« Le mâle alpha s’éteint, ses pouvoirs s’amenuisent. » C’est sur ce constat enthousiasmant que s’ouvre Mes bien chères sœurs de Chloé Delaume, publié aux éditions du Seuil. Ce court essai plein de verve et d’ironie interroge intelligemment les rôles échus aux un·e·s et aux autres à l’heure du militantisme 2.0, des communautés militantes virtuelles qui se forgent sur Twitter et de l’après #MeToo.
Mes bien chères sœurs commence par un chapitre qui donne le ton : cet essai à forte teneur autobiographique sera surtout très drôle. Ce premier chapitre interroge les masculinités, il y est question de « papatron » et de « couillidés », le chapitre s’intitule « Le crépuscule des guignols » et fait franchement du bien. Même si on peut douter de ce crépuscule, ces guignols tombent, en témoigne la chute des membres de la Ligue du Lol : les guignols ne sont plus intouchables et ouvrir sur cette affirmation met la lectrice en joie.
« J’écris de chez les féministes hétéros qui se maquillent. Je serais volontiers restée chez les lesbiennes, mais on ne fait pas toujours ce qu’on veut. J’ai été homosexuelle pendant dix-huit mois, un peu avant l’Apocalypse de 2012. J’écrivais alors de chez les High-Fem. C’est comme ça qu’on appelle les lesbiennes qui se maquillent et portent des escarpins. » (p. 23)
Puis, Chloé Delaume nous dit d’où elle écrit, elle le précisera tout au long du texte, d’ailleurs. Elle nous rappelle Despentes, aussi, un peu, dont le début de King Kong Théorie s’impose comme palimpseste. Mais c’est important de savoir d’où on parle. Chloé Delaume nous parle de beaucoup de choses, du travail du sexe, de maladie mentale, du fait d’être une « authentique drama queen ». En nous disant d’où elle écrit et qui elle est, elle nous parle de notre époque, et du spectre très large des militantes féministes, aussi. À partir de son parcours personnel, Chloé Delaume nous propose une refléxion collective sur l’histoire des femmes et du féminisme.
Dans Mes bien chères sœurs, Chloé Delaume aborde autant les questions inhérentes au langage et à l’écriture inclusive, qu’à la nécessaire transmission entre femmes. L’autrice fait une rapide histoire des féminismes, et date à 2010 l’avènement du féminisme 2.0. 2010 c’est la naissance de Paye ta schnek qui fera des émules et c’est aussi la naissance d’un militantisme virtuel qui fait communauté.
« La sororité est le mot clef, la fin des rapports verticaux, se penser sœurs modifie tout. Pour cela changer l’angle d’approche sans redouter les regards portés sur nos assauts. Des sorcières et des meutes : bien sûr, pour nom Légion. Par la sororité, rien ne sera épargné car les femmes vivent, partout, résolues et nombreuses, dangereuses puisque unies. » (p. 77)
En sommes, Mes bien chères sœurs est un appel à cette sororité, c’est un petit livre plein d’une verve réjouissante. La sororité comme plan d’attaque pour finir de détruire le patriarcat, c’est cela que propose Delaume. Rien que ça, mais ça fait drôlement du bien de le lire.
Mes bien chères soeurs de Chloé Delaume est paru en mars 2019 aux éditions du Seuil dans la collection Fiction et Cie. 13,50€