Lettre queer

Écrivain metteur en scène et comédien, Jonathan est, depuis début 2022, artiste associé au collectif La Briqueterie, Amiens, où il expérimente une grande variété de formes pluridisciplinaires avec les artistes de la structure, tout en officiant en tant que directeur artistique pour la Compagnie Hurlevent. 

Son écriture s’axe sur l’exploration des questions d’identité, de l’individu·e face aux terreurs du monde, du queer, de l’importance de la fiction et de l’imaginaire. Lettre Queer est un texte tiré de son recueil poétique en cours d’écriture Atelier Massacre. Recueil qui donna naissance à une performance du même nom qui regroupe quelques poèmes sous une forme théâtralisée. Lettre Queer a été écrit dans le cadre des ateliers d’écriture animés par Laura Vazquez. 

Crédit image : Alexandre Tourte

C’est une force, c’est une faiblesse dont tu ne sais que faire.
Des portes s’ouvrent sur des adonis et se referment sur des monstres tatoués par la honte (tu
découvriras plus tard que les mecs tatoués sont ton talon d’Achille).
La honte est ta compagne la plus fidèle. Elle guide le moindre de tes gestes, la moindre parole
que tu rentres dans ta gorge.
Une ombre sifflante que tu ne remarques plus.

Ton corps est lourd, flasque, dépourvu de vitalité.
Tes yeux chassieux naviguent dans les livres, se perdent sur les écrans, dérivent sur les murs
de ta chambre, tout pour quitter cette enveloppe, quitter ce monde, quitter ce que tu es.
Et comment pourrais-tu être toi-même si tu n’acceptes pas ce que tu es ?
Attention !
Ta famille…elle nourrit des soupçons.
Ressaisis-toi, joue le jeu !
Abandonne les films de princesses, les jeux pour gamines décérébrées, parce que c’est
particulier, non ? Ça veut tout dire.
Tu coches les cases du PD en devenir.

Tu refuses ce mot,
Tu refuses tes désirs,
Tu refuses tout de toi.
Quand tu te vautres dans les images de corps masculins dévêtus (de préférence bien foutus,
car tu n’échappes pas aux normes du désir capitaliste) tu clames intérieurement que tu
jalouses simplement leurs muscles, leur sex-appeal, leur beauté plastique, tout en pensant à
toutes les choses (saloperies) que tu aimerais qu’ils assouvissent. Merde. Ton regard a encore
dérapé sur le mec qui défonce la meuf, sur ses pecs, sur ses abdos, sur son cul, sur sa queue,
partout, partout, partout, un porno après l’autre, une jouissance honteuse après l’autre.
Même ton plaisir est lamentable.

Tu aimerais changer la catégorie du site, mais tu n’oses pas. Tu y arriveras plus tard et
toujours avec un mélange d’appréhension et d’excitation.

Tu n’as pas envie de ces hommes.
Tu les envies.
Voilà tout.
Tu te renfermes dans ta carapace en te lamentant que tu ne seras jamais comme eux et que
seuls ces corps ont l’autorisation d’être aimés un jour.
Tu ne vois personne, tu ne connais personne, tu n’as jamais lu un livre ou vu un film sur
quelqu’un comme toi (ou du moins ce n’est jamais tombé entre tes mains livides), quelqu’un
qui aime, qui aime, qui aime…
Tu vois de quoi je parle.

Dans une autre vie, dans une ville plus grande, dans une autre peau,
Cela aurait été possible.
Pas ici, pas maintenant, pas toi.
Alors tu te renfonces dans toi-même et tu ne deviendras jamais toi-même.
Tu es une boule de haine et d’espoirs vains qui grouillent tels des cafard qui baisent dans ton
estomac, ton cœur, ton âme, ton esprit.
Tu ressembles à un cafard.
A un cochon pâlot.
Un cachon, un cofard, un cochard, bref, les gens ont de bonnes raisons pour se moquer de toi.
Comment leur en vouloir ?
Si une opportunité de se comporter en bourreau se présente à toi, tu l’engloutis avidement en
te réjouissant que l’humiliation soit, cette fois, peinte sur le dos d’un.e autre.
Tes mots ne sont pas tendres pour les PD et ces LGBT dégénérés.
Tu te dédouanes, tu jures.
C’est pour mieux te protéger, mon enfant.
Pour prouver au monde que

Tu n’es pas comme ça,
Tu n’es pas comme ça,
Tu n’es pas ça,

Tu n’es pas,
Tu n’es pas,
Tu…

Tu te dis que la mort serait plus simple.

L’adolescence est si violente.
Tu fatigues, tu veux pleurer, tu résides au fond de ton cœur à l’affût des blessures, jusqu’à ce
que ta carapace éclate un été.
Tu te perds dans le sport (ton corps ne comprend pas le principe), tu t’affines, tu « t’embellis »
et on le remarque, on te traite différemment, sûrement parce que tu te traites différemment. Tu
rayonnes, tu ne subis plus la force démesurée et le jugement des ptits mecs majeurs de leur
promo à l’école de la virilité (tu te moques, mais tu ne peux t’empêcher de les mater). Tu
ressembles à un joli petit hétéro de base. Bravo.
Ta honte se dissipe et par une brèche tu avoues à une amie que les hommes c’est ton truc.
Libération.
Victoire.
C’est énorme ce qui vient de se passer.
Ton travail d’acceptation ne fait que commencer mais tu peux être fier de toi.

Je ne sais pas ce que ça produit en moi.
Je veux dire de te parler de qui tu es et de ce que j’étais.
En tout cas, je peux te dire que la honte s’évanouira pour être remplacée par ses sœurs.

Je peux te dire que tu vivras des déboires amoureux et sexuelles (tu ne seras pas aussi excité
que les garçons que tu rencontreras et tu te demanderas si quelque chose ne va pas chez toi),
que tu te sentiras infiniment seul, que tu construiras des nouveaux remparts autour de ton
cœur, que tu considéreras le futur comme un vide d’errances affectives transpercées par des
poésies maudites et des éclats de beuverie.

Je peux te dire que tu douteras de ton genre. Pas un garçon, en fait si, mais ça veut dire quoi
être un mec, qui plus est un mec gay, quand on voit les bêtes dégueulasses que sont les
hommes ? Tu n’es pas comme ça, toi (peut-être que si). Ne pas être un homme ou une femme,
ne pas être qui que ce soit si ce ne sont les qualités de chacun.e, ou plutôt traverser tous les chemins possibles pour n’être qu’une seule et unique chose, tu devines laquelle : toi, mon lapin.

Désolé, je sais que nous ne sommes pas très portés sur les effusions émotionnelles. Laisse-moi juste terminer.

Je peux aussi te dire que, oui, tu connaîtras l’amour.
Que tu ne te détesteras plus autant.
Que de nombreuses surprises te sont réservées.
Les ombres ne sont que des ombres.
Tu deviendras qui tu es.
Et ce sera déjà bien assez.
Allez, je t’embrasse bien fort.
Petite chose queer que tu es.

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