10 ans du mariage pour tous·tes : « J’avais quinze ans quand j’ai réalisé que mon pays me détestait »

Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant.

Cette semaine, notre Maxime nous raconte comment l’homophobie est rentrée dans sa vie… et comment il l’envoie balader.

J’avais quinze ans quand j’ai réalisé que mon pays me détestait. 

C’est sans doute un peu tard pour certain·es qui l’ont su plus tôt, un peu trop tôt pour d’autres qui n’ont jamais eu à faire face à un tel constat dans leur vie. Jusque-là, j’avais toujours cru que la haine n’était que l’œuvre d’abrutis de passage, qu’elle n’était que le fruit de la jeunesse de mes camarades ou de la vieillesse d’ainé·es dépassé·es par le progrès. 

J’avais quinze ans lorsque j’ai appris que je ne pouvais pas me marier. Dans ma tête, ça n’avait pas de sens, pourquoi je ne l’aurais pas pu ? Tout le monde se mariait et un peu comme certaines gamines de mon lycée, je m’amusais à imaginer mon mariage en riant avec mes amies. Je me demandais comment on faisait quand on était un couple d’hommes : est-ce qu’il faudrait que l’un de nous soit en blanc et l’autre en noir ? Et la figurine sur le haut du gâteau ? On y passerait quelle musique ? Comment je ferais ma demande, qui devait mettre un genou à terre, moi ou mon amoureux imaginaire ? Je rêvais d’être en mauve et d’avoir un joli nœud papillon. J’avais des envies de prince charmant, des envies de gosse qui ignore ce qu’est vraiment l’amour mais qui a pris toutes les promesses d’union monogame éternelle et hétéros pour lui. 

J’ai expliqué mon rêve d’union à une « veilleuse »

J’avais quinze ans quand j’ai expliqué mon rêve d’union à une « veilleuse ». Je crois que c’est comme ça que la Manif pour Tous appelait ses militantes qui restaient au Champ de Mars. Il s’agissait d’un concept un peu ridicule, une sorte de piquet de grève si je me souviens bien, je ne cherche pas vraiment à m’en souvenir, pour être honnête. Elles se croyaient veiller sur la famille alors qu’elles ne faisaient que garder l’homophobie. Mais je suis allé discuter, je voulais profondément les comprendre, résoudre l’énigme de leur haine. 

Mais il n’y a rien à comprendre d’une femme de cinquante ans qui regarde un adolescent et qui lui explique que son rêve d’amour n’est pas ce que Dieu désire. Elle l’entend bien, son petit songe insensé, mais elle tient à ses fragiles structures mentales, religieuses et institutionnelles. Il y a tout un monde qui tourne comme ça, on ne peut pas brouiller des frontières superficielles pour le plaisir d’un jeune homme qui rêve d’amour éternel. 

Écouter les propos homophobes à la télévision avec une curiosité malsaine

J’avais donc quinze ans quand j’ai fait face à la violence des adultes. À observer les masses bleues et roses défiler dans les rues de mon enfance. À écouter les propos homophobes à la télévision avec une curiosité malsaine. A voir mes camarades se rendre aux manifestations, à leur expliquer pourquoi ils étaient d’accord avec leurs parents. A croiser Frigide Barjot déposer sa gamine, une camarade de classe comme une autre, finalement, au lycée.

En même temps que l’homophobie avec un grand H est entrée dans ma vie, la colère homosexuelle aussi. Le gamin que j’étais a commencé à bâtir un discours politique construit, à gratter avec ses clés les tracts homophobes croisés sur le chemin du lycée. Obligé de devenir un militant à quinze ans, d’une certaine façon. Je crois que ça a profondément influencé mon rapport au politique : échanger, raconter nos vécus, lutter à petite échelle en espérant que ça influence ce qui est plus grand que soi. 

Leurs idées continuent d’être recyclées

Il y a trois ans de cela, j’ai croisé une ancienne camarade de classe qui revenait d’une « manif pour tous ». On les avait presque oubliés, seuls eux se souvenaient des dates de leurs rassemblements de plus en plus sporadiques. On pensait qu’ils avaient perdu définitivement, je n’en suis plus très sûr maintenant. Leurs idées continuent d’être recyclées, s’offrent de nouveaux noms et de nouvelles porte-paroles. Celleux qui ont fait face à ces gens-là connaissent bien leurs discours, nous ne sommes pas dupes. 

Face à elle, le gamin terrorisé par la haine avait disparu. Il n’y avait plus qu’une belle pédale épuisée par son week-end passé avec ses amies du lycée, qui ont toutes finies par s’avérer lesbiennes ou bies. Nous avions autre chose à faire que de passer notre dimanche à manifester contre les droits des autres. Nous nous étions politisés, fières, solides. Avec toute la follasserie du monde, tenant mon cubis de rosé avec mes ongles vernis, je lui ai annoncé que j’allais voir un de mes amants et qu’on allait certainement baiser toute la journée. Elle a baissé la tête en me souhaitant un bel après-midi. Elle avait l’air misérable, presque honteuse, comme si elle réalisait le pathétisme de ses exactions. Si petite face à tout ce que j’avais créé pour faire face à sa haine. 

J’avais quinze ans, j’en avais vingt-deux ce jour-là. Leur haine m’a fait grandir, c’est tragique mais c’est un fait. J’aurais aimé que ce pays grandisse aussi, je crois qu’il me déteste un peu moins pour être honnête… Mais ce n’est pas assez. Tant que des gamin·es de quinze ressentirons ce que j’ai ressenti, ce ne sera pas assez. 

Malgré tout, nous, les enfants de cette période, nous sommes debout. Je suis debout. Et nous sommes prêt·es à continuer à leur faire face.   

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