Vibrations #23 : Choure quand tu pleures

Samedi soir, dans le fumoir de la soirée Bruits de la passion, dans un centre commercial du quartier de la Noue, Montreuil.

Je suis allé fumer seul, un peu pour observer, un peu pour écouter. A côté, de moi, deux gars discutent: 

— T’aimes quoi dans la vie ?

— Moi ? Mais moi j’aime la vie, moi. Tout

— Tout ?

— Mais tout mec, tu te rends pas compte ?

— T’es en train de me dire que tu ne détestes pas les dimanches soir ?

— Ça n’existe pas les dimanche soir, il n’existe que des samedis soirs en puissance.

— OK, alors dans ton monde idéal, on fait quoi, le lendemain?

— On attend la suite, simplement. C’est un putain de film cette ville, cette vie.

— Hier j’ai rencontré un gars qui m’a dit qu’il avait rencontré sa meuf parce qu’ils étaient entrés par erreur dans le même taxi. 

— Tu vois, la vie mec.

— La vie.

On rencontre rarement des gens qui disent qu’ils vont bien. Surtout à Paris. Surtout dans le milieu queer. Le mois de février a été pénible pour mon entourage, et je ne sais pas pourquoi. Cet hiver qui n’en finit pas, les jours mornes et tristes, peut-être. Autour de moi, des gens pleurent, dans mes bras. Oscar, Mélanie, Pierre, et d’autres, tout le monde a une raison d’être au bord des larmes. Vivement la fin de cet hiver.

Quand ça ne va pas, je vais au Monoprix qui est au bout de ma rue. Il y a 3 minutes de marche. Assez pour un morceau. Je le choisis à l’avance, en mettant mes chaussures. Ce jour-là c’est Quand on arrive en ville, de Starmania. J’ai écouté Steve Reich toute la matinée. Il n’y a rien qui me plombe plus que Steve Reich. Je marche en jouissant à l’avance de mes méfaits. Je vole un tas de trucs qui ne me servent à rien. Principalement des cosmétiques. J’ai essayé tous les masques pour peau sèche et tous les sérums détox du magasin. Du fromage aussi. Le Brillat-savarin aux truffes de chez Monoprix, il déchire.

Vraiment.

Échapper aux règles

Quand je ne vais pas bien, le plaisir, c’est de passer devant le vigile, sachant que ton sac à dos est bourré d’articles à moins de 15 euros, ceux sur lesquels il n’est pas rentable de mettre un antivol. La satisfaction de chourer à Monoprix, puisqu’elle est immorale, te donne la délicieuse sensation d’échapper un instant aux règles de ce monde. J’en suis au point où quand je ne vole rien, j’ai l’impression de me faire arnaquer. Je me suis renseigné, il existe un tas de textes et de brochures sur le vol. Il y a des astuces, des justifications politiques, des conseils juridiques. Les voleurs sont une communauté.

Les promesses de mars. Bientôt je n’aurai plus besoin de voler pour aller mieux. J’ai déjà hâte. Et j’ai hâte d’avoir hâte. Une saison enchantée, des larges sourires, les Buttes Chaumont sans un coin d’herbe disponible. Le temps presse, Achille. Bientôt il ne restera plus que l’hiver humide et les gouttes de pluie glacées dans le cou. Il ne restera que ça. Mais pour l’instant, il demeure que les jours comme aujourd’hui ont un lendemain.

J’ai reçu un courrier : Pôle emploi est d’accord pour financer ma formation de fromager affineur. Bientôt, je ne roulerai plus pour l’algorithme, bientôt, ma vie va changer.

Il y aura des paillettes dans mes cheveux le lundi matin, quand j’arriverai dans la boutique. 

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