Qu’est devenue la Pride de Nuit ?

« C’est quand la Pride de Nuit cette année ? » Voilà la question qu’on aura pu lire un peu partout ces dernières semaines, sur Facebook comme sur Twitter. La très attendue manif parisienne tarde à annoncer une date précise, et pour cause : plusieurs des organisateur·ices d’origine n’ont plus l’intention de coordonner la marche, et annoncent leur départ du collectif. Dans un texte relayé sur Facebook, ielles dressent un constat extralucide et implacable sur ce qu’est devenue cette pride bis, « option radicale ». Avec leur accord, nous le reproduisons ici. 

Bannière de la Pride de Nuit 2017

Qu’est devenue la Pride de Nuit ?

Par Axelle, Cécil, Elodie, Gwen et Michela, engagéEs dans la Pride de Nuit dès son imagination

 

Qu’est devenue la Pride de Nuit ? Que peut-elle apporter qui fasse bouger les lignes et suscite de l’innovation politique ?

Quand nous l’avons conçue, ce fut comme un outil politique. Susceptible de produire des effets et à analyser en situation.

C’est pourquoi, nous n’avons jamais pensé que sa reconduction était un automatisme, mais à évaluer chaque fois en fonction d’objectifs : qu’avions-nous à dire, pour faire quoi et la Pride était-elle l’outil idoine ? En quoi ses effets étaient-ils bénéfiques et pertinents?

Il est indéniable qu’elle a porté des fruits et contribué à modifier, un peu, le paysage LGBT.

Elle a pu, même, à un moment susciter de l’inquiétude du côté de ceux qui nous gouvernent. Mais qu’en est-il en 2018 ?

Faute de parvenir à nous mettre d’accord collectivement sur son fonctionnement et le périmètre de son intervention, elle s’est réduite à peau de chagrin : il ne reste plus que l’organisation d’une marche annuelle et des signatures de soutiens, dispersées et quasi symboliques. Et sans suivi.

Le dynamisme peu à peu s’est tari, et il n’y a plus de travail de fond, ni de production de discours spécifique.

Elle est à la fois victime de son succès et de ses propres limites, faute d’avoir su trouver les modalités de s’investir pour la faire vivre au quotidien, elle est dépossédée de son originalité et de sa propre maîtrise.

Il est par exemple, frappant de constater à quelle vitesse, elle est désormais institutionnalisée.

Un phénomène déjà perceptible l’année dernière, quand les questions qui nous étaient adressées par l’extérieur ont toutes porté sur la date de la Marche et à aucun moment sur le fond.

Cette année ce phénomène s’est encore amplifié, touchant jusqu’au paradoxe de membres de l’Inter répondant aux interrogations sur leur mot d’ordre que pour une marche plus politique il y avait la Pride de Nuit, une réaction partagée par bien d’autres, notamment se réclamant d’une forme de radicalité, allant du « heureusement il y a la PdN » à « pour le politique j’irais la veille à la PdN »

Forme de succès mais aussi terrible constat d’échec, car ce que disent aussi ces réponses c’est qu’au fond peu importent les mots d’ordre, texte d’appel et revendications que nous choisirions.

Pour certain.e.s, cela relève d’une forme de confiance, et de ce point de vue nous avons bien travaillé, nous sommes crédités du travail des années précédentes, c’est malheureusement aussi une forme de dépolitisation puisqu’elle conduit à ne pas interroger ni l’outil ni la mobilisation (et c’est exactement ce qui a mené la Marche des Fiertés à se dépolitiser progressivement pour devenir l’institution annuelle qu’elle est désormais).

C’est aussi le signe que la Pride de Nuit n’a pas su tenir la double dimension de production d’une parole originale et innovante en même temps que l’ouverture d’un espace d’appel à action collective, d’expression et d’empowerment au-delà d’elle-même.

Elle n’est plus un appel communautaire à inventer le changement, un moteur de celui-ci mais s’est réduite à son incarnation la plus minimale : une marche en elle-même censée pallier aux manques.

La Pride de nuit est devenue un fourre-tout, statique plutôt que dynamique. Et au final, il y a à s’interroger sur : de quelle réflexion et action, la Pride de Nuit nous exonère-t-elle, nous en tant que collectif, mais aussi nous en tant que communauté, quand quasi unanimement la sphère militante répond à la transparence politique et communautaire par l’existence de la Pride de Nuit comme une parade radicale, gratifiante qui permet en bonne conscience d’attribuer l’inexistence commune à l’Inter ou à un courant mainstream.

« Nous sommes considérés comme des prestataires de service, des organisateurs de marche, option radicale de la Marche des Fiertés. »

Nous refusons de participer à masquer par la seule mobilisation de rue, et l’action un jour par an, que nous sommes déficients et absents du débat public, alors qu’il est urgent et nécessaire d’inventer de nouveaux outils et militance.

C’est un mal récurrent dans la communauté, que de privilégier nos attachements à des machines et outils pour les faire perdurer alors même qu’ils perdent de leur pertinence, espérant toujours les voir évoluer et de préférer nous accrocher à leurs aspects positifs en nous aveuglant sur les effets négatifs produits simultanément.

Il nous apparaît que la Pride de Nuit telle qu’elle existe aujourd’hui a produit ce qu’elle était en capacité de produire.

Nous avons contribué à une forme de repolitisation, à redonner place et élan notamment aux dimensions antiraciste, anticapitaliste et féministe de nos luttes. Nous nous sommes inscrits en soutien à l’intérieur de la communauté du développement de discours plus critiques, où les questions économiques ont désormais plus de place, où les questions de répression et de violences étatiques sont réinvesties.

D’autres Pride de nuit sont nées (ou en gestation) ou ont repris l’appellation.

Mais la dimension réjouissante de ces extensions de la lutte ont également des effets sur le sens donné à l’appellation.

Toutes ces nouvelles Pride de Nuit ont mis l’accent, contrairement à nous sur des discours de radicalité, de riposte, de la rue comme lieu principal (et pour certain.e.s unique lieu) de la lutte ainsi que de non-mixité.

A nous contenter de visibilité ponctuelle et de répétition du seul mode d’action de la marche, nous nous sommes éloignées de l’exigence qui était nôtre au départ de participer à l’élaboration d’un rapport de force constant et de l’imposition dans l’espace public d’alternatives discursives.

Si nous avons bien réussi à offrir aux autres groupes un espace où se rendre visible, cela demeure de la visibilité intra-communautaire et c’est au détriment du développement de notre propre parole. Finalement nous sommes considérés comme des prestataires de service, des organisateurs de marche, option radicale de la Marche des Fiertés.

Nul doute qu’il suffirait d’annoncer une date et un rendez-vous, de créer un event et de pondre 5 lignes reprenant les éternelles mêmes revendications pour que la Pride de Nuit 2018 soit encore un succès, que le nombre de signatures en bas de l’appel et le nombre de participants continuent sur la lancée des années précédentes d’augmenter.

« La Pride de Nuit n’avait-elle d’autres ambitions que de parader un jour par an, de nous faire plaisir et nous décerner des brevets de radicalité ? »

D ‘aucun.e.s estimeront que le fait qu’une marche, un chouia plus politique que la Marche des Fiertés ne cesse de grandir est une raison suffisante pour l’organiser, que le contexte la rend même encore plus nécessaire, et que le fait de se faire plaisir ne devrait pas être négligé.

Mais la Pride de Nuit n’avait-elle d’autres ambitions que de parader un jour par an, de nous faire plaisir et nous décerner des brevets de radicalité ?

S’il faut faire la balance des effets produits et attendus, une marche de plus, même avec une affluence et une audience en hausse nous apparaît certes nourrir à court terme un sentiment de satisfaction, mais elle ne produit pas de remise en question des méthodes de lutte, de leur inefficacité concrète (quels résultats obtenus ? ), ni de réflexion sur les outils à penser en adéquation avec la situation.

Cette multiplication des marches qui ne transforme en rien les rapports de forces qui nous écrasent nous entraînent dans un militantisme apparemment contestataire mais en réalité versant assez significativement dans une forme de routine.

Ainsi on peut penser d’ailleurs que déjà l’année dernière par exemple, l’action pertinente ne fut pas la Pride de Nuit qui elle ne fut que ce qu’elle était attendue d’être, mais l’enchainement des deux actions du Claq (banderole sur le pont ; blocage d’En Marche pendant la Marche des Fiertés)

Pour toutes ces raisons, nous pensons que la meilleure façon d’inciter, cette année, la communauté à se bouger, n’est pas de lui offrir le confort et la Pride de Nuit dont elle a pris l’habitude et qu’elle attend, mais au contraire de la confronter à la nécessité de se renouveler et de se passer de substitut.

 

Axelle, Cécil, Elodie, Gwen et Michela,

Des militantEs engagéEs dans la Pride de Nuit dès son imagination

 

 

On parle de la nécessité de re-politiser la Pride et le mois des fiertés par ici.

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