Aux sœurs hétéras, aux séparatistes mort·e·s au combat

C’est le première jour de ses vacances et Roxane est citée par la chroniqueuse sexo du Monde et de GQ.

Café dans gobelet La Station Gare des Mines - Friction Magazine féministe
Café dans gobelet La Station Gare des Mines – @Roxane

C’est le premier jour des vacances et je traîne en sweat à capuche dans l’appart, pas démaquillée depuis 24 heures, sirotant un café soluble dans une pinte éco-cup de la Station Gare des mines (vous devriez essayer).

La notif Messenger résonne et je lis « Alors ça fait quoi d’être citée dans le Monde ? », suivi d’un lien. Avant de cliquer, je me frotte les crottes au coin des yeux pour être sûre que c’est bien à moi que ma pote s’adresse : on dirait.

La chronique s’appelle « L’hétérosexualité, c’est terminé ? », le titre est réjouissant et je connais à peine l’autrice, même si j’ai déjà entendu son nom. Je commence. Dès le chapeau, ça se complique : « Pour les séparatistes, la messe est dite, le couple hétérosexuel nuit aux femmes… Mais, l’amour ébranle aussi profondément le machisme, objecte la chroniqueuse, qui en appelle à de nouvelles coopérations… » Je me ressers un autre café du coup parce qu’il y a trop de termes qui me brûlent la rétine. Parmi mes préférés : séparatisme, coopération. Ça fait aussi un bail que l’INSEE a montré que le couple hétéro nuisait aux meufs. Mais bon.

Passons sur le fait que l’autrice utilise sans pression le terme séparatisme (associé ici au lesbianisme politique) qu’elle admet pourtant savoir être produit/utilisé par les fachos. Encore que, c’est rigolo quand même de sous-entendre que nous, séparatistes, on pourrait acheter des terres dans le Larzac pour y installer une contre-société féministe alors qu’on a déjà pas les moyens d’avoir un second bar à Paris ou le droit de faire des gosses si ça nous chante.

« Cette célébration annuelle de “l’Amour” hétérosexuel permet ainsi aux mecs cis de montrer à leur propriété qu’ils sont attentionnés une fois par an, ce qui légitime leur comportement d’exploiteur et de dominant le reste de l’année. »

Passons aussi sur la mention de la Saint-Valentin, décrite ici comme « embarrassante » alors que c’est un des subterfuges commercialo-patriarcal (le patriarcat comme organisation sociale marchant de concert avec le capitalisme, lui dites pas, la pauvre) les plus éculés. Cette célébration annuelle de « l’Amour » (ça commence comme « Arnaque », c’est pas un hasard) hétérosexuel permet ainsi aux mecs cis de montrer à leur propriété qu’ils sont attentionnés une fois par an, ce qui légitime leur comportement d’exploiteur et de dominant le reste de l’année. Il a acheté des fleurs (ou de la lingerie, ou un aspirateur autonome) après tout…

C’est plus triste/exaspérant quand parfois, l’autrice ne passe pas loin d’une analyse dudit patriarcat — le terme n’est pour autant jamais prononcé dans la chronique, ça fait peut-être un peu trop « séparatiste » — comme système d’organisation sociale reposant sur l’exploitation économique, domestique, sexuelle et reproductive (ce que Guillaumin appelle le « sexage ») des femmes. Ainsi, les femmes, comme groupe, ont en charge l’ensemble des basses fonctions du care à la fois à l’intérieur de la cellule familiale (tâches ménagères et parentales, visibles et invisibles) mais aussi à l’extérieur de cette dernière (les 99 % de femmes qui composent le groupe des aides à domicile en est un exemple intéressant. D’ailleurs, puisque ce travail est payé et donc payable, pourquoi ne le serait-il pas à l’intérieur de la cellule familiale ? Je m’éloigne un peu, mais pas tant que ça en vrai…). Côté tâches domestiques, c’est un des facteurs qui expliquent à la fois le temps partiel des femmes, et donc leur taux de pauvreté plus élevé, mais aussi leur faible représentation dans le sport ou en politique… Ce qui est produit par les femmes, notamment à l’intérieur des foyers entretient un lien avéré entre l’organisation de la cellule familiale et celle de la structure sociale. Je ferme le site de l’INSEE et continue ma lecture.

« Le viol n’est pas, ne sera jamais une sexualité “inefficace”, ce n’est d’ailleurs pas de “la sexualité”, il s’agit toujours, toujours, de l’exercice d’un rapport de domination. »

Même lors des passages où l’autrice admet que les violences sexuelles s’exercent le plus souvent au domicile (true), que la progression de la participation des mecs cishet aux tâches domestiques et parentales n’évolue que très marginalement (1 minute en 11 ans), c’est-à-dire même lorsqu’elle énonce des évidences statistiques qu’il serait en effet compliqué de nier, ça ne va pas. C’est ainsi que juste après, elle décrit le viol (« rapports considérés comme un dû », « sexualité infligée ») comme : « une sexualité inefficace et humiliante ». À ce stade, je suis désespérée. Les rapports contraints, qu’ils le soient ou non par la force, ne sont jamais à euphémiser. C’est les verbaliser de cette manière qui conduit beaucoup de femmes hétéra à se dire que c’est comme ça, que leur mec a « des besoins », que son « désir » est impossible à réfréner, que donc il faut bien « l’accepter ». C’est notamment ainsi que cette violence devient à la fois innommée et normalisée. Le viol n’est pas, ne sera jamais une sexualité « inefficace », ce n’est d’ailleurs pas de « la sexualité », il s’agit toujours, toujours, de l’exercice d’un rapport de domination. Les féministes vous l’ont dit et vous le rediront.

Approchant de ce que j’espère être enfin la conclusion, je passe au vin blanc car le café ne suffit plus.

En fait, le propos essentiel de la tribune, c’est que tout est affaire de gentils garçons. Ou pire : ce que je comprends c’est qu’éduquer les plutôt gentils, les immatures, les égoïstes, les pas-méchants-comme-personnes — la preuve il fait les courses le mardi, il sait changer une couche alors que le petit a seulement deux ans, il sait entendre un « non » sans chouiner, voire même il est chaud pour enfiler un porte jarretelle ou prendre un doigt dans le cul après le match — éduquer est alors la seule issue et cette dernière est de la responsabilité… des femmes. Femmes qui, en dépit des violences dont elles sont victimes de manière systémique (ouh le vilain mot), devraient alors et cette fois volontairement, presque par devoir militant, pour ne pas « déserter le navire » faire preuve d’hétéro-optimisme (sic), rester dans cette cellule, y faire de l’entrisme féministe individuel. Regardez, au PS, ça a bien marché (non).

« Alors si cela vous est possible, vendredi, pendant qu’ils dorment, en lingerie ou non : partez. »

Camarades hétéra de tous les pays, parce que nombre d’entre nous ont été longtemps des vôtres, pour avoir subi — d’abord sans le voir — le sort qui vous concerne hélas encore aujourd’hui, sachez que vous n’êtes pas — quoi que l’autrice en dise — nos ennemies. Au contraire. C’est vous, qui aujourd’hui, payez encore, et davantage, le prix de cette organisation sociale que nous, séparatistes et féministes radicales (c’est pas pareil que TERFs, merci) entendons dénoncer. Nous sommes aussi nombreux et nombreuses à connaître intimement  les contraintes matérielles (argent, logement, relations sociales, emploi, symbolique…) qui vous maintiennent dans ces espaces, dans ces configurations qui vous exploitent et qui vous blessent. Ne pas être prêtes ou en capacité, aujourd’hui, maintenant, ne signifie pas ni que nous vous méprisons, ni que vous êtes seules. Au contraire, nous sommes légion à en être sortiEs grâce à des camarades. Vous êtes des nôtres et votre hétéro-pessimisme est sain et légitime.

Alors si cela vous est possible, vendredi, pendant qu’ils dorment, en lingerie ou non : partez. Si ce n’est pas possible, nous sommes et serons là, partout, jusqu’à ce que ce le soit. Ne vous laissez pas culpabiliser, même par les vôtres. Vous ne devez rien à ce système qui vous exploite, vous ne devez rien à vos exploiteurs. Un autre monde est possible. Et ce ne sera pas forcément dans le Larzac, promis : on regarde aussi d’autres régions.

Une réponse à l’article « L’hétérosexualité, c’est terminé ?

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