Toutes aux frontières : 1ère, 2ème, 3ème génération : on s’en fout, on est chez nous !

C’est samedi soir à Nice, cela fait un peu plus d’une semaine que les terrasses ont ré-ouvert. La Promenade des Anglais ressemble à un rêve, une promesse de retour à la vie d’avant : les gens sont souriants, beaux, musclés, bronzés, ils boivent des trucs qui ont l’air chers dans des verres qui brillent comme leurs dents, le soleil et la côte d’Azur. La Promenade est propre, des policiers surveillent, des oiseaux volent autour des caméras de surveillance, tout est d’un calme oppressant jusqu’au petit groupe qui joue au foot et coche la case diversité (comme s’ils avaient été embauchés pour jouer au foot à cet endroit précis – par le même fonctionnaire de la mairie qui a été commissionné pour peindre les rues piétonnes en arc-en-ciel). Le paradis est un enfer jusqu’à ce qu’on entende un brouhaha montant du bord de mer. Derrière la petite rangée de personnes propres, belles, musclées, bronzées, souriantes, portables à la main qui semblent s’amuser d’un spectacle déroutant, plus bas sur les galets apparait un groupe amorphe, sombre, bizarre et dissonant et qui écoute une musique à peine audible, parce qu’elle sort d’une enceinte transformée en soundsystem à l’arrache. En tout cas, on sait que ce n’est pas de la Bonne musique. Par moments, un tentacule de cette matière amorphe, de ce groupe échoué sur la côte, se détache pour se ranger, dos à la mer, shorts baissés, accroupi, avec un filet d’urine tentaculaire qui coule jusqu’à la méditerranée.

Les voix qui sortent de l’étrange animal à cinq chattes chantent — et la meute sur les galets, accompagne :

“Estrosi… Estrosi… on a pissé dans ton eau… Estrosi… Estrosi… Estrosi… on a pissé dans ton eau”

L’apéro sur la plage de l’Opéra était prévu dans la programmation comme un prolongement de la manifestation de Toutes aux Frontières, le week-end du 5 juin. En réalité, Toutes aux Frontières était d’abord un évènement international qui aurait dû avoir lieu à Vintimille, en Italie, et qui appelait différents groupes féministes européens à venir se réunir et manifester contre les politiques de la Forteresse Europe. A cause du contexte sanitaire, la manifestation s’est décentralisée, mais est restée tournée vers la frontière liquide et mortelle qui a un jour été le centre du monde, et dont le nom dénote la vocation de relier, autant que de séparer. Les politiques de la géographie ont fait de la Méditerranée un nouveau Finis terrae.

En tout cas, ce petit apéro convivial s’est révélé être une excuse pour boire un max de bières afin d’avoir envie de pisser en chantant le chant mentionné pus haut : telle est la joie de salir le rêve des fachos. Tel était le ton de la manif. Nous n’étions pas 10.000 meufs prévues, mais assez pour que dix pelos de l’action fasciste niçoise se présentent place Masséna, le point de départ, avec des banderoles qui pouvaient faire penser qu’ils se considèrent comme les protecteurs des françaises — ce qui ne les a nullement empêchés de brandir des pancartes en défense des françaises d’une main, tandis qu’ils leurs donnaient des coups de poing de l’autre. Belle image de la protection masculiniste contre laquelle on manifestait. Si cela sème des doutes dans ton esprit, cher.e lecteurice, sur la bonne foi de ces protecteurs nationalistes, j’avoue que je les partage également. Leurs pancartes perraves “informaient” que 52% des responsables de viol sont des étrangers. Sans mettre le chiffre en question (cela a déjà été fait ailleurs, puisque c’est une manipulation assez grossière par le RN des informations du rapport de l’Observatoire de la délinquance et des réponses pénales, voir cet article), cela laisserait encore un violeur sur deux de nationalité française : on les expulse aussi ? Aucun mot de la part des fachos sur ce point, mais j’imagine que la réponse est plutôt non et je suis d’accord, vu qu’en terme d’export d’armes de guerre la France excelle déjà. La question reste néanmoins dans l’air et elle est assez étouffante. Du coup, un des cris de la manif a été

“de l’air, de l’air, ouvrez les frontières !”.

Une manifestation réduite en taille, donc, une réponse d’un nous enfermé depuis plus d’un an et qui n’en peut plus de voir les frontières de nos mondes se rapetisser. Je n’ai pas pissé dans l’eau d’Estrosi, mais très personnellement, j’ai pu réaliser mon rêve le plus cher depuis mon arrivée en France : je me suis placée derrière les meufs sans-pap, défilant devant la rangée d’hôtels et de beaux visages sains et bronzés, j’ai enfin pu crier avec elles haut et fort :

1ère, 2ème, 3ème génération : on s’en fout, on est chez nous !”.

NB : Un communiqué a été écrit vis à vis des violences policières par des personnes encore sur place, je vous le fais suivre.

« Pendant la manif du 5 juin à Nice « toutes aux frontières », une personne a été ciblée et violemment arrêtée.
Pendant cette arrestation plusieurs personnes ont été frappées par la police.
7 autres personnes ont été arrêtées à la fin de la manifestation.
Elles ont toutes été mises en garde à vue, accusées par la police de dégradation de bien public, en l’espèce de graffitis sur du mobilier urbain.
Nous sommes toujours dans l’attente de leur libération. Nous restons surprises de la démesure de la répression face aux revendications féministes dans le contexte frontalier.
En effet, la préfecture a procédé à des arrestations abusives tout au long de la journée. De plus le préfet a décidé de supprimer la totalité des trains de la région pour empêcher des manifestantes de rejoindre la manifestation d’hier. Sur décision préfectorale une partie du cortège italien qui rejoignait la manifestation à Nice a été refoulé illégalement vers l’Italie ( un manifestant est toujours en garde à vue à la paf de Menton)
Libération pour toutes. »

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