouleversé
le but ultime de cette rencontre ce serait
le RENVERSEMENT […]
Un renversement qui s’est déroulé dimanche 27 octobre au Bar le 17, où Elodie organisait à l’occasion de la sortie de ce livre, une lecture-sauterie-gouinerie révolutionnaire. On espère qu’il y en aura d’autres. Ramène ta cannette !