Le 20 août 2020, Le cœur synthétique (Seuil) de Chloé Delaume paraît. Alors qu’elle venait de recevoir le Prix Médicis, Friction en parlait avec la principale intéressée ici. Dans le roman, l’autrice emprunte aux codes de la chick lit et raconte l’histoire d’Adélaïde : Parisienne de 46 ans, attachée de presse dans l’édition, nouvellement célibataire, propriétaire d’un chat et qui se demande si elle va retrouver l’amour. Près de 50 000 exemplaires sont vendus en librairie mais Chloé Delaume va poursuivre l’expérience sur un autre medium. Ainsi naissent Les Fabuleuses mésaventures d’une héroïne contemporaine, un album que l’autrice, flanquée de deux complices, Patrick Bouvet et Eric Simonet, a sorti en octobre dernier. Un délicieux prolongement musical du livre sur fond de synthé-pop qui convoque toute une esthétique musicale des années 80. Friction en a fait une petite review mais pour en savoir plus, on a décidé de s’entretenir de nouveau avec l’instigatrice. Rendez-vous téléphonique est pris. On l’appelle. Le temps qu’elle ferme sa fenêtre, fasse rentrer son chat et dise au revoir à une copine qui lui souhaite un joyeux anniversaire sur Whatsapp (elle est “carrément poisson”), on a pu discuter darkness et lose sentimentale.
Nadiam’s : Avant de commencer, je dois te dire que je me suis pas mal vue en Adélaïde : je suis attachée de presse dans l’édition, célibataire et avec un chat.
Chloé Delaume : Ah… Euh… Écoute, je te souhaite de ne pas être dans le même état qu’elle à son âge.
Promis [rires]. Autre précision importante, sache que je porte un pull Buffy contre les Vampires, spécialement pour cet entretien.
C’est bien [rires]. Je possède une réplique en résine du pieu, dans un coffret en bois. Il était chez mon ex. Il l’avait foutu dans un placard sans réaliser ce que c’était. [ndrl – Chloé Delaume a publié une fan fiction de la série, La nuit je suis Buffy Summers en 2007, Éditions Ere]
Nous voilà sorcières le temps d’un entretien.
Complètement. Allons-y.
Comment vient l’idée de faire un album concomitant au livre ?
Depuis quasiment toujours, mes livres vont de pair avec des performances sonores que je réalise avec différent·es collaborateur·rices. En général, je les fais avec Sophie Couronne qui est électro-acousticienne [ndlr – un exemple de l’une de leurs collaborations ici]. En écrivant Le cœur synthétique, je savais qu’il fallait pour ce projet de la synthé-pop. À l’automne 2019, je suis invitée au festival littéraire Bifurcation, à Nantes. J’y vois une performance musicale de Patrick Bouvet, que je connais depuis 20 ans, et d’Eric Simonnet. Avec un son hyper 80’s. Parallèlement, je fais une lecture des deux premiers chapitres du roman qui n’était pas encore fini. Les garçons aiment bien. On discute et l’idée du disque vient.
Pour Les Fabuleuses mésaventures d’une héroïne contemporaine, les chansons sont arrivées après l’écriture du roman ?
J’ai fini le livre et je me suis mise sur le chantier des chansons. J’avais encore bien l’univers en tête. J’ai écrit les textes et je les envoyais aux garçons sur Whatsapp. Ils en ont fait des maquettes qu’on a proposé à Sylvie Astié [ndlr – fondatrice de DokiDoki]. Les maquettes étaient vraiment dégueulasses. Des maquettes faites via whatsapp, t’imagines…
Sur le site de DokiDoki, tu présentes l’album comme “des variations qui font échos aux états d’âme d’Adélaïde”, l’héroïne du Cœur synthétique.
Oui, c’est une variation narrative. Les histoires du disque ne sont pas toutes celles d’Adélaïde. La chanson Tinder Surprise, par exemple. Adélaïde n’utilise pas les réseaux. Elle ne va pas sur Tinder. Par contre, faire un album qui parle de la lose sentimentale sans parler de Tinder, ça aurait été une erreur. Je vois cela plus comme une espèce d’extension.
Parce que c’est là le sujet de l’album : dix chansons sur la lose sentimentale.
Oui, c’est un peu dark quoi… Sur le moment, je ne me suis pas rendue compte que mes paroles étaient sordides. Le plus drôle, c’est sur la chanson Vieillir dit-elle. Quand je l’ai faite écouter à des copines, elles se sont décomposées. Le refrain, c’est : “Chaque jour tu sais que ça empire / Tu vas finir par en mourir”. Et la chute : “Viens t’allonger dans la baignoire / Tu es de la viande avariée”. Elles m’ont dit qu’il fallait que je me trouve un mec [rires]. Il y en a même une qui m’a dit que les paroles n’étaient pas très féministes. C’était drôle.
À l’écoute de l’album, on a l’impression d’aller encore plus loin dans les failles amoureuses. C’est plus sombre que le roman, non ?
C’est sincèrement l’état psychique dans lequel je me trouvais, à l’écriture. J’ai traversé une phase un peu darkos. J’avais l’impression de faire des blagues astucieuses mais à l’écoute, on m’a dit que c’était triste. En ce qui concerne les référents eighties, s’est aussi posée la question de leurs réappropriations. Pas seulement leurs citations. Par exemple, on a tous·tes rêvé du weekend à Rome de Daho. Dans la chanson RTT à Trastevere [ndlr – Trastevere est un quartier de Rome et le clip est ici], le refrain dit : « Dans l’aquarium flottent ses viscères ». Je choisis ce mot parce qu’il me fallait une rime en -ère. Mais pour moi, c’était aussi une résonance à la chanson de Daho : “ma bulle dans ta bulle / ton bocal, mon aquarium”. C’était un détournement. Je ne pensais pas qu’avec “viscères”, les gens trouveraient ça glauque.
Nous, ça nous a bien fait rire.
Et bien je suis contente parce que c’est censé faire sourire. Je voulais un album drôle et joli sur la solitude ultra-moderne d’une femme.
En ce qui concerne la matière musicale, l’univers est donc très années 80.
La synthé-pop, c’est ce qui m’a influencée. Je n’écoute que de la musique des 80’s, tout le courant des Jeunes Gens Modernes, la décennie française 79-89. Mais nous ont aussi influencé·es Etienne Daho, Mikado, Arnold Turboust puisque le prénom Adélaïde m’est venue par sa chanson. Et Elli et Jacno, évidemment.
Cette influence 80’s est claire et pourtant l’album sonne très contemporain.
Les garçons avaient peur que je les pousse vers des sonorités trop vintage. Ça ne m’aurait pas dérangé plus que ça. Je ne suis pas musicienne donc me taper une casserole, je m’en foutais un peu. Mais les garçons tenaient à faire un travail qui soit contemporain. Ça s’est traduit dans le choix des synthétiseurs. Je suis une fan du DX7. En 1986, tout le monde en foutait partout. J’ai tanné Eric pour qu’il en mette. On avait des battles tous les deux où il me disait : « j’ai aussi des synthés plus intéressants. Est-ce qu’on peut arrêter ce son à la variétoche Top 50, je t’en supplie ». Il a trouvé des solutions qui me convenaient très bien. Mais il y a quand même un peu de DX7 dedans.
Comment t’est venu le titre de l’album ?
Tout seul. En général, les titres me tombent sur la gueule. Je n’aime pas avoir des projets qui n’ont pas de titres. J’avais juste peur que ça fasse trop Amélie Poulain qui a un peu ken le mot « fabuleux ». Mais j’avoue que je l’aime bien. Il y a un petit côté Justine ou les malheurs de la vertu de Sade. Puis, une héroïne ne peut pas être contemporaine. Ça ne fait pas vraiment une hypallage mais ça fait quand même un truc un peu chelou. Et surtout, tout est dit. C’est comme un livre d’images qu’on va feuilleter, aventure après aventure.
Qui parle/chante sur l’album ? Dans le roman, la narration est omniscient. On a l’impression que c’est une autre voix qui prend la parole dans le disque.
C’est la même focale, dans le disque et dans le roman. C’est un narrateur omniscient. Il n’y a pas de « JE ».
Et pourtant, tu utilises le “tu” dans la chanson Vieillir dit-elle.
Oui parce que ce morceau devait être agressif. Quand j’ai commencé à le bosser, dès que les premières rimes me sont venues, je me suis dit que le tutoiement était la meilleure façon de parler de la décrépitude réelle. C’est agressif le tutoiement.
D’ailleurs, Vieillir dit-elle, c’est un hommage au Détruire dit-elle de Marguerite Duras ?
Bien sûr. J’aime beaucoup faire des titres-blagues, des détournements parodiques. Ça a un côté sentencieux. C’est drôle. Enfin, moi je trouve ça drôle. Le titre de la chanson Fin de partie est un écho à Beckett. Le morceau Cartomancie et Cie est un clin d’œil à la collection “Fiction et Cie” du Seuil, dans laquelle je suis publiée. Tinder surprise n’est pas de moi, par contre. C’était un titre de rubrique de Rue89. Faut rendre à César, quand même.
Tu termines les crédits des Fabuleuses mésaventures… par une dédicace : “In memoriam Parrhèsia Delaume, siamoise rendue aux éternelles”. Qui est-ce ?
Mon chat. Quand j’ai emménagé dans mon nouvel appartement au mois de mars, mon chat est tombé de ma fenêtre. Elle s’appelait Parrhésia. Elle est morte à ses 2 ans, la pauvre. Là j’en ai une nouvelle que j’ai appelée Perdition. Comme le chat d’Adélaïde dans le roman. Je n’ai jamais vraiment fait de remerciements. J’ai horreur de ces tartines-là. Mais là, c’était important pour moi.