La Fraicheur : « La danse et les retrouvailles rituelles d’une nuit en club apportent un moment de soulagement collectif »

Aujourd’hui, vendredi 10 mai, La Fraicheur sort un nouvel EP sur InFiné. On la retrouve donc un an après la sortie de son premier album avec un son plus distordu et tranchant, souvent énervé et hurlant, construit autour d’une énergie libératrice, celle de l’oubli à travers la danse et de la techno. Nous avons discuté avec elle.

Est-ce que tu peux nous parler un peu du nom de cet EP ? Pourquoi l’avoir intitulé Weltschmerz, qui signifie “douleur du monde” en allemand ?

Le Weltchmerz c’est une notion difficilement traduisible littéralement. Plus que la douleur du monde, c’est plutôt cette tristesse aiguë qu’un humain ressent à voir un décalage entre ce que le monde est et ce qu’il devrait être. C’est la frustration née de voir son potentiel gâché. C’est un sentiment avec lequel je me (dé)bats depuis quelques temps maintenant mais n’avais jamais trouvé comment le verbaliser aussi justement avant cette perle du vocabulaire allemand.

Tu es une artiste engagée, est-ce que la techno permet d’apaiser la “douleur du monde”?

Je ne sais pas si la techno permet d’apaiser la douleur du monde mais clairement elle m’aide à apaiser la mienne. La musique, quel que soit le genre, permet cela, aux musicien.nes qui la créent comme aux auditeurs/trices qui l’écoutent. Produire de la musique de manière générale et de la techno en particulier me permet d’extérioriser des sentiments négatifs que je trouve envahissants et lourds – le dégoût, la colère, la frustration – pour ne pas qu’ils polluent mon quotidien, mon état d’esprit ou ma personnalité, et garder un cap optimiste et volontaire. Je pense que l’énergie brute de la techno me parle particulièrement en ce moment, et qu’il y a une raison pour ces fameux “renouveau” ou “démocratisation” que certains bashent en disant qu’elle devient “mainstream”. La société de manière générale est asphyxiée par des états policiers ultra-sécuritaires, un capitalisme néolibéral à son stade le plus extrême qui détruit tout sur son passage et une planète qui crève sous nos yeux. Même les gens privilégiés (comme les hommes blancs cis et hétéros) voient l’apocalypse climatique arriver à grand pas. Alors quand même les gens qui n’ont rien à craindre partagent cette même angoisse de fin des temps, c’est représentatif de la situation dramatique dans laquelle l’humanité dans son ensemble se trouve et on a besoin d’un exutoire. Pour moi, la danse et les retrouvailles rituelles d’une nuit en club servent à ça : à apporter un moment de soulagement collectif. Et la techno est le meilleur vecteur que j’ai trouvé et que j’exploite.

© Christophe Mauberqué

Le deuxième morceau s’intitule “Misanthropy” pourtant, ta démarche semble tout sauf celle d’une misanthrope. C’est un peu déroutant et paradoxal, non?

C’est vrai que je ne suis pas foncièrement misanthrope mais je vais t’avouer que j’ai eu une période assez noire à l’automne / hiver dernier suite à la sortie de mon album et au lancement de mon fundraiser. Je me suis retrouvée alors la cible de trolls qui ont débarqué dans mes DM avec une violence à laquelle je ne m’attendais pas et qui a été difficile à gérer émotionnellement. On a beau savoir qu’un troll n’est là que pour pourrir ta vie et que son avis est sans fondement et n’a pas d’importance, la laideur gluante des insultes et des menaces qui rentrent dans ton quotidien est difficilement esquivable.

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HI! for the ones who’ve been following i thought i’d give you an update on the fundraiser, for the newcomers, here’s a little something for you to catch up! When it was time to make merch, i couldn’t imagine going for the self absorbed kinda product the industry is used to, instead i started a fundraiser from Tshirts with feminist messages for the womxn* in the electronic music scene and beyond so they could disrupt the conversation by reclaiming space visually. All proceeds, that means 100% of benefits, are donated to Non Profit Organisations fighting for women’s rights, trans people rights (especially low income trans people and trans people of color), LGBTQI rights, asylum seekers and refugees. They are printed on Organic and Fair Trade apparel because you can’t have a feminist message and then exploit women in the garment and agriculture industries. Orders over here : https://lafraicheur.bandcamp.com/merch T-shirts are 25€ and go from XS to 3XL. This is a double threat kinda tool. It’s meant to raise awareness, both of the sexism in the scene and of the strength of all the womxn* that are an inspiring part of it, even when kept invisible. This is a tool to make them visible. And it’s meant to raise funds for NGOs that work and fight for a better more progressive society and help humans on their way towards it. The NGOs in France, the USA and Mexico that have received donations so far are : BAAM (Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants) / FR RAJFIRE (Réseau pour l’Autonomie des Femmes Immigrées et Réfugiées) / FR Centro Cultural Jauria Trans / MX Sylvia Rivera Law Project (SRLP) / US UltraViolet / US Collectif Féministe Contre le Viol / FR #feminist #fundraiser #intersectionalfeminism #intersectionality #queer #lgbtqi #lgbt #lgbtq #feminism #femaledj #femaleproducer #nonbinary #fuckthepatriarchy #byepatriarchybye #acid #techno #acidtechno

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Et puis pour être complètement honnête, j’ai aussi été très déçue par certaines réponses, ou plutôt l’absence de réponse de certains humains de ma communauté queer autour de mon fundraiser. J’ai reçu le soutien en privé de personnes qui auraient pu le relayer, de certaines personnalités internationales d’un niveau de célébrité (au dessus du 75k followers) qui auraient pu changer la donne et qui d’un côté m’écrivait “wow! this is so great! full support!” et quand tu proposes effectivement un soutien plus actif, même limité à une story instagram, il n’y a plus personne. Les mêmes personnes qui ensuite postent en continu les mauvaises nouvelles de Trump qui menace les droits des trans ou le droit à l’avortement et alors tu te dis “mais putain! on peut pas juste passer son temps à se plaindre et pointer du doigt tout ce qui est fucked up et ensuite ne rien faire quand on te propose une solution”. Quand tu te dis que ça prend 12 secondes de faire un post sur les réseaux sociaux qui peuvent toucher près d’un million de followers et que ça n’est pas fait, ça passe mal.

Du coup, pendant quelques mois, ça a été dur de ne pas voir la nature humaine comme vaine, égotique, flemmarde, superficielle ou simplement laide, méchante, lâche et dangereuse.

Le son est plus vénère, avec des cris, parfois. La techno, c’est un bon exutoire face aux violences ?

Oui, la techno offre à mon sens un accès direct à ces sentiments qui nous bouffent tous, les millenials qui ont grandi dans la précarité et la génération d’après qui est née direct dans cette narrative de fin du monde. Comment respirer dans cet environnement? On a besoin d’expulser ça et la techno permet d’ouvrir les vannes. Sa rudesse, son absence de compromission, son coté hypnotique, ses rythmiques ravageuses, ses sonorités parfois brutales permettent de mettre à bas les barrières conscientes de bienséance que la société nous a inculqué, permet beaucoup plus facilement d’entrer dans cet état de transe où tu es pris de court par la musique et tu te mets à tout lâcher de manière organique, naturelle, automatique. C’est une musique qui te fait lâcher prise et te prend la main, te permettant ainsi de te laisser emporter et d’oublier le monde et ses angoisses, le temps de la danse ou de l’écoute.

Tu enchaines les dates, comment trouves-tu le temps de composer et de produire ?

Ça a été beaucoup plus dur cette année de produire autant que j’aurais voulu et ça a été une nouvelle frustration à gérer, mais que je ne regrette pas parce que j’ai bossé de longues années pour en arriver là où j’en suis donc je continuerais à aller à chaque gig qu’on me propose. Ça nécessite juste des changement pour s’adapter à cette nouvelle étape de ma vie. Le premier changement, c’est ma manière de composer. Je découpe maintenant mon temps de composition entre mon studio à Berlin, où j’improvise sur mes synthés, où j’emmagasine un paquet de sons, d’ambiances, d’idées, et les moments libres en tournée, dans les hôtels, les aéroports ou les trains où je travaille à la structure, la mise en forme de mes idées sur mon ordi. Le second changement est plus drastique et arrive dans les mois qui viennent : je déménage à Barcelone pour être entourée de plus de lumière, élément nécessaire à la productivité. Quand tu passes au max entre 10 et 15 jours par mois chez toi, et que tu vis et bosses la nuit et donc te lèves tard, habiter dans une ville comme Berlin ou pendant de longs mois il fait nuit noire à 16h et donc tu ne vois jamais la lumière du jour, c’est rédhibitoire.

Tu vas bientôt jouer au Rex, c’est une salle un peu mythique. Comment tu te sens avant cette date ?

Je me sens bien ! Mais je me sens bien avant chaque gig. Avant et pendant et après d’ailleurs, héhé. Mixer est ma passion première et c’est pas anodin que de tous les métiers que j’ai pu exercer en parallèle ces 15 dernières années, ça soit le seul que je n’ai jamais arrêté. Ca va sonner hippie à souhait mais c’est pour moi un moment de communion, un moment de délivrance, un moment d’expression personnelle et identitaire, un exercice de service social et de cohésion sociale, une montée d’adrénaline incroyable. Donc le Rex je suis prête à le retourner.

La Fraicheur jouera au Rex Club le 25 mai. D’ici là, vous pouvez écouter son nouvel EP Weltschmerz, sorti chez InFiné le 10 mai.

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