Le sexe gay est un sport de combat

Il y a quelques années se sont installées dans mon corps ce qu’on appelle des douleurs neuropathiques persistantes, et avec elles, pendant la période « d’errance médicale » qui accompagne bien souvent ce type de pathologie, la confirmation d’une impression déjà grandissante depuis longtemps : le sexe gay n’est pas fait pour les petites choses fragiles !

Illustration : Fb -Raphaël Eryepsobla ou @rafofolle sur Instagram


Alors que nous envisagions une « collaboration », un réalisateur historique de porno gay m’avait un jour averti que, dans ses films, les passifs devaient avoir l’air de déguster plutôt que de s’amuser. Avoir l’air de prendre du plaisir à se faire enculer, ça « faisait folle ». Dans le sexe comme à la salle de muscu, ce serait donc no pain no gain. Surtout pour les passifs. Le sexe gay devrait dégager l’énergie d’un sport de combat, et non celle d’un ballet.

Avec ma fragilité nouvelle, actif ou passif, les attentes de mes partenaires potentiels me sont apparues si élevées en termes de performances, de souplesse, d’endurance ou de disponibilité des orifices, qu’à peine l’app de rencontre ouverte, j’avais déjà le nerf sciatique en feu. D’autant qu’il semblait être devenu impossible de me faire enfiler sans me retrouver à un moment ou l’autre avec les genoux derrière les oreilles. Il fut un temps où cette position me donnait l’impression d’être Brent Corrigan, et j’en étais ravi. Mais avec un corps marqué par la douleur, elle me faisait surtout penser à mon prochain rendez-vous chez l’ostéo, et j’en ai vite eu par-dessus la tête, si je puis dire. D’autant que ce type de situation paraissait être devenue presque non négociable. Baiser est un show et plutôt se déboîter la hanche que décevoir le public !

Evidemment, c’est ok de vouloir s’envoyer en l’air comme une porn star, si c’est fun, qu’on est tou.te.s d’accord et qu’on a les ischio-jambiers pour ça. Mais à ce moment-là, je n’avais plus ni l’envie ni la force de m’imposer ce rôle sexuel, avec ses étapes inévitables et ses performances à atteindre. Cela ressemblait vraiment trop à du sport ou du travail, et s’accompagnait souvent d’un esprit de sérieux terrible, comme si un jury comptait les points.

J’adore le sexe. J’y ai consacré énormément de temps et j’ai pratiqué sans retenue avec la furie exploratrice d’une petite fouine en rut. Mais mes limites physiques ce sont accompagnées d’un sentiment d’isolement grandissant, car je me suis mis à éviter de baiser, par peur de me faire, ou qu’on me fasse mal. Je trouvais rarement, chez mes partenaires occasionnels, la patience et l’écoute qui auraient permis que je me sente en sécurité, dans une rencontre entre deux corps avec leur sensibilité unique. « Maiiiis non ! » me suis-je souvent entendu dire quand je signalais à un de mes amants qu’il me faisait mal, et je me sentais obligé d’endurer pour ne pas gâcher le show, espérant les félicitations du jury, espérant rester consommable, dans une économie du sexe gay où j’avais l’impression d’avoir perdu de ma valeur. But not anymore darling, enough is enough is enough, comme disent Barbra et Donna.

Car il y a un heureux épilogue à cette histoire : j’ai fini par rencontrer un garçon dont la douceur et la bienveillance m’ont permis de me sentir en confiance. Il a entendu mes besoins, et s’est montré un compagnon de jeu tendre et curieux dans mon cheminement à travers des formes de sexualité nouvelles pour moi. Nous nous sommes autorisés les longs câlins, les massages, le sexe sans pénétration… Et il ne m’a jamais demandé de faire quelque chose que je ne sentais pas, et n’a jamais exprimé ni frustration, ni jugement face à mes limites. Si j’en crois les témoignages de personnes vivant avec des douleurs chroniques que j’ai pu lire sur les internets, j’ai eu beaucoup de chance. Ou, plutôt, j’ai eu exactement ce que je méritais. La confiance revenant, (et parce que j’ai fini par trouver un kiné qui savait ce qu’il faisait), il nous arriva même parfois de baiser comme des porcs.

Car enfin, il ne faudrait pas me croire anti-baise, moi qui serait plutôt pour. Mais avez-vous déjà ri pendant le sexe ? À cause d’un bruit bizarre ou d’une maladresse ? Connaissez-vous le sexe maladroit, interrompu, parce qu’on cherche, qu’on galère, parce qu’on donne à l’autre le temps d’une pause, pour calmer son excitation ou retrouver ses forces ? Connaissez-vous le sexe avec ses passages à vide qui permettent de profiter de l’odeur de l’autre, de sa moiteur ou du grain de sa peau ? De tous ces détails qui nous échappent quand nous sommes pris dans l’intensité de l’action ? Je vous le souhaite, car il y a une délicieuse sensation d’intimité qui n’est possible que quand la baise est « ratée ». Quand ce n’est plus un show mais une répétition, quand c’est une rencontre et pas un examen.

Mais oui, peut-être que parfois nous nous baiserons comme les twinks trop hots et hyperlaxes des internets, si ça nous fait envie et que nos corps le veulent bien, mais, aujourd’hui, baisons comme des grosses chochottes malhabiles qui s’aiment beaucoup, comme des petites choses fragiles qui tiennent très fort l’une à l’autre, et même si tu connais à peine mon nom, fuck me like nobody’s watching, please.

Pour ne rien rater de Friction Magazine, inscris-toi à notre newsletter mensuelle !