On a vu « Apocalypse Bébé » de Virginie Despentes au Théâtre de la Villette

Fin 2018, on avait été bluffé·e·s par l’adaptation magistrale de King Kong Théorie de Despentes au théâtre de l’Atelier. On en était ressorti·e·s comme broyé·e·s par un rouleau compresseur. Alors, lorsqu’on a vu qu’Apocalypse Bébé était adapté, par Selma Alaoui, au théâtre de la Villette, nous étions très impatient·e·s et mu·e·s par une interrogation : comment porter à la scène ce roman aux personnages si denses ?

L’histoire est simple, pourtant : Valentine a disparu. Une jeune détective sans expérience est chargée de la retrouver. Pour y parvenir, elle s’associe avec La Hyène, personnage haut en couleur et très charismatique. Apocalypse Bébé, le roman, est tout autant un polar qu’un voyage initiatique. C’est, comme le rappelle Selma Alaoui, la metteure en scène : « Une sorte de mise à nu de personnages qui émeuvent, par leur médiocrité autant que par leur exceptionnelle singularité. »

C’est là que se situe toute la gageure : donner corps, sur l’espace de la scène, à ces personnages extrêmement bien croqués par la romancière. Eline Schumacher interprète magnifiquement Valentine, jeune fille perdue, alcoolo et nymphomane, qui se fend d’une sorte de playback captivant sur le morceau « Je veux te baiser » d’Odezenne. Si les personnages masculins jeunes incarnent une forme de médiocrité terrible, on a aimé le duo amoureux entre le personnage de Valentine et celui de son cousin, scène sensuelle portée par l’utilisation particulièrement juste de la vidéo.

Achille Ridolfi, qui interprète à la fois le père de Valentine, François Galtan, puis le boss de Lucie, la détective, et un danseur au genre insaisissable à la fin de la pièce, se métamorphose tout au long de la pièce. On regrettera peut-être que La Hyène corresponde si peu à l’image que l’on s’était faite à la lecture du roman, mais elle nous renvoie encore une fois à l’épineuse question de savoir comment porter sur la scène des personnages d’une telle épaisseur romanesque.

Tout au long du spectacle résonne le texte de Despentes, avec sa force et ses engagements, qui nous rappelle encore une fois, comme dans King Kong Théorie,  qu’elle « [écrit] de chez les moches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf, aussi bien que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés. » Comme le dit Selma Alaoui, la metteure en scène, cette « langue tonique […] transposée à la scène peut faire naître un spectacle vibrant. » Et si les éléments de décor mangent parfois l’espace scénique, on saluera des choix de mise en scène intelligents qui explosent en apothéose dans un final grandiose qui nous laisse à bout de souffle.

Apocalypse Bébé de Virginie Despentes/Selma Alaoui

Du 12 mars au 28 mars 2019 – à 20h les mardis, mercredis, jeudis et samedis, 19h les vendredis et 15h30 les dimanches.

Théâtre Paris-Villette, 211, avenue Jean Jaurès, Paris 19ème, métro Porte de Pantin (ligne 5) ou Tramway Porte de Pantin – Parc de la Villette (3b)

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