Samedi 11 mai à l’aube, le Witch Bloc Paris s’est infiltré à l’intérieur du plus du Garigliano, soit le plus grand pont de Paris, afin de dérouler une banderole et dénoncer la loi de pénalisation des clients passée en 2016 et d’alerter sur la criminalisation et la précarisation des travailleurs et travailleuses du sexe en France. On a décidé de publier ci-dessous leur communiqué.
Décriminalisez le travail du sexe : l’État, le stigmate et la loi du silence tuent
par le Witch Bloc Paris
Aujourd’hui, samedi 11 Mai 2019, nous accrochons ce message au pont du Garigliano en réclamant que l’alerte soit enfin entendue. Nous nous adressons aux gouvernements français et internationaux, aux journalistes, à chacun·e : les vies des putes comptent, ne soyez plus leurs bourreaux.
Contexte politique et législatif
Le travail du sexe correspond à la vente d’un service sexuel et comprend de nombreux métiers. Escortes, performeur.euses porno, camgirl, camboy, domina, masseuses, modèle érotique, strip-teaseuses, putes, prostitué.es… Derrière tous ces termes une même réalité : des conditions de travail et de vie déjà précaires rendues insupportables par les politiques répressives et abolitionnistes (qui voudrait abolir le travail du sexe) menées en France, en Europe et dans le monde ces dernières années.
Pour rappel, le 1er février dernier, le Conseil Constitutionnel rejetait la Question Prioritaire de Constitutionnalité qui avait été posée par neuf associations et des travailleu·r·se·s du sexe, concernant la loi de 2016 qui instaurait en France la pénalisation des clients de la prostitution. Les « sages » ont donc validé la législation abolitionniste et les violences, contaminations, précarisation et parfois même morts des travailleu·r·se·s qui en découlent.
Ces lois, calquées sur le modèle législatif suédois, visent à faire disparaître les travailleu·r·se·s du sexe en les plaçant comme vendeu·r·se·s de services interdits dont les clients peuvent être condamnés. Cela provoque une diminution du nombre de clients qui exposent les travailleu·r·se·s à une concurrence plus forte, donc une baisse de leur pouvoir de négociation et de décision, et une plus grande précarité, plus de contaminations au VIH, de violences et de morts. Pénaliser le client est ainsi non seulement une atteinte à la liberté de chacun·e de disposer de son corps mais a surtout des effets graves sur la vie des travailleu·r·se·s du sexe.
Ce texte de loi qui se voudrait humaniste et protecteur des travailleu·r·se·s du sexe, a déjà des conséquences dramatiques :
▪️78,2% des travailleur·se·s du sexe constatent une baisse de leurs revenus
▪️42,3% constatent une augmentation des agressions physiques
▪️38 % constatent qu’il est devenu plus difficile de négocier le port du préservatif avec leurs clients.
Résultats de l’enquête de Médecins du Monde France du 12/04/2018 sur les impacts de la loi « contre le système prostitutionnel » 2 ans après son passage.
Il en va de même pour les lois encadrant le « proxénétisme ». Censés protéger les travailleu·r·se·s de l’exploitation, elles considèrent en fait toute personne bénéficiant directement ou indirectement des revenus d’un·e travailleu·r·se·s du sexe ou bien vivant sous le même toit comme son proxénète. Ainsi, ces lois constituent une fois encore une entrave à l’exercice du travail du sexe en plaçant dans l’illégalité toute personne fournissant une aide à un·e travailleu·r·se·s. Toute forme d’aide extérieure ou d’auto-organisation étant interdite, ces dispositions ne sont qu’un autre moyen d’isoler et faire disparaitre les travailleu·r·se·s du sexe.
Sous la pression économique qui nous pousse à travailler pour pouvoir simplement nous loger et nous nourrir ; Et face au constat de la sexualisation de nos corps, certain·e·s décident d’en tirer un profit économique pour pouvoir vivre. Cette société raciste et classiste pousse certain·e·s à se créer un espace d’existence économique grâce au travail du sexe avant de stigmatiser cette profession.
Le travail du sexe ne crée pas la sexualisation des femmes, des personnes trans, des personnes racisées et de toute autre personne qui s’extrait de la norme, il en découle. Tant que nous ne pourrons pas mener nos vies sans devoir être producti·f·ve·s et tant qu’existera un regard nous fantasmant, le travail du sexe existera. Si vous souhaitez l’abolir, abolissez le patriarcat, le capitalisme et les frontières.
Perspectives internationales
Aux Etats-Unis les lois SESTA et FOSTA, qui font partie des « Lois pour la Communication Décente » (aout 2018), visent à « stopper le trafic sexuel en ligne » et « à détruire les outils du trafic sexuel ». Ces lois ont fait fermer de nombreux sites d’escorting (Backpage), des sections de sites internet (Vivastreet, Craiglist), et mis en place la censure sur de nombreux autres (Skype, Paypal, Instagram, Twitter, Reddit..). Les conséquence sont désastreuses des USA jusqu’en France où certains de ces sites étaient utilisés quotidiennement comme outils de travail.
Aux Etats-Unis comme en France, la morale abolitionniste « féministe » – proposée par des femmes majoritairement bourgeoises, blanches, cisgenres et hétéros – condamne massivement les travailleu.r.euse.s à la précarité et au danger. Cette hypocrisie classiste et moraliste qui entoure le travail du sexe, amplifie les situations à risques que les stigmates créaient déjà.
Les travailleur.eu.ses du sexe américain.e.s dénoncent massivement la dangerosité de ces lois depuis qu’elles ont été annoncées, et aujourd’hui comptent leurs morts. Paradoxalement, ces lois ont augmenté le nombre de travailleur.euse.s ayant recours à un proxénète suite à des conditions de travail plus dangereuses qu’avant.
Et d’autres pays comme le Brésil, la Suède et tant d’autres ont instauré des systèmes abolitionnistes aux conséquences tout aussi dangereuses.
Le 17 août dernier, Vanessa Campos, femme trans péruvienne et travailleuse du sexe en France était assassinée sur son lieu de travail, au bois de Boulogne. Souvenons nous d’elle, et de tous.tes cell.eux dont nous ne connaîtrons jamais le nom. Si elle est devenue un symbole c’est aussi car face à la putophobie policière, bien des agressions, des viols et des disparitions ne sont jamais dénoncées. Il est grand temps d’entendre la parole des travailleu.r.eu.ses du sexe.
Revendications
Nous sommes contre le travail sous toutes ses formes. Nous nous opposons à l’idée que la valeur d’un.e individu et son droit à une existence libre soient conditionnés par sa productivité économique. Le travail est le résultat d’une pression sociétale qui ne laisse d’autre choix que de vendre notre force physique et mentale, nos connaissances et nos capacités afin de survivre.
Nous nous opposons à l’hétérosexisme et au patriarcat. Dans une société basée sur une assignation à un genre et une hiérarchisation de ces genres en termes de droits, possibilités, attentes et contraintes (y compris sur les plans amoureux, sexuels et relationnels), il ne peut exister de rapports totalement sains entre une femme et un homme. Toute relation hétéro se place dans le cadre du patriarcat qui teinte directement ou indirectement, les rapports entre la classe des hommes et des autres.
Il est urgent aujourd’hui de détruire le stigmate qui entoure le travail du sexe et ses travailleu·r·se·s. De communiquer et d’écrire sur la question, d’amplifier la voix des travailleu.r.euse.s. Notre vision du travail du sexe, ses représentations sociales et culturelles, notre langage, doivent être reconstruits afin de prendre en compte toutes ces réalités. Nous devons collectivement revendiquer une prise de conscience de la part de nos représentant.es politiques et médiatiques. Toutes nos actions comptent pour déprécariser et mettre en sécurité les travailleu·r·se·s du sexe. Si votre voisin·e en est un·e, assurez lui votre soutien en cas de danger plutôt que de vous offusquer ou de la/le dénoncer.
Il est également urgent de repenser la législation actuelle qui met en danger les travailleu·r·se·s du sexe (les rafles policières aux bois de Boulogne, Vincennes et à Belleville en sont d’autres exemples), criminalise l’entraide, et tue sous couvert de bienveillance. Arrêtez les agresseurs plutôt que les clients, encouragez la solidarité et facilitez l’accès aux papiers afin d’aider à la dé-précarisation. Renseignez vous sur les conditions de vie des travailleu·r·se·s et parlez en autour de vous. Considérez les travailleu.r.se.s du sexe comme des personnes et agissez avec elleux avec respect. Découvrez les syndicats et associations (Strass – Syndicat du Travail Sexuel , Le bus des femmes, Les Roses d’acier, Acceptess Transgenres à Paris, Association Grisélidis à Toulouse, Paloma Nantes, UTSOPI à Bruxelles…) autour de vous et aidez les.
La date de cette action n’a pas été décidée au hasard, c’est celle de la date parisienne du Festival SNAP (Sexworkers Narratives Arts & Politics), premier festival en France créé exclusivement par des travailleu·r.se·s du sexe. L’auto-représentation est primordiale et la parole des concerné·e·s la première à consulter & la plus précieuse pour s’informer. Ne parlez plus d’elleux sans les connaître, sans les avoir écouté·e·s.