Avec mon coloc Tom, je suis allé voir le dernier Woody Allen. Je sais, il y a un débat sur : est-ce qu’on peut encore aller voir un Allen alors qu’il est accusé d’agression sexuelle. Normalement non. En vrai, non. Bon j’ai fait une entorse à la règle, j’y suis allé, et ce n’est pas sans rapport avec le fait que c’était l’occase de revoir Timothée « Avion de Chasse » Chalamet. Pas vraiment de surprise, ça raconte les petits soucis des grands bourgeois sur du Take Five et de la musique de piano-bar. A la fin, Chalamet découvre que sa mère était une travailleuse du sexe quand elle a rencontré son père et qu’ils sont tombés amoureux et qu’elle est entrée dans le monde bourgeois comme ça. Ça c’est du cinéma, je vous le dis parce que dans la vraie vie la violence de classe est toujours plus forte que l’amour. La barrière qui sépare la classe laborieuse de la classe possédante (que certains appellent la classe chanceuse) ne se franchit pas avec l’amour.
Il y a quand même quelques bons mots, et je crois que c’est pour ça que je continue d’aimer Woody Allen comme un guilty pleasure. Le cinéma de Montreuil, c’est le mieux. C’est trois euros cinquante le mardi soir, et on y croise souvent Reda Kateb.
Bref, on sort du cinéma en discutant du film, on commande une bière, avec Tom. Le bistrot du marché. Tout le monde l’appelle le bar du marché. On discute de trucs intimes avec Tom, la pluie cogne contre le plastique qui entoure la terrasse, les tables sont un peu mouillées par les gouttes qui tombent. Derrière nous, il y a deux filles qui discutent en essayant de couvrir le bruit du groupe du fond.
D’un coup, il y a un gars en noir qui arrive, avec une fille en imper de marque. Tom la reconnait illico : c’est une avocate des Gilets Jaunes. Il est trop fort pour se rappeler du visage des gens, Tom. Très vite, tout un tas de gars et de meufs en noir déboulent sur la terrasse, et c’est la fête : l’un d’entre eux vient de sortir de préventive. Il a été embastillé en mars pendant une manif Gilet Jaunes. T’imagines, il a passé son été à l’ombre. Il a l’air content de voir ses potes qui se sont déguisés en All Blacks pour l’occasion. C’est assez émouvant, il raconte des trucs sans trop en dire, les autres l’écoutent avec les yeux qui brillent. Il y a des silences. Certains posent des questions, tout le monde lui tape sur l’épaule. Quand ça se calme un peu, je vais lui glisser mon numéro en lui disant que s’il a envie de parler de son expérience en taule, il peut m’envoyer un sms. Ça n’a pas l’air de le brancher plus que ça.
Ce qui me rend dingue, c’est qu’on aurait pu choisir l’Escale, la Lanterne ou le Gévaudan, ou encore un autre rade pour parler du film, et qu’on a choisi le Bistrot du Marché. Où les pintes sont chères, où la terrasse est froide et humide, où le serveur qu’on aimait bien n’est plus là, bref on avait plein de raisons de pas venir dans ce bar, et finalement on y est allé, et on a vu cette scène émouvante de sortie de prison. Exactement le genre de scène qui me bouleverse. J’y ai pensé toute la semaine. Appelez ça comme vous voulez, moi je dis que c’est le destin.
A la semaine prochaine.