On the go : rencontre avec Julia de Castro, une réalisatrice en route pour le succès

On the go de Julia de Castro et María Gisèle Royo a obtenu le très mérité prix du jury de la dernière édition du festival Chéries-chéris. Ce road-movie réjouissant est un film à la fois drôle et profond qui allie la chaleur du sud de l’Espagne et des thèmes aussi cruciaux que la maternité ou l’amitié. Il faut le dire, c’est l’un des coups de cœur de la rédaction chez Friction Magazine. C’est un film qui ouvre des portes et nous laisse naviguer dans un univers de légèreté qui renouvelle les modes de sociabilité nous a tant plu que nous avons rencontré Julia de Castro, l’une des réalisatrices pour en parler. 

Lorsqu’elle a présenté On the go dans le cadre du festival Chéries-chéris, Julia de Castro a mis l’accent sur la jeunesse des acteurs·trices en expliquant que cela avait demandé à l’équipe de quasiment réinventer la façon de faire du cinéma. Ce qu’elle n’avait pas précisé, et qu’elle nous explique lorsque nous la rencontrons juste après la projection, c’est que tout le film a été filmé en une seule prise. « Nous n’avions pas de budget, imagine comment se sentait l’équipe ! Mais en un sens, c’était bien car nous n’avions qu’une seule opportunité pour chaque scène ». Cette dynamique complètement folle contrainte par les enjeux économiques de production du film est en même temps une des choses qui le rend si vivant. Ces conditions difficiles ont soudé l’équipe et créé une énergie et une complicité entre les acteurs·trices qui sont visibles à l’écran. Pour tous·tes les comédien·nes, le choix de faire le film était un pari risqué et les réalisatrices ont décidé de les impliquer dans les choix de réalisation du film. Chacun·e pouvait faire ses propositions et improviser à sa guise durant les répétitions. « Iels étaient très libres et c’était magnifique de partager avec elleux cette façon de faire, cette méthodologie » 

Il se dégage de l’ensemble une atmosphère légère et l’on rit beaucoup bien que les sujets évoqués ou implicites soient parfois lourds et grave. Julia de Castro revient sur la dimension comique : « faire de la comédie n’est pas facile, cela dépend de la façon dont les acteurs·trices sont à l’aise dans toutes les scènes. Et les aspects comiques du film sont liés au fait que justement les acteurs·trices étaient vraiment à l’aise avec les scènes et les un·es avec les autres. Le sud de l’Espagne a cet humour qui lui est propre, dans la façon qu’ont les gens de voir la vie. C’est pour ça qu’iels ont cette musique incroyable, c’est lié à la façon de comprendre la vie. » Cette musique propre à l’Andalousie revient à de nombreuses reprises dans le film et fonctionne comme un ressort comique comme lorsqu’en plein contrôle de police, un jeune homme propose une chanson. Bref arrêt dans la course folle du film et moment de poésie décalée et comique. « Ce moment, c’est tellement le sud. Ça peut réellement se produire dans le sud ! Ça fait partie de ce paysage émotionnel si particulier. »

Cette liberté de ton se voit aussi à travers la façon d’aborder la sexualité et le désir dans le film. « La façon dont nous vivons l’intime au XXIe s. n’est pas celle décrite dans le film : quand on pense à notre façon de représenter la nudité comme quelque chose d’absolument naturel par exemple, sans que ce soit sexuel. » Julia de Castro explique comment le public met souvent en avant le fait que l’un des acteurs·trices principaux·ales, Omar Ayuso, qui réalise ici une incroyable performance, est en permanence nu. La réalisatrice tient à corriger, il est simplement nu parce qu’il se dévêt pour se baigner, à la plage. Quoi de plus naturel au fond ? Le public n’a pas l’habitude de voir des corps nus qui ne soient pas en même temps sexualisés. « Nous ne voulions pas montrer des corps, nous voulions montrer comment l’on se comporte, naturellement. » C’est le cas lorsque deux des personnages principaux, Milagros et Jonathan sont au bord de la mer, dans l’une des premières séquences du film. La nudité à l’écran n’implique pas la sexualité. 

Cette liberté se voit également à travers le choix de faire du film un road movie burlesque et camp. « Cette manière de voir l’amitié et la maternité de façon très libre est inspiré d’un film de 1982 : Corridas de alegría ». C’est cette liberté de ton qu’ont voulu retrouver Mariana et Julia. Dans Corridas de alegría, Miguel, évadé de prison deux mois avant de purger sa peine, ne pense qu’à se venger et à retrouver sa bien-aimée Diana. Il fait équipe avec Javier, un décortiqueur bavard doté d’une cafetière décapotable, pour un voyage à travers l’Andalousie sur les traces de la demoiselle disparue. « Nous avions deux objectif : la liberté et la joie. Nous voulions que le public se dise  :  “ Oh mon dieu, ils s’amusent tellement !” »

Cette liberté se ressent également dans la manière dont est abordé la question de la maternité, affranchie des questions du couple et de la famille. « Je pense que la façon traditionnelle d’envisager ce qu’est une famille ou une mère ne fonctionne plus de nos jours. Nous ne pensons plus la famille comme nos parents le pensaient. Nous devons trouver de nouvelles formules, peut-être entre ami·es, en groupe ou au sein d’une communauté… Nous n’avons pas les réponses, mais dans le film, ce que nous disons c’est que nous cherchons de nouvelles façons de faire.  » 

C’est cette recherche de nouveaux modes de rapport au monde qui permet aux réalisatrices de laisser de nombreux sujets irrésolus et ouverts à la fin du film. Les spectateurs·trices ont une grande liberté également dans la place réservée à l’interprétation : c’est à nous d’écrire dans les blancs du texte et d’imaginer ce que le film laisse en suspens. Il s’agit d’être actif·ves face au film, par exemple dans l’interprétation d’éléments oniriques sinon mystiques qui adviennent dans On the go. Les réalisatrices font un pas de côté par rapport à la réalité pour nous permettre d’inventer de nouvelles manières d’être au monde, empreintes de liberté et de légèreté. « En tant que femmes, nous avons une grande part d’inconscient en nous, nous sommes imprégnés des idées de perte et de transmission, nous sommes des femmes mystiques. Cette façon de représenter la reine sirène ou la femme dans le pigeonnier, c’est une manière de dire notre part d’inconscient. » Et lorsqu’on demande comment on doit interpréter ces personnages, la réponse est simple : « Donne- leur le sens que tu veux, c’est ta part d’inconscient !  » Ce que veut Julia de Castro, c’est qu’en voyant ces éléments presque surréalistes, et en les interprétant librement, les spectateurs·trices reconnectent avec leur propre inconscient. 

Mais On the go est aussi une histoire d’amitié et de partage. Milagros découvre un univers, celui de la sociabilité pédée, des rencontres Grindr et des orgies au fond d’un box dans une ferme équestre. Certains aspects de la vie de chacun·e reste un mystère pour l’autre mais l’amitié est représentée comme une façon de s’ouvrir à ces mystères et de les accepter, d’en jouer aussi parfois. « Pour moi, c’est cela l’amitié : avoir la confiance suffisante pour partager un moment, un monde avec quelqu’un dont on est proche. L’amitié, c’est de faire confiance et de suivre l’autre sans condition. Chaque personnage traverse un moment clé de sa vie. Et pour moi, ce film parle de cette amitié sans faille. Tu peux te comporter de façon complètement folle, tu peux avoir tort, être dans l’erreur mais ton ami·e sera là pour toi. Julia de Castro et María Gisèle Royo avaient à cœur de représenter cette amitié intergénérationnelle qui dépasse les clichés qu’on associe traditionnellement aux gays et à leurs amies, une relation superficielle et futile. Ici, Milagros et Jonathan, malgré leur 15 ans d’écart, partagent une relation profonde et une amitié sincère. C’est une film sur l’amitié, avant tout. Le plus grand mérite d’On the go est de proposer de nouvelles modalités de relations et d’amour, libérées du couple, de la famille et de l’amour au sens romantique du terme.