Comment écrire sur l’apparition du VIH ? Comment parler de cette période si particulière, si douloureuse et encore très floue pour beaucoup ? Comment en parler en tant que jeune homme ayant eu 18 ans en 1981 et en tant que scénariste gay d’aujourd’hui ?
Toutes ces questions se sont imposées à Russell T. Davies au moment de concevoir sa dernière série, It’s A Sin, qui suit trois jeunes homos londoniens et leur rapport à la maladie. Dans une interview, l’auteur anglais (surtout connu pour son travail sur Queer as Folk et Doctor Who) exprime la solution qu’il a trouvée à toutes ses interrogations : parler de la mort mais « écrire tout ce qui vient avant »
C’est pour cette raison qu’It’s A sin prend des airs de série teenage assez classique : on découvre plusieurs vingtenaires faire face à la vie et s’émanciper de leurs origines sociales. Ce qui va donner authenticité à cela, fougue à cela, c’est la découverte pédée.
On voit des jeunes hommes insouciants (joués par Olly Alexander et Omari Douglas) découvrir une sexualité qu’ils peuvent enfin vivre loin du regard de leurs parents. Les liens se nouent dans les lits et les amants deviennent de véritables amis. L’homophobie est présente mais à faible dose : l’écriture ne la nie pas mais elle intensifie tellement la joie de se découvrir que la société semble rendue muette par la fougue des protagonistes.
L’allure de série vingtenaire est importante car elle instaure un lien automatique avec les spectateurs les plus jeunes. L’ancrage temporel est là mais assez léger pour qu’on puisse s’identifier sans efforts. La vivacité et la joie initiale des personnages est communicative, complètement semblable à celle des jeunes pédés de maintenant. Une façon très belle et très intelligente de la part de Russell T. Davies de faire lien avec une génération qui ignore parfois beaucoup de la réalité gay des années 80. Dans la série, les personnages ferment les yeux face à la maladie, puis réalisent la vérité et s’engagent avec crainte. Une façon pour l’auteur de reconnaître ses pairs, d’aujourd’hui et d’hier.
L’arrivée du VIH est alors dépeinte comme une vague qui monte insidieusement : l’épidémie frappe de façon méthodique au cours des épisodes, comme des coups de couteaux. Les changements de tons sont brutaux, dévastateurs grâce à la capacité de la série à gérer son tempo avec intelligence.
On ne peut pas vraiment regarder It’s A Sin pour sa valeur pédagogique : elle n’apprend pas grand-chose de nouveau sur la période et elle n’est pas là pour ça. Toutefois, le fait d’avoir un aperçu britannique de cette époque est important, face à des œuvres majoritairement américaines sur le sujet. On notera aussi la présence de personnages racisés, dont les enjeux raciaux viennent interagir avec ceux gays.
It’s A Sin est un surtout un hommage à l’amitié entre pédés. Un hommage aux garçons impétueux, désireux de dévorer une vie qui s’est terminée de façon abrupte. Une lettre d’amour à Jill, interprété par Lydia West, la meilleure amie de Russell T. Davies, qui a été présente au chevet des malades lorsqu’ils étaient jeunes. Une ode à la façon dont la solidarité queer sait faire unité face à tant d’obstacles : les familles homophobes, les angoisses, la maladie, les gouvernements lâches, le capitalisme, la brutalité policière… Cet hymne de vie ne s’interrompt qu’à un seul instant, crucial et politique, où l’auteur clame haut et fort son message.
Russell T. Davies raconte la grande histoire par les récits individuels et accomplit ainsi un hommage tout personnel : celui de donner des visages aux disparus afin de célébrer leurs petites réussites, leurs grands idéaux et une flamboyance qui se transmettra à celles et ceux qui désirent se souvenir d’eux.