« C’est comme un cri » : 9 poèmes

Notre contributeurice Mathi nous a proposé neuf poèmes qui évoquent son parcours d’hétéra-cis parent à ses coming-out de lesbienne non-binaire.

C’est comme un cri

Qui ne s’arrêtera plus jamais

1.

C’est comme un cri

Qui ne s’arrêtera plus jamais

La porte s’est refermée 

derrière moi

Devant moi

Et m’a laissée la bouche ouverte

Sourd.e

A avoir des acouphènes

Le monstre

C’était moi depuis le début

2.

Hier j’ai pensé 

Pendant que je conduisais ma voiture

Traversais une forêt brune

D’automne proche de l’endormissement

J’ai vu la lune pleine au dessus des collines

Il faisait encore jour même si 

Les voiture remplies d’enfants taiseux

Étaient déjà garées devant leurs maisons

Et je me suis sentie trahi.e

J’ai poussé un cri rauque en serrant mon volant

Espérant être coincé.e dans un cauchemar

Sauf que la réalité m’a palpée de ses doigts tristes

Et la douleur m’a coincé la poitrine jusqu’à pleurer

Et sortir du rêve étriqué

3.

Mon désir n’est pas soudain et dévastateur, il est craintif et bâillonné

Lui-même s’est attaché au fond de moi

J’ai appris à le brider pour ne plus laisser voir mes traces vulnérables

Bien au chaud laissé par l’ordre et le contrôle que je pensais avoir sur ma vie

Il me faut de la patience et et de la lenteur pour me sentir en sécurité

Longtemps éprouver les caresses qui me font trembler le ventre, les muscles et le cœur

Je ne me connais pas, le chemin est chaotique et tâtonnant

Comme un nouveau vêtement, un reflet dans le miroir

Il me faudrait une nouvelle vie pour me rencontrer

Quoi que je sois

Butch, non-binaire, homme-trans, lesbienne, jamais là où je pensais être

La souffrance en sourdine

La honte en toile de fond

Le paradoxe partout

4.

Pas de cajolerie aujourd’hui

Je t’ai attaché sur mon dos

Tu es plus lourde qu’un sac de sable

Tes mains tirent sur mes cheveux

Je transpire tes larmes, je mâche tes mots

Tu m’as manqué avant que tu n’arrives

Pas de rire aujourd’hui

Tu vises mes plaies invisibles

Mais aucun matin ne te protège

Tu ne vois pas la vague qui va l’avaler

Elle ressemble aux cauchemars que je console

Tu fabriques toi-même ton épée, tu polis ton armure

Tu me dis de ne pas avoir peur

Car tu déchiffres mon effroi

Tu me dis dors maman papa

Mais je ne sais plus comment faire

5.

J’ai mordu comme un ours

Jusqu’à l’éclatement de la peau

Je l’ai entendu le bruit

Et avec lui je me suis déchiré moi-même

J’ai eu le goût de mes cris

6.

Il n’y a plus de place

pour moi

Je suis plein d’autres choses qui grouillent dans mon ventre

La pluie a mouillé le papier

et les mots sont devenus de la bouilli

7.

J’ai bien compris qu’il fallait regarder par la fenêtre qui donne sur moi-même.

Travailler sur moi. Etre indépendante, respectueuse, communiquer compréhensiblement, rejeter ce qui me blesse pour choisir ce qui m’encourage, foncer, tout en respirant du ventre, croire en quelque chose, mais pas en Dieu ni en l’homme, et surtout m’entourer d’amour et être fière.

Canaliser ma colère pour qu’elle devienne un outil artistique et pédagogique.

Raté.e

J’ai la faiblesse des naïfs à qui on a suggérer de ressembler à un lion. 

Je suis dépendant.e affectivement

J’aime bouillonnant.e et cousu.e de peau à peau

Je pleure autant que je sue le manque et la peur

Je ne peux pas me regarder sans plonger dans la soupe du chaos

Je ne connais pas mes limites
Elles sont floues et flexibles comme un brouillard menteur

A quel moment j’ai cru que j’y arriverais ? A quel endroit j’ai vu l’aboutissement ? 

Je vis une suite illogiques de laquelle je tente de sortir du sens

La solitude est source d’une vision effrayante de mon débordement intérieur à la surface de l’océan de ma propre violence. 

J’ai écrasé mes rêves

J’ai bousillé mon mariage

J’ai empaqueté les affaires de mes enfants

J’ai gâché leur vie à vouloir sauver la mienne.

Je suis sortie de la maison, m’asseoir sur la marche de l’entrée.

Et j’ai cherché un signe.

Mais rien n’est apparu.

Il n’y a pas de destin, surtout pas pour celleux qui quittent la voie de l’autoroute pour se prendre un arbre.

8.

J’ai du mal

Alors que je ramasse les briques de mon ancienne maison

J’ai envie de redevenir solide et dense

J’ai perdu mes pieds, ils étaient attachés si solidement à moi, ils tenaient si bien

On met un vernis sur l’enfance, on la sépare pour essayer d’oublier que vivre n’épargne personne

On donne des fraises et des caresses, comme si on posait un rituel

On promet que tout ira bien, on ne dit pas la vie est terrible

9.

Mon sang a le goût du fer, du métal, du couteau, de la lame

Je me suis reconnu.e quand il m’est monté en bouche

La rage que j’avais enfouie a mon prénom

Et m’a appelé avec sa langue

Mathi

2021-2023