#MeTooGarçons à la lumière du #MeTooGay

#MetooGay, #MeTooInceste, #MeTooLesbien, #MeTooThéâtre, #MeTooPolitique, #balancetonporc, #balancetonyoutubeur, #balancetarédac…. Les mouvements de libération de la parole en ligne se multiplient depuis 2016 depuis la naissance du premier MeToo. Huit ans plus tard, et dans la brèche qu’a ouverte Judith Grodrèche, c’est un nouvel hashtag qui est venu rejoindre la longue liste : le #MeTooGarçons, lancé par le comédien Aurélien Wiik. Si cette nouvelle initiative a le mérite d’inviter les hommes hétéros à témoigner, que dit-elle de notre capacité à recueillir les paroles des victimes ? Et comment analyser ce dernier à la lumière du #MeTooGay, survenu il à 4 ans ?

Continuer à libérer la parole

Sur Twitter, après la prise de parole des comédiens Aurélien Wiik et Francis Renaux, les témoignages pleuvent. Des histoires d’enfance et de jeunesse principalement, pour sortir du silence et se réapproprier une souffrance jusque-là tue. Mais qu’est ce que cette nouvelle vague de MeToo a-t-elle de différent ? Sur le papier, la grande avancée de ce hashtag est d’offrir l’opportunité de témoigner aux hommes hétéros, jusqu’alors restés largement en retrait. Pour autant, il suffit de jeter un œil sur le hashtag pour voir la part prédominante d’hommes gays parmi les récits en ligne. Un constat que fait aussi Andy Kerbrat, député LFI qui explique avoir reçu plusieurs témoignages : « Je remarque quand même que le #MeTooGarçons est aussi un #MeTooGay ». Lui aussi s’est exprimé sur le réseau social : « On ne guérit pas d’avoir été une victime, mais on peut se réparer, lentement, et même devenir député. J’ai été abusé de mes 3 à 4 ans par un prédateur, mort depuis donc sans possibilité d’avoir justice. Mais, d’une victime aux autres, ça ira mieux. Des gens vous croient et vous aiment (ce qui a été mon cas grâce à mes parents). Vous réaliserez de grandes choses donc continuez à vous exprimer. Si vous le pouvez, allez en justice. On ne guérit pas, mais on se répare. Ensemble ». 

Ces mots, le député a mis du temps à les verbaliser. Il nous raconte l’événement qui l’a poussé à parler : « En septembre dernier, lorsqu’on a étudié le projet de loi sur la sécurité et la régulation des espaces numériques, j’avais défendu avec LFI plusieurs amendements demandant à donner plus de moyens humains à la fois à la plateforme Pharos, pour le descellement des alertes à données pédopornographiques, et à la CNAIP, qui est la cyber-gendarmerie en charge des images pédopornographiques. C’était un amendement qui servait juste à leur donner les moyens humains et financiers, mais qui était en contradictions avec ceux de la droite qui proposaient juste d’alourdir les peines des pédocriminels. Sauf que ça ne sert à rien d’alourdir les peines si on ne les arrête même pas. Et quand j’ai dis ça, une député du RN et le ministre m’ont traité de complices des pédocriminels. J’ai immédiatement vrillé dans l’hémicycle, j’ai même cassé un micro. C’est là que je me suis rendu compte que dans le privé cette agression sexuelle était en quelques sortes réglée, j’étais capable d’avoir une vie intime heureuse, mais qu’en public j’étais encore très fragile ».

Si la tentative du #MeTooGay, survenue il y a quatre ans, s’apparente pour beaucoup comme à une débâcle, il serait malhonnête de la qualifier d’inutile. Y aurait-il eu un #MeTooGarçons aujourd’hui sans le #MeTooGay il y a quatre ans ? Quel regard posent ceux qui l’ont lancé à l’époque ? 

Un deuxième #MeTooGay

La présence de nombreux hommes gays dans les témoignages #MetooGarçons, Matthieu Foucher, auteur de l’article A la recherche du #Metoo gay, l’explique par le fait que la communauté est particulièrement touchée par les violences sexuelles intra-familiales. « Et de manière générale, je pense que comme les gays relationnent avec les hommes, ils ont plus de chance d’être exposés aux violences sexuelles. » 

JB Bonjean du Manoir, homosexualiste, militant sur les questions LGBTI et de santé sexuelle le précise ainsi : « Ce n’est pas un #MetooGay car la sexualité des victimes est moins prise en compte par contre les mécanismes qui amènent les auteurs à s’attaquer à des garçons, sont les mêmes. C’est rattaché à l’enfance, les schémas de vulnérabilité, d’ascendance, on est un mélange entre le #MetooInceste et le #MetooGay. »

Matthieu Foucher rappelle toutefois l’importance de la différence entre le #MetooGay et le #MetooGarçons. Il se montre à la fois touché par le repartage de son article sur les réseaux sociaux, notamment par la sphère militante, mais tient à rappeler qu’il est nécessaire de ne pas enfermer cet évènement dans un cadre trop hermétique : « Il y aussi beaucoup de témoignages qui ne concernent pas que des gays et je pense qu’il ne faut pas invisibiliser les témoignages d’hommes hétéros car j’ai l’impression que c’est la première fois que ça se produit en France. C’est peut être la différence avec #MetooGay aussi, c’est qu’à la fois on voit des témoignages d’hommes homos ou hétéros qui ont été abusés dans l’enfance par des hommes mais aussi des femmes » explique Matthieu. « Et je pense évidemment que c’est minoritaire au sein de l’ensemble des violences sexuelles. Le schéma global c’est souvent les hommes hétéros sur les femmes et les queers mais il faut quand même laisser la parole aux violences qui échappent de ce schéma-là. » 

À juste titre, Matthieu rappelle également que toutes les violences entre “hommes” ne signifient pas la même chose, qu’elles ne s’inscrivent pas de la même manière dans le patriarcat ou dans la trajectoire des individus. « Il faut essayer d’avoir une capacité d’analyse un peu agile et qui nous permettrait de penser les spécificités de l’expérience gay au sein de la catégorie homme et qui est quand même assez radicalement différente de la masculinité hégémonique » conclut-il. 

Malgré tout, JB exprime une certaine frustration quant aux vagues répétées de #Metoo : « La libération de la parole elle est là depuis longtemps mais il n’y a pas de libération de l’écoute. Si on en vient à témoigner sur Twitter en s’adressant à personne véritablement, c’est qu’il y a un problème de « Où est-ce que je dépose cette parole ? » Et ça ce n’est toujours pas réglé depuis 2017.» déplore-t-il. 

Une absence de connaissance des structures de soutien que JB explique par le manque de transmission des réflexions issues du #MetooGay. « Ça manque d’une communication nationale un peu plus d’ampleur, de la part des assos comme Le Planning Familial, qui dit déjà qu’on reçoit sans conditions d’âge et de genre mais il manque une communication spécifique, orientée vers les hommes victimes de violence sexuelle. Dans la tête des gens, les violences sexuelles c’est forcément dans un cadre hétérosexuel, du coup les hommes agressés, si tu ne précises pas explicitement qu’ils peuvent aller tel endroit ou non… »

Quant aux associations gays, elles ne semblent toujours pas à la hauteur du sujet : 

« Elles ne se forment pas ou alors quand elles le font, ça prend du temps… » déplore Jean Baptiste. « Il y a une peur de mal faire, donc ils ne font rien car ce n’est pas leur créneau habituel. »

Bien entendu, la prise en charge réelle des violences sexuelles et sexistes ne peut pas être assignée uniquement aux associations. Matthieu Foucher évoque ainsi l’Education Nationale : « Nous les militant·es on peut réfléchir autant qu’on veut dans nos coins, en tant qu’adultes… L’Education nationale doit prendre le relais, assurer qu’il y a des discussions sur le consentement, de la part d’intervenantes féministes et de gens qui travaillent sur l’inceste, comment on apprend aux enfants et aux garçons en particulier ce qu’est le consentement. C’est peut être ça la réponse qu’on attend peut-être, plutôt que tous les six mois des vagues de témoignages. »

Un aspect sur lequel Andy Kerbrat revient également : « Si on veut vraiment aider à réparer les personnes on a tous les outils qu’il faut : la Ciivise pour les enfants, la Mivilude pour les entreprises sectaires, Pharos et le CNAIP pour la répression de la pédocriminalité, les tribunaux, et un service de dépôt de plainte ». Un système qui devrait suffire en théorie, mais se montre bien plus dysfonctionnel lorsque l’on arrive à la pratique.

« Le problème c’est que quand on dépose plainte on sait qu’on va être jugés parce que la police a des habitudes LGBT-phobe historiques et n’est pas formée face à la déferlante de #MeToo. Le problème c’est qu’on a un service judiciaire qui a été démantelé de A à Z avec des juges chargés des affaires familiales qui sont surchargés de dossiers et sont obligés de les bâcler. Le problème c’est que dans ce pays on ne donne que trois cours d’éducation sexuelle et sentimentale aux élèves alors que c’est le meilleur moyen pour déconstruire la culture du viol. Les gens ont beau avoir envie de se réparer eux-même, c’est à nous, les politiques, de réparer ce pays et son service public », conclut-il.

#MeTooGay, Garçons et alliance féministe

« On ne parle pas trop du parcours judiciaire des victimes aujourd’hui. Je ne vois personne remettre en cause les expertises psychiatriques ordonnées sur les victimes et pas sur les personnes accusées » relève Marie Coquille Chambel, doctorante et membre du #MeTooThéâtre. « Vu qu’on en reste qu’au classement, on voit pas les étapes juridiques entre temps qui sont assez dévastatrices. Pour moi, le gros manquement dans #MeToo, ce n’est pas de ne pas pouvoir aller plus loin que le stade du témoignage : on en est encore aux plaintes classées. » 

Elle revient ainsi sur l’accompagnement qu’elle fait de certaines victimes qui sont souvent peu connaisseuses du parcours judiciaire qu’un témoignage public peut imposer. « Moi, quand j’ai porté plainte, je ne savais pas ce qu’était la justice, qu’une confrontation, ou à quoi ressemblait une visite chez un médecin légiste. Ce qui m’a manqué, c’était la présence de collectifs qui puissent me parler de la justice et m’accompagner là-dedans. » relève Marie. « Quand on témoigne publiquement, on peut porter plainte contre nous pour dénonciation calomnieuse, atteinte à la présomption d’innocence et diffamation par exemple. » 

Les potentielles conséquences du témoignage public, Marie dit en avoir pris conscience avec le #MeTooGay et la mort du militant Guillaume après à sa prise de parole contre Maxime Cochard et son compagnon. A la suite du #MeTooGarçons, elle a d’ailleurs rappelé que son collectif n’oubliait pas la parole du jeune homme il y a de cela plusieurs années. « C’était important pour moi de relier une histoire qui n’était pas si vieille, de rappeler qu’il y avait un historique et de ne pas oublier Guillaume aussi, de voir grâce à qui on peut parler aujourd’hui. »

Le #MeTooGay a été un moment important pour elle, justement car il a donné naissance à beaucoup de conversations entre elle et ses amis garçons. « Moi quand j’ai témoigné, c’était des femmes et des personnes LGBT qui m’ont apporté du soutien. Les hommes hétérosexuels ne m’ont jamais soutenu publiquement ou en privé. » confie-t-elle.  Dans le milieu théâtral, aux témoignages de femmes qui évoquaient les violences sexuelles s’ajoutaient ceux de beaucoup d’hommes également. Une particularité qui a marqué la construction politique de Marie. 

« Je pense que le #MeTooGay a visibilisé pour certaines militantes féministes ces violences là, ou pour des personnes qui n’étaient pas conscientes de l’étendu des dominations masculines. Mais j’ai aussi l’impression que sur la question des violences sexuelles envers les enfants, il y a une unité plus grande. Au niveau médiatique, quand on lutte contre les violences sexuelles, on voit bien qui sont nos sœurs et frères de lutte. »

Quand on lui demande pourquoi les hommes semblent avoir du mal à parler, Marie s’interroge sur le manque de figures de proue du mouvement auxquels les garçons pourraient s’identifier. « Peut-être qu’un jeune homme n’a pas forcément envie de venir vers moi et ça je le comprends. Pour l’instant dans le collectif #MeTooThéâtre on est uniquement des femmes et ça peut être un frein également. » explique-t-elle. 

Autre obstacle souvent mentionné dans les témoignages partagés sur Twitter : les injonctions de genre selon lesquelles un homme devrait savoir se défendre et ne pourrait donc pas être une victime. Le hashtag se retrouve en effet pollué de remarques moqueuses qui féminisent ceux qui parlent et de tweets parodiques, symptomatiques d’un mythe de la virilité écrasant. « Ce poids des injonctions paradoxales que les garçons reçoivent, que j’ai beau avoir déconstruit avec le temps, a continué à se présenter à moi. J’avais peur de n’être assimilé qu’à une victime, que les gens ne me voient que comme un sujet » raconte Andy Kerbrat.

Les vagues de #MeToo vont donc continuer de s’abattre sur différents milieux et soulèvent fréquemment les manquements auxquels on fait encore face, victimes comme militant•es. Si la libération de la parole se poursuit, il est plus que jamais l’heure de s’interroger sur l’accompagnement que nous proposons aux victimes et les ponts entre communautés militantes qu’il est nécessaire de construire pour continuer à lutter contre les violences sexistes et sexuelles.