L’année 2023 aura été riche en émois cinéphiles et dans les nombreuses B.O qui ont fait palpiter nos cœurs, on a souvent reconnu une voix, une atmosphère bien familière. Split, À mon seul désir mais aussi un morceau pour le réalisateur Hugo Bardin/Paloma, Rebeka Warrior aura plus que jamais envahi le monde des images.
Difficile de parler de Rebeka Warrior sans évoquer ses nombreuses collaborations, groupes et duos : Sexy Sushi, Kompromat, Mansfyeld.TYA… Et désormais son EP intitulé Dans le spectre, élaboré avec Oméga et Claire Ottaway. Quand on lui demande ce qu’elle trouve dans ces très nombreuses rencontres artistiques, la réponse est simple : « Je me ferais chier toute seule. »
En des termes plus poétiques mais tout aussi francs, Rebeka explique qu’elle considère le rapport artistique comme un rapport amoureux. Ce sont des moyens d’éviter l’ennui, de fuir les automatismes qui viennent lorsqu’on est seul·e : « Quand je vais chercher Vitalic, il m’aide à découvrir tout un pan de la production que je connais pas car il est très fort » raconte-t-elle. « Avec Carla Pallone, la moitié de Mansfield.TYA, je vais découvrir une partie de la musique classique et baroque. »
Pour les réalisatrices, c’est la même chose. Souvent, elle peut même écrire des morceaux sans avoir besoin de voir les images, uniquement guidée par les échanges avec les réalisateur·ices. « Quand j’ai rencontré Lucie et Iris, j’ai matché avec elles. » dit-elle.
Lucie, c’est Lucie Borleteau, la réalisatrice d’À mon seul désir. Sorti le 5 avril, ce long-métrage, sorte d’éloge à la sororité, suit la vie et l’art d’une troupe de strip-teaseuses. Quant à Iris, il s’agit d’Iris Brey, réalisatrice de Split, une série à la mise en scène délicate qui se concentre sur la rencontre amoureuse entre une comédienne et sa doublure cascade. Dans plusieurs épisodes, on entrevoit l’influence de Rebeka et pas seulement à travers la B.O qu’elle signe en duo avec Maud Greffray. Un pull siglé de WARRIORECORDS porté par un personnage, «I fall at 5» diffusé dans un bar… Quand on l’interroge sur ce que ça lui fait, cette façon d’être convoquée ainsi, de sentir son influence passée là où elle vient créer des morceaux présents, elle relie à nouveau cela à son besoin de connivences. « C’est des connexions de mondes en fait, avec la communauté féministe, lesbienne, les gens qui font de la cold wave, de la new wave, expérimentale même. Disons que je baigne moins dans le monde des hétéros qui font de la variétoche ! »
Il en a été de même avec Paloma. C’est à Clermont-Ferrand qu’elle a rencontré la gagnante de Drag Race France Saison 1 qui est également réalisateur-scénariste. Tous·tes deux faisaient partie du jury de la Queer Palm du festival de courts de la ville, leur confiant la tâche de récompenser d’un prix un film qui aborde des thématiques LGBTI. Ce n’était pas la première fois que Rebeka endossait ce rôle puisqu’elle a souvent été appelée à juger des courts-métrages. Elle raconte qu’elle aime ce genre d’expériences, surtout en tant qu’artiste à l’activité si « polymorphe ». Cela lui permet de rester sur le même univers pendant une semaine mais d’aussi de faire des rencontres artistiques, comme avec Hugo, justement.« On a tout de suite eu envie de ricaner, discuter. Et puis j’ai été très fascinée par lui, raconte Rebeka, quelqu’un d’assez réservé, timide, très intéressant, qui a une culture ciné très fat et qui a été propulsé comme ça sur le devant de la scène par Drag Race, un programme qui a vraiment ramené des milliers de téléspectateur·ices »
Public dont Rebeka n’a pas fait partie, ce qui, justement, lui a permis de rencontrer Hugo d’une façon plus intime. « Ça m’a fasciné ce personnage et cet accès à la célébrité d’un coup, j’ai eu envie de lui écrire un morceau qui parlait de ça. » Ce projet a donné lieu à une collaboration avec RAUMM, qui l’a aidée pour la composition. Un morceau qui sortira sur une compilation de WARRIORECORDS au printemps.
Curieux, on demande à Rebeka si elle se verrait imaginer des collaborations plus inattendues, nées plus loin de ses cercles. Si on rigole en imaginant une B.O sur un film de Christian Clavier, elle rappelle toutefois qu’elle est intéressée par tous les styles, du moins s’ils sont bien amenés. Ce qu’elle refuse, c’est la facilité. Elle évoque ainsi un thriller réalisé par Angela Ottobaha, Paula et pour lequel elle a également travaillé sur la B.O. « C’était vraiment hyper épanouissant pour moi car je pouvais faire une musique plus radicale, plus extrême et éloignée de ce que je fais d’habitude. Moi je suis toujours en recherche de nouveauté. »
Elle mentionne également le spectacle Einstein on the beach, un opéra de Philipp Glass et Robert Wilson, qu’elle a vu récemment. « Ce sont des contrées qui me parlent vraiment. » dit-elle. « J’aime la poésie de la langue, les tensions, les silences… »
Par exemple, si elle devait s’imaginer signer une B.O pour n’importe quel réalisateur·ice, vivant·e ou mort·e, le nom de Mizogushi et de Cocteau viennent aussitôt. Le réalisateur du Testament d’Orphée parle énormément à la fibre poétique de Rebeka, que ce soit ses écrits ou ses films. « Il y a quelque chose de très minimal, je trouve ça fascinant, explique-t-elle Avec très peu d’effets, il fait passer du royaume des morts au royaume des vivants. » Elle ajoute en riant qu’elle suppose qu’il était quand même « misogyne et un peu concon. Mais bon, on croise les doigts, ça se trouve je l’aurais fait quand même. »
Une collaboration qui n’aura jamais lieu, étant donné qu’en plus d’être potentiellement désagréable, Cocteau restera mort pour encore un bon bout de temps. Alors on se console comme on peut en ayant l’assurance que Rebeka Warrior continuera son travail musical et cinématographique avec d’autres réalisateur·ices, toujours guidée par sa curiosité et les rencontres artistiques qui font évidence.
Vous pouvez écouter l’EP Dans le spectre dès aujourd’hui.