Rencontre avec Stéphanie Garzanti à l’occasion de la sortie de « Petite Nature »

Avec Petite Nature, Stéphanie Garzanti nous propose une série de textes ciselés tantôt poétiques tantôt prosaïques mais où l’on sent toujours le plaisir et le bonheur d’écrire. Publié aux éditions Cambourakis que l’on affectionne toujours autant, Petite Nature est une série d’instantanés dans lesquels on croise aussi bien Dalida que Wittig ou un paon qui mange du popcorn. C’est à la fois intriguée et fascinée que j’ai demandé à l’autrice de bien vouloir en discuter avec moi. Rencontre.

Bonjour Stéphanie, merci d’avoir accepté de discuter avec moi au sujet de Petit Nature. Je crois que la première question qui me vient en tête, c’est celle de l’appartenance générique de l’ouvrage. Est-ce que tu peux nous dire comment tu l’envisages, toi ?

Merci de l’interêt que tu portes à mon livre et de l’occasion que tu m’offres de m’exprimer ici.

Pour moi, Petite nature c’est de la littérature expérimentale, c’est une catégorie tellement large que cela permet à peu près tout ! Davantage que de décider d’écrire de l’autofiction, de la poésie, de la théorie, ou autre, je préfère penser qu’on peut y repérer de l’autofictionnel, du poétique, du théorique, du romanesque aussi… et je ne m’inquiète pas de passer d’un genre à l’autre librement à l’intérieur d’un même texte parfois. Environ la moitié des textes a été écrite pendant des ateliers d’écriture (How to SupPRESS University Writing, organisés par Émilie Notéris), ils répondent à une « contrainte » qui s’apparente plus à une rampe de lancement qu’à une limite… C’est comme ça qu’à une proposition d’écriture de manifeste je réponds en annonçant rédiger une élégie par exemple, mais déconstruite l’élégie, à la manière dont je souhaite l’envisager à ce moment-là (dans Répondre à toutes). J’essaie de ne rien figer, je ne décide pas tout à l’avance et je cherche surtout un espace de liberté dans l’écriture. Je trouve aussi que recueil est un très beau mot. C’est bien entendu l’ouvrage où les textes sont réunis, ce qui caractérise bien le projet, mais c’est aussi un terme à la polysémie complètement résonante pour ce livre.

On n’est pas vraiment dans de la nouvelle, pourtant certains textes s’en rapprochent, avec un vrai travail sur la chute… Ce twist final, c’est quelque chose d’important pour toi ?

Je n’emploie pas le terme nouvelle concernant les textes réunis dans Petite nature. La forme courte est induite par le temps que je peux consacrer à l’écriture, qui est celui qu’il me reste après mon travail. La question de savoir quand un texte est terminé nous a souvent traversées pendant les ateliers d’écriture. Je finis un texte quand je n’ai plus rien à dire (à vrai dire, c’est plutôt de développer qui n’est pas simple pour moi) mes textes sont plutôt denses et ramassés. Ils peuvent se suffire à eux-mêmes. Avec des textes courts comme ça j’ai plutôt intérêt de soigner le début, le milieu et la fin ! Leur brièveté ne permet pas d’oublier des éléments au moment de la lecture. Dans la forme le texte se termine parfois avec un saut de ligne avant la dernière phrase. Cela induit une pause dans la lecture, sans changer tout le sens du texte, ça conclut l’expression.

Je me suis beaucoup interrogée sur l’usage du tiret bas. J’y ai vu une sorte de notation musicale qui tissait des liens au sein de groupes nominaux. Est-ce que tu peux nous en parler ?

C’est un élément qui interpelle les lecteurices, et si les interprétations varient, tu es la première personne à y voir une notation musicale.

Nous avons discuté avec Isabelle Cambourakis, mon éditrice, au tout début du travail ensemble, des éléments qui reliaient les textes entre eux. Nous nous étions posé la question d’une couleur dominante dans le livre par exemple. Cela me plaisait bien parce qu’il y a beaucoup de références à des oeuvres visuelles dans les textes. Naïvement, et peut-être parce que le titre me renvoyait littéralement à cette couleur, j’étais certaine que le vert était la couleur la plus présente dans Petite nature. Après des décomptes, le noir était aussi très présent mais j’ai réalisé que le texte était surtout multicolore ! J’avais déjà présent dans un texte un underscore entre un nom et une couleur (c’était un nom de fichier informatique) et nous avons décidé d’essayer d’en mettre un à chaque couleur, avec des règles assez précises (toujours avant la couleur, mais aussi avec des exceptions, par exemple dans les expressions à double couleur comme en noir_et_blanc). (J’ai lu plus tard le très beau livre de Lou Dimay, Le souffle, publié chez aux éditions Blast , qui est à ce titre un parfait exemple de livre bleu). Le résultat c’est que ce soulignement attire notre regard sur les couleurs et apparaît comme une couture visible qui surgit à des moments du texte. C’est un comme un fil qui traverse les textes et qui reste apparent parfois. Cela participe à la visibilité du travail au même titre que les questions sur l’écriture que je peux poser à l’intérieur même d’un texte.

Il y a une esthétique de la ruralité, dans ce qu’elle a de cru parfois, qui traverse le livre. Est-ce que tu peux nous parler de ce rapport à ce milieu d’origine ?

Je n’ai malheureusement jamais vécu à la campagne, c’est un fantasme pour moi. J’ai habité, mes dix-huit premières année, dans une petite ville minière que j’ai toujours voulu quitter, je vivais dans un lotissement. Il y avait quand même un lien à la ruralité par mes grands-parents qui vivaient eux à la campagne. Au rythme des saisons j’allais aux champignons, aux pissenlits, au bois, aux jonquilles, au muguet, aux mûres, faire les vendanges… j’étais une paysanne du dimanche quoi !

Le gros problème, c’est de septembre à avril : la chasse… fin du fantasme.

Tu évoques beaucoup le milieu rural provincial, pourtant tu habites et travaille à Paris dans le monde de l’art. Que penses-tu des textes ou articles qui te présentent comme une transfuge de classe ? Que penses-tu de cette notion en général ?

Quand j’évoque des souvenirs d’enfance et d’adolescence, ils se situent en effet en province, puisque que c’est là où j’habitais. Cela fait vingt ans cette année, en 2023, que je vis autour de Paris mais je ne travaille pas dans le monde de l’art, j’enseigne dans un collège.

Barbara Fasseur a en effet écrit, dans la première recension de Petite nature que je livrais dans ce livre «en creux, (m)on parcours de transfuge de classe».

C’est une interprétation possible… Oui, j’ai fait des études alors que mes parents non, je m’intéresse à l’art, j’ai des ami·e·s artistes alors qu’il n’y en avait pas dans mon entourage quand j’étais plus jeune. C’est le cas de beaucoup de personnes de ma génération qui vivent dans des grandes villes, et fréquentent un milieu qui n’est pas leur milieu d’origine.

Si on parle des récits les plus cités de transfuge de classe dans la littérature, la première figure à laquelle on pense est Annie Ernaux bien-sûr. À mon âge, elle avait déjà publié quatre livres ! Ou Edouard Louis, il avait 22 ans au moment du succès de son premier livre…

Je dessine et j’écris depuis quelques années, c’est une chance de pouvoir developper des projets artistiques, d’échanger et de collaborer avec des personnes intéressantes, intelligentes et généreuses, cela a fondamentalement changé ma vie de ne plus seulement être spectatrice, je suis plus heureuse. Néanmoins mon quotidien reste commun et habituel, c’est ce que dit la répétition de ce passage dans le texte qui s’appelle Un bureau, un vélo, un sous-main ou une enfance comme support : « Le vélo, c’est primordial pour se rendre au collège, vingt minutes le matin, vingt minutes le soir, du lundi au vendredi, de septembre à juin, excepté les petites vacances. ».

Tu tisses également un réseau de connexions d’une sphère lesbienne/queer parisienne qui peut nous être familière à la lecture et dans laquelle on peut reconnaître telle ou telle connaissance. C’est si petit que ça, la Lesbianie ?

Quand je vivais à Lyon pendant mes études, une de mes amies qui venait du même coin que moi et qui elle vivait déjà à Paris, m’envoyait des petits paquets avec des photos d’elle, de ses amies, les publications du Pulp et les autres fanzines du moment. J’avais l’impression de connaître un peu tout le monde lesbien ! Ça paraissait en effet un petit monde ! Maintenant avec les magazines en ligne, les blogs, les newsletters, les comptes Instagram, les podcasts, la visibilité est encore plus grande, ça permet beaucoup d’échanges, des rencontres, des collaborations et d’élargir le repérage, la connaissance des projets qui se font un peu partout. Au milieu de tout ce qui ne tourne pas rond dans le monde, la bonne nouvelle est que la Lesbianie, comme tu l’appelles, semble bien plus grande que ce qu’on imagine !

Il y a un très grand travail sur l’oralité. Est-ce que des mises en voix sont prévues ? (Et si ce n’est pas le cas, nous sommes hyper partant·es pour envisager quelque chose ensemble de ce côté-là !)

Oui, le texte comporte du langage parlé, des expressions familières (en italique) qui dites ou entendues le plus souvent sont ici écrites et peuvent refléter une époque et une classe sociale, un lieu. L’oralité est bien présente même s’il y a peu de dialogues. Dans les parties plus « écrites » je travaille les « sonorités » aussi avec parfois des passages plus poétiques, des purs plaisirs de diction avec des assonances, des allitérations, des vers, des phrases longues, ou des paragraphes à dire sans reprendre son souffle…

À un moment, quand le texte est déjà bien avancé je lis à haute voix, le flux des sonorités m’aide à developper l’écriture.

J’adore lire à voix haute, c’est quelque chose que j’ai découvert dans les ateliers d’écriture en parallèle de l’écriture elle-même. Et aussi, depuis bien plus longtemps en allant écouter les autres, sur scène, dans des bars, des galeries, des centres d’art. J’ai toujours un peu d’appréhension à lire en public évidemment mais quand c’est parti c’est un vrai plaisir. J’ai eu la chance de pouvoir lire des extraits de Petite nature pendant son écriture dans l’exposition Prémonition de Jagna Ciuchta à l’Artothèque de Caen, c’est une expérience hyper interessante, elle permet de remanier les textes pour qu’ils « sortent » mieux, et qui invite aussi à un vrai travail de choix, de sélection, de montage, et d’échanges avec le public bien-sûr, mais aussi avec l’environnement. J’ai plusieurs rencontres prévues dans des librairies et des centres d’art, à chaque fois je propose de lire quelques textes.

Al Baylac, qui a écrit Colza, également publié aux éditions Blast, m’a raconté qu’il avait fait sur scène une lecture de son livre en entier. Ce doit être une expérience incroyable, depuis je suis fascinée par cette idée, même si Petite nature me paraît trop long pour ça ! Mais la question de la longueur, de l’épuisement, que je travaille dans certains textes avec des listes interminables, des répétions, ça m’intéresserait aussi de l’explorer oralement.

Je suis curieuse de savoir ce que tu envisages de ce côté-là !

Petite Nature, Stéphanie Garzanti, éditions Cambourakis, collection Sorcières, 18€