Poésie : « Nos teintes »

Il y a quelques semaines, nous avons publié un article intitulé « Pourquoi je ne lirai pas Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui ». Le texte évoquait, entre autres sujets, la fétichisation des mecs gays asiatiques au sein de la communauté. Aujourd’hui, par ce poème, nous vous proposons l’expérience du « camp adverse » : ce que c’est que de coucher avec un fétichiste racial.

Ce texte a été rédigé tôt dans ma vie. J’avais sans doute plus de tolérance pour ceux qui accomplissaient leurs fantasmes exotisants à travers moi. Je n’ai probablement plus cette patience et je m’en porte pour le mieux. Pourtant, j’affectionne encore ce texte car il me rappelle ce que je croyais et ce que j’essaye encore de croire, malgré la colère et les preuves du contraire : La déconstruction est possible pour ceux et celles qui le désirent vraiment.

Ce poème de Maxime Lavalle est illustré par Zoé Maghamès Peters

Exotisation du corp homosexuel pd asiatique - poésie - Friction MAgazine - Illustration Zoé Maghamès Peters
(c) Zoé Maghamès Peters

Nos Teintes

Ses mains serrent mes bras, empoignent mes côtes, pressent mes omoplates, frappent mes cuisses, mordent mon cou ;

Et je sens ses yeux qui pèsent sur ma peau.

Il en connaît les chemins éclaircis, cette peau si jeune mais déjà flétrie. Il frôle ces cheveux qui ne sont pas les siens, « de jais », « charbon », qui n’obéissent, ni à ses doigts, ni aux miens.

Il lèche ma peau « couleur café », raye ce dos tel « un bois clair », serre ces doigts « sucrés et brûlés ».

Et alors qu’il avale mes lèvres « mauves », je sens que j’éveille un goût lointain, fantasmé, entre sombre et éclairé. Il s’excite d’une peau sans nom, inconnue, qui le durcit par le désir d’exploration.

Alors, délicatement, j’effleure sa barbe rouillée, qui tranche avec son crâne blond, évoquant ces toisons de héros, champs de blé ; vieux continent fantasmé.

Sa peau écrue s’épouse à la saveur des grains de beauté, qui forme une carte tendre et constellée. Sous mes doigts, sa couleur se rougit, brûle d’un rose poudré.

Et je baise ses ongles nacrés, ses yeux d’écume, ses cuisses de marbre et ses joues séchées contre ses traits grecs. Je gravis son corps et m’étend contre son ventre gonflé, semblable à une lune de lait, pleine et généreuse. Je le déguste, je m’en empare.

Mes lèvres viennent susurrer tous ces mots à son oreille de soie, et les siens se perdent, comme armes du passé, étiquettes à demi-effacées.

Le silence vient alors et nous nous mêlons, libérés, dans un liquide semblable, qui transperce la peau et mélange nos teintes.

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