Vibrations #30 : Belle-Île, partie 4

Achille le pédé de friction qui écrit Vibration à belle-île

Previously: J’ai dépassé le lavoir et il me reste quelques centaines de mètres avant le hameau, quand, dans l’obscurité fraîche, j’entends une voix: “Achille, c‘est toi?”

C’est Mathilde, la fille d’hier, qui me regarde dans le clair de lune. Elle semble être avec ses parents. Elle les quitte pour me rejoindre.

« — Achille, tu as eu mon numéro ?

— Quel numéro? Ah c’était toi le papier ?

— Tu ne l’as pas lu?

— La pluie l’a détruit.

— Ah, bon alors il faut que je te dise. Tout ça reste entre nous OK?

— Tout ça quoi?

— Promets-le.

— Ok c’est promis.

— Bon alors écoute. Ça fait des années qu’on pense qu’Augustin est gay, et qu’il ne veut pas se le dire, alors je me suis dit, vu que c’est mon meilleur ami, que j’avais mon rôle à jouer, tu vois?

— T’es pas drôle, tu sais.

— J’ai vu comme tu le regardais, et j’ai entendu comme il parlait de toi, hier soir, en rentrant.

— Tu sais qu’on ne fait pas ça quand on est sain d’esprit ?

— Je m’en fous, je veux qu’il aille mieux, qu’il soit lui-même. C’est un acte d’amitié.

— Mal placé ».

Petit à petit, je me calme, et nous nous asseyons contre le granit du lavoir. Je dis : « Tu sais il faut me comprendre, j’ai toujours été “l’expérience gay” de mes potes, je n’ai pas envie d’être résumé à ça ».

Silence. Cigarette. Silence.

« Mais qu’est ce que tu veux, au juste?

— Pas de plan précis, juste… Voilà je voulais te dire, si Augustin te plait, fonce. Allez, après tout, ça sert à ça les vacances, pas vrai?

— Mais je ne suis pas en vacances.

— Oui, enfin un peu quand même, Achille. C’est l’été et t’es sur une île. Mais merde il te plait pas ou quoi?

— Si, si. C’est juste que je trouve que c’est cavalier et ça me met mal à l’aise.

— Il n’y a que toi et moi qui savons, je voulais juste te prévenir, pas t’arranger un coup à l’ancienne. Demain, il sort avec son 420 depuis la cale de Sauzon, avec la marée il devrait rentrer vers dix-sept heures. Il sera seul.”

Elle a tout prévu. À la réflexion, ça commence à devenir intéressant.

Nous nous saluons, elle prend mon numéro, et je retourne dans mon bois me coucher. 

La journée qui suit est de celles où l’on n’arrive jamais à cesser de penser une chose puis son inverse la minute d’après. Je passe mon temps à changer d’avis sur cette histoire avec Augustin. Il y a beaucoup de monde le matin, à la boutique. Mathias est content, et Jérôme, l’autre saisonnier, fait des blagues vulgaires et sexistes, toujours les mêmes, aux touristes dont certains rient aux éclats et d’autres ont un sourire gêné. Il faudrait qu’on lui dise, à Jérôme, que ça suffit, maintenant, les réflexions macho et les allusions salaces aux clients. Mathias n’ose pas lui dire, je crois. C’est terrible qu’il ne se rende pas compte qu’il met tout le monde mal à l’aise. La journée de travail s’achève et j’ai pris ma décision: je vais aller à Sauzon, il faut bien qu’il se passe quelque chose dans cet été ennuyeux. 

Avant de monter sur mon vélo, je fume une cigarette sur la jetée du Palais. À l’embouchure, on peut voir la citadelle dont la pierre est presque jaunie par endroit, à cause du lichen et du soleil. Les murailles sèches et lisses tombent presque à pic dans l’eau verte du bassin. Ici, tout est dédié à la plaisance, et il semble que les pêcheurs professionnels ont quitté, le temps de la saison, les eaux encombrées par les voiliers de location et les pontons saisonniers. La citadelle est magnifique, de ses formes taillées à la serpe jaillissent, depuis les angles concaves, des gerbes d’herbe folle et des plaques de pelouse. Un jour, il faudra que j’aille voir à l’intérieur. Je sens bien que je fais durer ce moment parce que j’ai peur. Je suis terrorisé comme un adolescent, et ça me fait du bien, de ressentir enfin quelque chose.

L’anse naturelle du port de Sauzon est plus sauvage, et pour y parvenir, il faut grimper des collines pentues, par le sentier côtier bordé de fougères gigantesques. Au mois d’août, les premières mûres apparaissent dans les haies qui bordent les routes.

C’est la fin de la journée de voile: ceux qui sont sortis avec la marée doivent rentrer avant qu’elle ne descende trop bas pour la cale. Augustin est en train d’affaler ses voiles quand je  le vois. Son petit dériveur est sur une remorque de plage qui couine. Il est magnifique. Son visage est légèrement rougi par le soleil qui a d’ailleurs blondi ses cheveux. Je le regarde, assis sur un banc sur le quai, tandis qu’il range les cordages et se prépare à garer son bateau avec les quelques autres, sur le parking.

Son look me fait rire: il est comme tous les parisiens qui viennent en Bretagne. Espadrilles, pantalon de toile et vareuse sur marinière, c’est tellement cliché que les locaux en rient dans le dos de ceux qui s’imaginent que c’est l’uniforme d’ici.

Je m’approche, et il me voit. Il me fait un signe, puis se remet à sa tâche. Nous nous saluons rapidement, presque froidement, et je regrette un instant d’être venu. Je l’aide à tirer la remorque jusqu’au parking, puis je lui propose de boire un verre au café d’en face, dont les tables sont éclairées par le soleil. 

Je crois qu’il est un peu intimidé. Nous ne parlons pas beaucoup, dans un premier temps, sauf de la voile et de son 420, dans lequel il ne parvient pas à faire embarquer ses amis, qui ne partagent pas la même passion que lui pour la voile sportive: 

— Ils sont habitués aux gros voiliers, pour eux, la voile, c’est la croisière, on ne se mouille pas les pieds et on ne risque pas de dessaler. Ça manque un peu de prise de risque.

— Et toi, tu en prends, des risques?

— Je navigue tout seul, c’est déjà pas mal.

— Oui, c’est vrai.

— Enfin pas autant qu’habiter seul dans une caravane hantée.

— Elle n’est pas hantée. Ou alors c’est moi, le fantôme »

Nous rions un peu, et on nous apporte nos grandes bières fortes et sombres.

« Pourquoi t’es là, Achille ?

— Comment ça?

— Puis-je savoir quelles sont vos intentions ?

— Plaire, aimer et courir vite? Je suis sûr que c’est dans ce film.

— Peut-être. Qui t’as dit que je serai là ?

— Personne. Mon patron m’a donné un vélo, hier, alors j’explore l’île quand la journée est terminée. Je ne connaissais pas ce port.

— Et t’es tombé sur moi par hasard ?

— Ta présence m’a ébloui, je ne pouvais plus avancer.

— La flatterie ne te mènera nulle part ».

Nous sommes côte à côte sur la terrasse, face à l’activité du port en fin de marée. Quelques plaisanciers se montrent leur pêche du jour : des dizaines de maquereaux dans des glacières et dans des sceaux. Augustin se lève sans rien dire et va à la rencontre de l’un des pêcheurs. Il revient vers notre table quelques minutes plus tard avec deux poissons qu’il tient, le doigt enfoncé dans les branchies, avec un grand sourire et me dit : « je t’invite à dîner, ce soir, tu es dispo, j’imagine? »

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