En 2018, j’avais déjà eu le plaisir d’interviewer Jonathan Blake, membre historique de Lesbians and Gays Support the Miners, dont l’histoire constitutive des droits LGBTQI au Royaume-Uni est contée dans Pride, sorti sur nos écrans en 2014. À l’époque, il se disait incommensurablement fier de voir que le film avait suscité des vocations militantes, notamment la reprise du sigle LGSM par de jeunes activistes queers londonien·ne·s, pour soutenir les personnes exilées, avec Lesbians and Gays Support the Migrants. Lorsque je lui ai raconté que dans l’Hexagone, le film Pride et les accomplissements de LGSM étaient cités en faveur d’une implication solidaire visible des activistes LGBTQI dans le combat contre la réforme des retraites, il a eu envie de répondre à de nouvelles questions pour Friction…
Depuis l’autre côté de la Manche, as-tu eu des échos du contexte social et politique français actuel ?
Jonathan Blake : Oui en effet, j’en ai pas mal entendu parler et j’estime qu’il est très important de réclamer son droit à une vie décente. Les personnes à la retraite ont cotisé et méritent d’être soutenues. Le président français se comporte vraiment de manière épouvantable : on sent bien, même d’ici, qu’il ne s’intéresse qu’aux riches et pas du tout aux plus vulnérables, dans le besoin. Emmanuel Macron me fait penser à Margaret Thatcher, lorsqu’elle s’en est pris aux mineurs dans les années 80. Mais j’ai l’impression que vous, en France, avez réussi à mobiliser le peuple alors que nous, en 1984, étions trop divisé·e·s et avons fini par diluer le « power to the people » dans le peuple, ironiquement…
Qu’est-ce que ces manifestations t’inspirent ?
De manière générale, je suis inspiré par les mouvements sociaux, lorsqu’ils se battent pour la justice et pour nos communautés qui ont le moins de pouvoir et de représentations. C’est ça, la justice sociale. Les retraité·e·s ont donné énormément durant leurs vies à la société dans laquelle iels vivent, c’est normal qu’on les accompagne et qu’on les soutienne ensuite. Croyez-moi, j’ai 70 balais, j’en sais quelque chose !
En France, la seule réaction aux grèves pour les retraites que l’on a eu des plus grosses associations LGBTQI a été de s’en prendre à trois grévistes qui ont proféré des insultes homophobes. Suite à une vidéo qui a largement circulé sur le net, elles ont été trois à porter plainte contre eux, et neuf à signer une tribune à ce sujet…
Toute forme d’homophobie est inacceptable et doit être défiée, elle n’a pas de place dans notre société ! Appelons-les briseurs de grèves des jaunes, mais n’attaquons pas leur genre ou leur sexualité… Si ces assos veulent porter plainte, grand bien leur fasse, mais il vaudrait sans doute mieux utiliser leurs ressources pour faire de la sensibilisation, éduquer. Un recours en justice est onéreux et il y a de biens meilleurs moyens d’user de ses fonds pour faire campagne contre l’homophobie !
Les seul·e·s activistes LGBTQI que l’on voit visibles en tant que tel·le·s en manif, aussi bien pour les retraites que chez les gilets jaunes, sont généralement de petits groupes de queers dits « radicaux ». Iels sont régulièrement taxé·e·s de traîtres à leur cause… Ça te dit quelque chose ?
C’est vrai que les activistes queers les plus visibles dans ce type de combats qui ne sont en apparence pas directement liés aux droits LGBTQI sont généralement radicaux. J’ai la sensation que notre communauté est assez conservatrice et se sent vite menacée, mais nous devons persévérer. On ne défie pas la société pour être populaire mais parce qu’il nous le faut. Solidarité et respect aux personnes LGBTQI de France, d’Europe, et du monde !
« Notre communauté est assez conservatrice et se sent vite menacée, mais nous devons persévérer. On ne défie pas la société pour être populaire mais parce qu’il le faut. »
Est-ce que les dynamiques sont semblables au Royaume-Uni ?
Actuellement, les médias de droite usent de leur pouvoir pour attaquer la gauche, aussi bien socialiste que radicale : la BBC est devenu le porte parole des Tories [membres du parti conservateur, ndlr]. Et la communauté tombe dedans aussi… Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’on se soit retrouvé·e·s avec ce dangereux clown de Boris Johnson comme premier ministre, et que le Brexit se concrétise bientôt. C’est un gâchis terrible car la plupart des droits fondamentaux durement acquis, en tant que pays membre de l’Union européenne, vont être démantelés, et nous nous transformerons en un État fasciste de plus.
Comment les membres de Lesbians and Gays Support the Miners étaient perçu·e·s par la communauté, lorsque vous avez commencé à manifester votre solidarité avec les mineurs en grève ?
Nous avons été diabolisé·e·s dès le début, aussi bien les lesbiennes que les gays. Mais il faut aussi se souvenir qu’en 1984, les milieux gays en particulier avaient déjà beaucoup à faire, en pleine hécatombe du sida. Nous sommes arrivé·e·s en pleine crise.
Mais cette vision des actions de LGSM a fini par changer. Et les communautés de mineurs des Galles du Sud que nous avons soutenues ont joué un grand rôle là-dedans. Ce sont les mineurs de cette région qui ont fait pression sur le syndicat national des mineurs pour que celui-ci fasse bloc pour que les droits des gays et lesbiennes entrent dans le programme du Parti travailliste, en 1986. Ils y sont parvenus. Et lorsque, finalement, le Labour a formé son gouvernement en 1997, on a obtenu le partenariat civil !
Qu’est-ce que mettre de côté quelques manifestations de masculinité toxique et d’homophobie de côté pour vous allier aux mineurs en grève t’a apporté ?
Bien sûr, je suis immensément fier d’avoir participé à cette aventure de Lesbians and Gays Support the Miners, vu ce que cette solidarité nous a permis d’apprendre et de gagner.
Mais je me sens aussi très chanceux d’avoir fait partie de ce groupe, car c’est par le biais militant que j’ai rencontré Nigel Young, mon partenaire, avec qui je vis depuis maintenant 36 ans. Pour lui, qui avait contribué à fonder un magazine gay de gauche radicale marxiste-trotskyste, comme pour moi, intégrer Lesbians and Gays Support the Miners était naturel. S’en est découlé toute une vie d’activisme dont la motivation, de mon côté, était principalement ma séropositivité et le besoin de lutter contre le stigma. Car j’ai été diagnostiqué séropositif au VIH, HTLV3 à l’époque, en octobre 1982, lorsque c’était encore une condamnation à mort.
En tant que figure aînée inspirante de la communauté (avec tout mon amour et mon respect cependant), qu’as-tu à dire sur le sujet des retraites pour les personnes LGBTQI ?
La question des retraites nous touche tou·te·s. Mais elles sont un sujet encore plus prenant pour les personnes les plus isolées et précarisées.
En ce qui me concerne, j’ai la sensation d’avoir eu beaucoup de chance. Avoir un partenaire, vivre dans une coopérative d’habitation construite grâce à un squat lesbien et gay à Brixton… ça m’a permis de vivre sereinement, avec un toit abordable au-dessus de la tête, et beaucoup de soutien pour pouvoir me battre. Ce n’est pas le cas de tou·te·s, loin de là.
« Ensemble, nous sommes fort·e·s, divisé·e·s, nous sommes faibles. »
Pour moi, la question de vieillir en marge de la société se pose surtout par le prisme du VIH. Aujourd’hui, dans les pays où les traitements sont disponibles et accessibles, on peut avoir une charge virale indétectable et donc, ne plus transmettre le virus.
I = I [indétectable = intransmissible, ndlr], ça fait une grande différence, psychologiquement. Mais il y a encore beaucoup de préjugés sur le VIH à combattre, partout dans le monde. Lorsqu’on était diagnostiqués séropositifs, à l’époque, on n’imaginait pas atteindre les 40 ans, alors que vous raconte pas 50, 60 et maintenant 70 ans !
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes activistes LGBTQI d’aujourd’hui ?
Nous devons garder en mémoire de ce qu’ont initié, et permis de gagner, un petit groupe de personnes LGBTQI marginalisées et racisées à Stonewall ! En tant que personnes LGBTQI, nous avons besoin de nous rassembler et d’aider d’autres personnes vulnérables, opprimées, pour les aider à porter leurs voix. Ensemble, nous sommes fort·e·s, divisé·e·s, nous sommes faibles.