En deux temps. Rencontrer M et ses mots murmurés à la radio. D’abord un bar à Grenoble qui s’appelle le Calypso, invitation déjà au voyage, n’est-ce pas ? Puis rencontre avec Recto/Verso et M sur une petite banquette pas loin de l’ancienne gare Ornano, Paris.
J’écoute la radio toute la journée. C’est comme ça. Et sur Station/Station j’écoute les mots et les sons émanant des Couteaux poétiques. Langues affûtées, sur le fil. On ne tissera pas plus longtemps la métaphore au couteau car on l’a bien compris, il s’agit d’une émission qui fait de la langue une arme, on pense à SCUM Manifesto (« Il faut sortir les couteaux »).
Arme et aussi désarme. Car ce sont les couteaux qui saignent dans cette émission de radio. Ou plutôt les couteaux se gorgent de sang, de cyprine, de sperme, de sueur, (liste non exhaustive) les couteaux fluides, comme les ondes sont fluides.
Recto/Verso balance des sons, des musiques, M s’occupe des mots.
M et Recto/Verso font entendre des voix majeures et mineures de la littérature contemporaine qui donnent au sexe une portée politique.
— M dit : Savoir que j’existe parce que certaines ont mis des mots sur des sensations qui me sont intérieures. Textes comme des rencontres, des mains tendues.
Les textes érotiques pratiquent le langage, et la musique semble être le prolongement ineffable du désir, le dépassement du corps dans la langue, son débordement même. On trouve donc dans l’émission de belles playlists pour baiser.
On comprend ici l’importance du cadre de la radio, Les Couteaux chez nous, chez soi, on les accueille comme ils nous accueillent. M invite des vivant.es à venir lire. Elle lit aussi des textes d’elle. Et puis elle déterre des archives sonores, on le sait la radio et les fantômes se ressemblent, ce sont des voix sans corps apparents.
C’est cela que M et Recto/Verso cherchent, percer le monde des apparences érotiques, elles cherchent et trouvent des formes propres (sales) à dire l’émancipation amoureuse, les sexualités plurielles et multiples, la patience, la santé sexuelle, la confiance faite aux sensations, aux intuitions. Il y a un travail profond à faire pour produire le langage de désobéissance et de santé sexuelle des gouines. Elles s’y attèlent. Merci.
Travailler sur la lesbophobie intégrée, les inquiétudes, c’est précieux.
—M dit : Je cherche à me reconnaitre dans des images et des mots alors qu’on est tout le temps en train de disparaitre.
Les fantômes, je vous dis.
—M cite au Calypso, elle dit : Je veux un espace pour l’écriture « explicite » comme le dit Dorothy Allison.
—Elle dit encore : une amie m’a dit que l’émission est comme « Un vrai bain chaud »
Recto/Verso écoute de la musique et la partage, elle parle peu, elle crée des playlists à partir d’images intérieures. Elle répond à un mot par une musique.
Un duo qui se complète, un duo-dialogue.
Faire entendre des voix comme un creuset où pendant une heure la musique répond à un texte. Une heure, c’est un enclos de temps, une île. Aller chercher du côté de l’érotisme qui n’est pas galvaudé, qui tente d’éviter les pièges sexistes, racistes, et classistes. Chercher avec attention le pas de côté pendant une heure.
Les émissions sont en live, il y a un peu de tremblements, de bégaiements, une langue qui n’avance pas propre. Elles vont chercher aussi dans d’autres langues, en anglais beaucoup, pour ressentir autrement, parce que le français parfois nous parait trop normé. Recto/Verso aime l’anglais, elle sourit quand elle dit « en anglais ».
—M dit : On accueille des invités qui viennent partager leurs textes et l’émission après le live laisse des traces. On peut se souvenir. On passe un bon moment.
—Recto/Verso dit qu’elle aime quand M lit ses propres textes. Elle aime les entendre.
—M demande si parfois Recto/Verso est mal à l’aise.
—Recto/Verso répond « jamais ».
Les textes disent que nos corps sont traqués. Gibiers, on le sait. Les Couteaux pour se défendre, les Couteaux autrement aussi, promesse de tendre, comme ceux de Monique Wittig les « couteaux sans lame ni manche ».