Ma vie est un putain de travelling latéral. Qui n’en finit pas. Comme si tout ce que je vivais avait comme objectif de « dire l’époque« , comme on dirait sur France Culture. C’est à dire parler du monde en ne regardant que l’anecdotique. Parler du gigantesque en observant le minuscule. J’ai passé les 5 derniers jours à Bruxelles avec Carole. On s’y amuse beaucoup. Les bars sont tous aussi fous les uns que les autres, il y a une vraie recherche architecturale, pas comme à Paris. Je pense que c’est parce que, encore davantage qu’en France, on boit des bières à l’intérieur, et qu’il faut donc un intérieur soigné. Du coté de Matongé, ça se montreuillise tranquillement, où alors c’est l’inverse, Montreuil se Bruxellise. Autour de la place Saint Boniface, dans l’ancien quartier africain, il n’y a plus que des blancs qui consomment dans les boutiques artisanales spécialement faites pour eux… Mais c’est partout pareil…
Carole a une très grosse envie de pécho. Je serai son wing man. On fonce au Recyclart, qui ne se trouve désormais plus sous le skatepark mais le long du canal. On achète des jetons et on boit des bières sur le dancefloor sombre. Impossible de tenter quoi que ce soit dans ce noir absolu. Dans la cour, il y a une maison presque en ruine dans laquelle certains ont déplacé les tables de la terrasse du club. C’est décadent, mais toujours rien à se mettre sous la dent pour Carole. Elle est bi, ce qui, comme le voudraient les clichés, élargit le champ des possibles. A 5 heures pétantes, la musique s’éteint, et on doit trouver l’un de ces discrets bars d’afters. Dans les bars d’afters, plus question de recherche architecturale. On en trouve un, glauque de chez glauque, le genre ou tu dois payer 50 centimes pour aller pisser. Quand je redescends des chiottes, Carole galoche un barbu que je n’avais pas vu venir. Le barbu porte un col roulé noir (l’été se termine brusquement ici). Une bande d’amis nous rejoignent, et on file dans un appartement pour terminer la soirée tranquillement autour d’un karaoké. La vie est belle, certains chantent du Claude Nougaro, d’autres du Claude François, bref, on s’amuse, quoi.
Carole et son barbu s’en vont, certaines filles sont inquiètes : il parait que dans le taxi il avait les mains baladeuses. Je me glisse dans les conversations : j’adore quand on chuchote. On prend son adresse, ça le surprend mais il a pas le choix. Vers midi, je m’effondre, comme tout le monde. Maxime a mis du vin sur le tapis, Niklas a mis du sel sur le vin, et on attends que ça éponge. Et on dort.
Quand Carole revient, vers 18 heures, je me réveille à peine. Elle est morte de rire, elle nous raconte que la fin de l’histoire a été romanesque : dans l’après-midi, alors qu’ils dormaient, une femme est entrée dans l’appartement. Julia, effrayée, a essayé de réveiller le mec, mais impossible, puis a demandé à la dame qui elle était, et celle-ci a répondu : « je suis la mère ».
Quand la mère a vu les lignes de coke sur le rebord de la fenêtre, elle s’est mise à hurler, ce qui a réveillé le gars.
La mère : « Mais Nicolas, quand est-ce que tu vas arrêter tes conneries ? T’as 33 ans, merde ! Je suis sûre que tu n’est pas allé chez le médecin pour ton arrêt de travail ! »
Nicolas : « Mais maman ! Si, j’y suis allé ! »
La mère : « Ah oui, alors montre-moi le papier ! »
Nicolas, qui n’était manifestement pas allé chez le médecin pour son arrêt de travail, a choisi ce moment pour (enfin) virer sa mère de l’appartement. Et Carole, enfouie de toutes ses forces dans les coussins, a relevé la tête, et a vu Nicolas se lever du lit, à poil, et foutre sa mère à la porte en lui parlant polonais. La vie, quoi.
Sur la route pour la voiture, Carole shoote dans les tas de feuilles mortes. Nous jouons a pile ou face et c’est sur moi que ça tombe. Les trois heures de route jusqu’à Montreuil. Jusqu’à Paris.
Allez, à la semaine prochaine.
Twitter : @AchilleFriction