« Pénis de femme » et futur album : on a discuté avec les DeserTGirlz

« Pénis de femme… pourquoi ? » : c’est ainsi que débute le premier morceau des DeserTGirlz, sorti le 11 avril. Écrit comme une réponse trash et moqueuse à la sortie du livre complotiste et transphobe Transmania, le titre se distingue par son ironie cinglante et son ambiance punk. Alors pour comprendre la fabrication d’un tel hit, leur vision artistique et l’importance de musique trash et trans, on a échangé avec Gazoline, Diamora et Nanette, les membres de DeserTGirlz.

Comment est née l’idée de ce morceau ?

Diamora : À la base on avait fait une résidence pour lancer ce groupe mais pas avec l’idée de faire ce morceau particulièrement. Pendant cette résidence-là, en zonant sur Internet on a vu que les affreux Dorian Moutot et Marc Stern [NDLR : c’est ainsi que les membres du groupe parlent de Dora Moutot et Marguerite Stern] annonçaient la sortie d’un livre qui à la base devait s’appeler « Pénis de femme », ce qui nous a rendu survénères. On s’est dit que ça serait parfait qu’on fasse un morceau là-dessus et qu’on le sorte en même temps pour zbeuler la sortie de leur livre car on savait que ça allait faire plein de shit sur Internet. D’autant plus que la sortie à la base, c’était prévu le 7 mars ce qui était d’autant plus énervant donc c’est pour ça qu’on l’a fait très vite. On était trop fières d’être bien prêtes le 7 mars mais peut être qu’eux étaient pas prêts donc finalement la date a été repoussée et le nom du livre a changé. Nous, on a gardé le titre.

Et comment vous bossez toutes les trois, est-ce qu’il y a des rôles bien définis ou c’est une sorte d’émulation artistique partagée ?

Gazoline : Ouais, c’est ça, on compose la musique ensemble, on fait pas mal de brainstorming, on évoque la vibe, on pose et on écrit et on dit si on est contentes !

Nanette : Sur ce morceau-là, on a fait un brainstorm surtout de trucs qu’on avait envie de dire, de stigmates qu’on avait envie de retourner. Le plus gros brainstorming ça a été sur les petites phrases pas chantées, les phrases désagréables entendues. Et après on a fait la prod toutes ensemble.

Dans les paroles, vous vous amusez des délires que projettent les transphobes sur les femmes trans. Pourquoi avoir opté pour un retournement par l’absurde de leurs arguments plutôt que pour un truc hyper pédagogique ? Pourquoi cette facette hyper colérique et revendicatrice ?

Gazoline : J’ai l’impression que ça existe pas tant, de queeros qui soient trashs comme ça. Et puis des groupes de meufs trans comme ça, on en connaît pas du tout. Des gens qui font de la pédagogie, il y en a déjà qui le font très bien, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans des bouquins. Et on avait envie de dire « nous aussi on a envie de dire de la merde ». Ce que ces gens disent dans leur livre, c’est pas plus absurde, on a entendu Marc Stern dire que l’étape après la transidentité c’était le Métaverse dans une interview sur Valeurs actuelles ! Notre morceau il est pas moins absurde que tout ce qu’elles peuvent dire.

Nanette : Il y a un petit côté « phrases chiantes qu’on entend dans la vie» et ce qu’on aurait aimé répondre. Jamais je fais ce truc de me foutre de la gueule des gens et là dans la chanson, de pouvoir le faire… Il y a un truc un peu soulageant. Faire un truc un peu conflictuel, arrêter d’être dans le « s’il vous plait, est-ce que vous pouvez bien nous laisser vivre ? » Quand il y a des trucs comme ça qui se passe, ça permet de prendre de la distance et de se dire « les gens même quand ils font de la merde, ça ne m’enlève pas de pouvoir ». Te mégenrer, ça serait un moyen de t’enlever ton pouvoir alors que quand t’en rigoles et que tu t’en fous – enfin quand t’arrives à t’en foutre, c’est pas tout le temps possible – à des moments c’est beaucoup plus facile de réagir comme ça.

Diamora : En vrai plein de meufs trans ont déjà expérimenté d’aller lire les trucs des TERFs sur Internet et être en PLS. Pendant cette résidence, moi c’était la première fois que je sortais de ça en ayant mal au ventre d’avoir tant rigolé et pas en ayant envie de me foutre en boule dans un coin.

J’ai vachement retrouvé ce plaisir en vous écoutant que j’expérimente avec dans des groupes punk et queers, comme Pansy Division par exemple et je trouve qu’en effet ça manque dans la musique LGBT actuelle. Est-ce qu’il y a des groupes comme ça qui font partie de vos inspirations ?

Diamora : Moi je trouve qu’il y a Dorian Electra qui fait ça un peu aux États-Unis mais c’est quand même plus lisse. On a sorti Pénis de femme mais il y a un album qui se prépare, il y a déjà huit chansons, des interludes et tout. À chaque fois qu’on s’est dit « viens on écoute tel truc car on veut faire quelque chose dans cette vibe » on a écouté des morceaux pas du tout queer. Et puis, il y avait aussi l’idée de reprendre des codes de musique un peu mascu. C’est cool de se dire qu’on a le droit de choper dans des trucs qui nous font triper même quand le fond politique ou de qui vient la musique nous fane… Surtout dans des musiques violentes, l’imaginaire n’est pas facile alors qu’on aime trop.

Gazoline : Je pense qu’on peut dire qu’il y a grave un truc punk dans le sens où quand on a des ennemi·es politiques, ils disent des trucs et t’as juste envie de leur répondre : « Oui ». Quand les TERFs répètent qu’il y a des trans qui se soutiennent entre eux pour conquérir la Terre avec la transidentité… Oui. Faire sortir les gens de l’hétéronormativité et de la cisnormativité… Oui ! On va pas s’excuser de ça ! Et puis ça fait du mal à tout le monde, dont à ces personnes là ! Je pense pas que Marc Stern et Dorian Mouton aillent bien, hein ! Il faut rappeler qu’on va pas se défendre de ce qu’on est, de ce qu’on fait. En vérité on est d’accord sur ce qu’il se passe, il n’y a pas à s’excuser.

Comment vous avez vécu la réception du morceau par la commu ? Et aussi la réaction d’elles deux car une d’entre elles a commenté votre post !

Nanette : Bah là, la vidéo elle a sauté sur Insta. Avant qu’elle saute, il y a eu vraiment plein de réactions qui ont fait du bien. Ça a été beaucoup repartagé, très bien reçu et c’était vraiment l’objectif principal, de faire du bien aux gens. Après, il y a eu les petites dingueries de Dorian Mouton et quelques fafs perdues qui ont dit des conneries mais je trouvais ça trop chouette qu’il y ait un espace de commentaires où il y a plein de potes et où tout le monde peut se foutre de leurs gueules et leur répondre.

Diamora : C’est bien la pédagogie mais partager une musique, quelque chose qui défoule, c’est autre chose… Ça faisait plaiz’ que des gens avec grave de la visibilité, qui ont des com’ un peu lissées des comptes Instagram avec plusieurs dizaines de milliers de personnes, partagent. L’évidence est à la solidarité, on est là pour les faire chier ensemble.

Vous avez donc parlé d’un album, est-ce que vous pouvez m’en raconter un peu plus ?

Gazoline : On est en train d’écrire les morceaux qui seront plutôt dans la même veine. On a envie de raconter des histoires, sur notre vie mais en en faisant des caisses. On a imaginé tout un univers avec des personnages. Pénis de femme, il est un peu concret car il parle d’un évènement précis mais tout le reste des morceaux racontent des histoires avec d’autres noms.

Nanette : Le pitch principal c’est que les Desert T Girlz c’est un groupe de musique mais c’est aussi un groupuscule activiste, enfin c’est pas un groupuscule, c’est comme les Charly’s Angels mais des meufs trans. Il y a Gazoline, Diamora et Nanette qui font régner le contraire de l’ordre et la loi de tout un tas de manières différentes.

Et par rapport à votre pseudonymat, vous compter rester cachées ou ça pourrait changer potentiellement ?

Diamora : Là c’est trop tôt. Je pense qu’on va encore avoir des petits fafs qui vont chercher à nous embêter. C’est quand même une petite sécurité de faire comme ça. La vidéo elle a sauté, c’est certainement qu’il y a eu un raid de signalements, là elle est en analyse par Instagram mais de toute façon elle est sur les plateformes, la chanson. Tout ce raid est sûrement parti du fait que les éditions Magnus, qui sont vraiment une maison d’édition suivie par les milieux fafs, ont fait une story. Là, la question est de rester anonyme pour se protéger et on verra plus tard ce qu’on a envie de faire.

Nanette : De toute façon on a plutôt envie d’incarner les personnages qu’on s’est créés, ça restera un peu ça le mood. En même temps l’idée de faire des concerts à un moment est là. On va voir comment cet anonymat est gardable. S’il y a des gens qui veulent nous faire jouer cet été…

Gazoline : L’anonymat, ça permet aussi de sortir d’un truc où quand tu fais partie d’une identité minorisée, une des façons de lutter c’est d’incarner ce qu’on est, personnifier des trucs. Il y a plein d’effets bénéfiques mais ça fait aussi que les gens se prennent super cher sur des trucs persos. On a pas besoin d’essayer à tout prix de vous prouver qu’on est des êtres humains pour obtenir du respect. Cette dynamique de personnification, elle amène parfois à des phénomènes de starification. Et en fait il n’y a pas besoin qu’on montre qui l’on est intimement pour qu’on puisse espérer recevoir du respect.

Diamora : Vu que des meufs trans qui font des trucs sur scènes, elle sont cinq, quand elles disent des trucs un peu de travers, tout le monde leur tombe dessus, y compris la commu parce qu’elle est déçues qu’elles pensent pas exactement comme il faut. Nous on a envie de dire des trucs trashs, donc ça nous mettrait aussi dans une position chiante, d’être reconnues.

Ce truc d’anonymat fait aussi que pour le ou la jeune queer, c’est hyper facile de se voir dans ce que vous faites.

Gazoline : Ouais, grave. D’autant plus que dans les chansons, il n’y a pas que les Desert T Girlz, il y a aussi d’autres personnages. L’album permet de travailler un grand nuancier des meufs trans, raconter des personnages hyper caricaturaux. L’anonymat permet d’être plein de personnes à la fois.

Le morceau Pénis de femme est disponible sur toutes les plateformes.