Berlin, mars 2019. J’ai pris l’avion de 7h pour venir gagner ma croûte dans ma ville de coeur. Lorsque je sors de l’avion, je suis prise d’un élan nostalgique. Auparavant la teuf, désormais le taf.
Je suis actrice porno. Porn performer en anglais (je préfère, c’est plus politique !). Je n’ai pas énormément de films à mon actif, sept au total. Je privilégie les productions dites féministes, surtout celles qui ont une approche artistique de la pornographie. Ceci me permet de combler à la fois un désir de cul et un désir de cinéma. Je ne suis pas contre le porno mainstream mais je suis totalement pour un porno équitable, bio et queer. Je refuse de tourner avec des hommes cisgenres à moins de recevoir un scénario où les relations f-h sortent du schéma pipe-levrette-faciale. Pour l’instant, on ne m’a rien proposé de tel…
Je ne suis pas arrivée sur un plateau de tournage par hasard. A 15 ans je clamais haut et fort à la cafétéria du Lycée Ste Marie du Port d’Olonne sur Mer (85) que je serais actrice porno. Ce qui avait alors un air de blague ressemblait davantage à un moyen de revendiquer ma singularité face à une armée de jeunes étudiante.e.s rêvant d’écoles de commerce.
L’envie de faire du porno a remué mon être des années durant. Pourtant, j’ai tourné ma première scène explicite à 26 ans. Autrement dit, j’ai pris mon temps.
À l’école de théâtre (j’ai alors 21 ans et suis en contact avec Ovidie), je me souviens d’un professeur. Ce jour là il évoque les “filles qui finissent dans le porno”. J’entends qu’il s’agit pour lui du bas de l’échelle sociale. De l’illustration nette et claire de l’échec. Ses mots sonnent comme un avertissement, je regarde mon ami Titouan, mon seul confident d’alors, et je me mets à flipper.
Le porno…
Pas maintenant.
2014, j’étudie toujours le théâtre mais mon esprit est ailleurs. Dans les films et les photos d’Emilie Jouvet, dans les textes et le documentaire “Mutantes” de Virginie Despentes et dans à peu près dans tout ce qui parle de féminisme pro-sexe. La curiosité mêlée à l’envie d’incarner le sexe m’amène à tourner ma première scène explicite, accompagnée par la future porn star et déjà activiste Maria Riot. Ambitieuse, j’admire alors sa détermination, son courage d’embraser le porno avec toute son âme. Ses discours sont clairs et sa beauté irradie dans les films. Je comprends que nous partageons un même vécu lié à notre corps. Je me sens rassurée à ses côtés, désirable et légitime. Je me mets à chérir mes bourrelets. Contrairement à Maria, mon ambition ne se porte pas sur la pornographie mais sur la photographie et j’y consacrerai alors tout mon temps.
Mais plus je repousse les limites de la bienséance en image, plus le mot “porno” revient à la charge. J’accepte alors de tourner un film en solo pour Poppy Sanchez, celle qui réalisera plus tard “Tease Cake”. Dans ce film, je suis face à mon reflet et je me dis des mots d’amour. C’est une étape importante dans mon cheminement féministe puisque ce film parle du rapport au corps, de la nécessité de prendre un temps pour soi et de vivre le sexe au-delà de la performance et des injonctions de beauté.
Je le comprends mieux désormais. Ce désir de faire vivre ma sexualité à l’écran, c’est aussi un moyen de m’extraire d’un male gaze surpuissant, de participer à proposer des alternatives pour qui n’en peut plus de voir les mêmes images et les mêmes corps partout et tout le temps. Je veux qu’on se branle sur moi parce que ce serait un signe que le désir n’a pas de normes.
Et puis, arriver sur le plateau, entrer dans le champs de la caméra, écouter les directives, c’est pour moi un moment unique. Je quitte partiellement Romy Alizée pour devenir Romy Furie, tout en restant attentive, toujours sur le fil. Je ne suis jamais totalement présente ou absente, je prends en compte les bruits environnants, les caméras, je doigte des chattes pendant que la mienne est fistée et je songe à ce que ça me fait d’être filmée, là, comme ça. J’écoute ma ou mes partenaires mais parfois je ne les entends plus et je retombe dans le réel, je me sens toute drôle, à m’agiter sur ce matelas ou cette table, recouverte de fluides pendant que des gens checkent leurs téléphones à deux mètres de moi. Les moments techniques sont curieux car ils peuvent briser l’intensité d’un moment mais ils rappellent au passage que tout ça, c’est du cinéma. Mon corps est traversé de mille sensations et c’est ce que j’aime le plus. Être disponible et me laisser embarquer dans une performance du sexuel, dans laquelle je tente de trouver mon équilibre tout en balançant de la jouissance frontale à mes futur.e.s spectateurs-ices.
Finalement, je ne regrette pas d’avoir commencé sur le tard. Il m’apparaît bien plus facile d’assumer cette facette de moi-même à 30 ans plutôt qu’à 20. La société évolue, moi aussi.
…
Berlin, au mois de mars ne m’offre qu’une pluie incessante mais par chance, l’appartement dans lequel je tourne est cosy et habité par une jolie petite chatte noire ronronnante. J’entre dans le champs, anxieuse comme à mon habitude, sans savoir que pour la première fois de ma petite carrière, j’aurai deux vrais orgasmes face à la caméra.