Le projet tRace ta voix est porté par le collectif des hassisées et a pour vocation de donner la parole aux meufs et queer des quartiers populaires et de l’immigration, notamment par le biais d’un atelier d’écriture notamment. Nous avons échangé avec les membres du collectif.
Est-ce que vous pouvez nous parler de votre collectif ? Quand est-il né ? Que défend-il ?
Le projet est né l’été 2019, porté par le duo d’amies Hanane (Lady Gaza) et Hassiba (DJ Bou).
Nous nous connaissons depuis presque 8 ans et nous en avions marre des évènements féministes et queers, dans lesquels nous ne retrouvons pas nos sons, nos ambiances, nos danses, nos corps. Dans ces lieux d’expressions et militants, on croisait toujours le même type de personnes, à qui on ne ressemblait pas. Najate (Naj) nous a rejoint rapidement, et a impulsé des ateliers d’écriture, pour faire entendre nos histoires.
La communauté queer est traversée par du racisme et du mépris de classe. Nous avons toutes vécues des moments qui nous ont humiliées, révoltées : exotisation de nos corps, fantasmes sur les meufs de banlieues, renvoi à nos origines et à notre soit disant colère, maternalisme, négation de nos réalités sociales et matérielles, jugements sur les difficultés dans nos familles, injonctions à sortir du placard … tout ça en nous mettant en position de devoir prendre en charge leurs problèmes existentiels, bien loin de nos réalités ou de nos capacités de résilience.
De plus, dans les espaces queers plus racisés, nous ne trouvions pas non plus notre place. Même si nous partageons l’expérience du racisme en France, souvent nous n’avons pas la même origine sociale. Et nous le ressentons dans ce milieu, où encore une fois, nous sommes les “racailles”, les “vénères”, les “analphabètes politiques” mêmes…
On a donc décidé de s’appeler les HASSisées. C’est la contraction de HASS ( misère, galère en arabe) et racisées, car il est essentiel pour nous de marquer notre identités de classe, de meufs et queers des quartiers populaires et de l’immigration.
Quel est le but de votre projet tRace ta voix ? À quelle nécessité répond-il ?
Nos soirées “tRace ta voix” sont donc donc nées de ces constats et proposent trois temps : pour écrire nos histoires, avec les ateliers d’écriture ; faire entendre nos voix avec la scène ouverte ; bouger nos corps avec la soirée dansante animée par DJ Bou.
Nous voulons organiser des évènements qui nous ressemblent et rassemblent toutes nos communautés : la communauté queer et nos communautés de l’immigration et des banlieues. Nous voulons un endroit où danser, chanter et nous retrouver, loin de ces milieux.
Nous savons que l’homophobie existe aussi dans nos quartiers et nos espaces de vie, nous en souffrons et c’est rageant. Mais contrairement aux idées reçues, véhiculées par l’Etat et dans les milieux queers : les LGBTphobies ne sont pas pires dans nos quartiers.
Nous voulons créer des ponts et des liens entre nous, habitant.e.s de l’immigration et des banlieues, car nous subissons les mêmes attaques de l’Etat, le même racisme, la même Hass sociale et raciale.
Nous ne voulons plus nous retrouver loin des nôtres, pour se faire marginaliser ensuite dans les milieux queers. Nous avons donc besoin de créer des solidarités entre nous, de trouver aussi du soutien pour nos luttes queers, car nous n’avons pas le choix.
Bien sûr, certain.e.s d’entre nous sont parfois obligées de fuir leurs familles, leurs quartiers, leurs pays. Nos évènements s’adressent aussi à ses “exilé.e.s de l’intérieur” ou aux réfugié.e.s qui veulent retrouver un peu de chez nous, de nos sons, de nos danses.
Nous avons fait notre premier évènement à St Denis, le 1er février 2020, et ça été un succès. Une amie nous as même dit que nous avions organisé le premier “bar queer de St Denis”.
On a réussi à réunir nos communautés et nous en sommes fières : daronnes, jeunes, retraitées, queers et hétéros… Nous fonctionnons avec deux types de non-mixité : non mixité racisée sans mec cis et non-mixité queer sans mec cis.
Nous avons décidé de commencer tôt, car l’organisation de soirées nocturnes excluent beaucoup de personnes, notamment les daronnes ou les plus jeunes d’entre nous. C’est important aussi de proposer cet espace en banlieue, de finir tôt pour permettre à tou.te.s de rentrer à leur domicile en sécurité, en prenant les derniers transports de banlieues.
Nous sommes aussi fières de cet évènement pour une autre raison : il était loin des normes qui existent dans le milieu queer, où les corps, les looks sont uniformisés, la grossophobie est de mise de manière systématique. Or, les femmes et queers de l’immigration et des banlieues, ont des corps qui sont cassés par le travail, les violences domestiques et familiales, l’épreuve des migrations…
Ca été une joie de partager ces moments festifs avec les nôtres, pour exister comme nous sommes.
Comment vous est venue l’idée de ces ateliers d’écriture ?
On a compris que si nous ne prenions pas le temps de le faire : personne n’écrirait nos histoires. Nous avons proposé un atelier d’écriture lors de notre événement du 1er février sur le thème “Femmes” et qui a été une réussite. Les résultats sont sur notre compte instagram.
Nous voulions mettre en avant nos paroles, des figures de femmes et queers qui sont invisibles dans les espaces d’expression militants. Nous partons toujours d’images et d’extraits de textes de femmes inspirantes comme Audre Lorde, Dorothy Allison…
Les ateliers s’adressent aux femmes et queers de l’immigration et des banlieues, en non-mixité.
Les textes sont lus ensuite pendant l’atelier ou la scène ouverte. Nous les publions aussi sur notre compte insta et sur notre blog. Nous laissons bien sûr le choix aux participantes de leur anonymats ou non, de la publication ou non.
Cet atelier veut-il aussi servir à penser l’après confinement et les problématiques propres aux personnes racisées des quartiers populaires ?
Pendant le confinement, nous avons proposé un atelier d’écriture sur le thème de l’enfermement. A lire sur insta et notre blog. DJ Bou nous a aussi concocté une playlist spéciale confinement.
Nous avons beaucoup échangé entre nous, des conséquences du confinement sur les nôtres, avec une colère pour la situation qui était très forte. Encore une fois, les quartiers populaires ont été les sacrifiés de la crise : violences policières, exposition permanente sans protection dans les transports et au travail, racisme, déserts médicaux, stigmatisation dans les médias…
Nous avons des débats constructifs aussi sur nos places de HASSisées dans cette société, en tant que queers aussi, notamment dans les milieux militants. Ce sont des moments politiques qui nous soulagent et nous donnent de la force.
Ce collectif est pour nous un système de soutien fort, où l’on peut se reposer de notre statut de guerrière, où nous n’avons pas besoin d’être sur nos gardes, où se suspendent pour quelques instants les dominations. Pour une fois, nous n’avons pas besoin d’expliquer, d’atténuer ou de légitimer notre colère, fruit de ces mêmes dominations.
Nous avons hâte de proposer un prochain évènement tRace ta Voix et poursuivre notre chemin d’affirmation de queers de l’immigration et des banlieues.
Pour plus d’informations : @trace_ta_voix ou hassisees@gmail.com