Le festival Astropolis aurait dû se tenir du 1e au 5 juillet dans le Pays de Brest. Dans les circonstances actuelles, l’édition est bien entendu annulée. Lors de cette édition, il était prévu que les équipes du festival travaillent étroitement avec l’association Consentis pour prévenir les violences sexuelles et sexistes et sensibiliser à la question du consentement en milieu festif. Malgré l’annulation, nous avons choisi de publier cette discussion avec Madenn, du festival et Mathilde de Consentis.
Est-ce que vous pouvez nous présenter la collaboration entre Consentis et Astropolis pour l’édition 2020 ? De quoi va-t-il s’agir ?
Madenn d’Astropolis : Nous travaillons avec Consentis depuis l’édition de l’été 2019 du Festival Astropolis. Nous avons pris conscience ces dernières années des situations à risque en terme d’agressions sexistes et sexuelles au sein des équipes salarié.e.s, bénévoles et du public. Cela a remis à l’ordre du jour la question de la prévention et de la réduction des risques pour que chacun.e puisse travailler et/ou faire la fête quand et comme il le souhaite, en toute sécurité.
Très vite l’idée s’est arrêtée sur Consentis pour proposer une prévention relative à ces questions spécifiques à Astropolis. Consentis a développé son axe de travail autour de la question du consentement en milieu festif ce qui nous a semblé extrêmement pertinent.
De plus les membres de Consentis officient en club et aiment la techno ce qui nous paraissait très important afin qu’elles ne subissent pas l’ésthètique proposée et defendue par le festival.
Cette collaboration a deux objectifs principaux : mieux appréhender les enjeux liés à ces questions , réfléchir au développement et à la mise en place d’outils de prévention, afin d’agir au-delà des constats.
Consentis a proposé la tenue d’un stand dès 2019 au sein du festival.
Les bénévoles du stand Consentis proposent différentes animations et discussions autour de la question du consentement en milieu festif. Le stand de Consentis était mis en avant sur notre signalétique (plans du site, affiches, ) avec ce sous titre – “Point relais agressions sexistes et sexuelles” avec une incitation via la charte (rédaction par l’équipe d’Astropolis et Consentis d’une charte à destination des festivalièr.e.s) à venir témoigner au vu d’une situation inappropriée.
Un protocole a été mis en place entre notre chargée de sécurité, Consentis et les régisseurs, afin de pouvoir réagir efficacement en cas de tentative d’agression ou d’agression. Nous avons essayé de mettre en place une safe zone qui n’a pas très bien fonctionné et que l’on doit améliorer qui vise à être un endroit calme et sécurisant en non mixité.
Les retours de consentis suite à cette première collaboration ont été très pertinents et précis tant sur les points forts que les points faibles et très constructifs ce qui nous permet de mener une réflexion et de voir les points d’amélioration qui doivent être apportés en 2020 (réorganiser les espaces de prévention sur le site, renforcer le protocole en incluant les médecins, les secouristes, le planning familial, augmenter la présence de bénévoles formé.e.s à ce sujet etc.)
Pourquoi est-ce important de faire de la prévention au sujet du consentement et des agressions sexuelles et sexistes sur le temps d’un festival ?
L’objectif est de prendre en compte toutes les personnes susceptibles de venir sur le festival et de faire en sorte qu’elles s’y sentent bien. Rendre le festival inclusif, pour les femmes, c’est faire en sorte qu’elles puissent se réapproprier les lieux.
Sur le temps d’un festival la concentration de gens exacerbe sans doute les problèmes liés à l’absence de consentement même si on ne peut pas expliquer ça uniquement par les abus de consommations d’alcool et autres. Le problème est plus général. On vit dans une société où l’on apprend aux hommes à vivre avec plus de confiance en eux en leur inculquant un sentiment de domination sur les femmes. Tous les progrès sociaux concernant l’émancipation des femmes en France sont très récents : la loi sur la parité en 2000 (égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives),la loi sur le renforcement de la prévention et de la répression des violences conjugales en 2006. On éduque encore aujourd’hui une fille pour qu’elle devienne une fille, un garçon pour qu’il soit un garçon avec les stéréotypes et les rôles genrés correspondant. Nous ne sommes malheureusement pas dans une société non binaire, équitable. Les festivals ne sont qu’une extension de la société civile, nous devons prendre ces questions en compte comme dans tous les endroits de la société.
Le milieu festif est facilement montré du doigt. Nous comprenons peu à peu que tous les milieux sont concernés, et que c’est à l’échelle de la société que les comportements de domination et d’agressions vont devoir être régulés.
Est-ce que ces temps de prévention s’accompagne de la mise en place d’autres mesures pour lutter contre les agressions sexuelles et sexistes pendant le festival ?
En parallèle de ces actions, nous nous sommes dit que si nous envoyons un message clair au festivaliers, festivalières il nous fallait aussi envoyer un message en interne. Nous avons rédigé une charte à destination des équipes salarié.e.s et bénévoles. Cette charte a été envoyée à toutes les équipes avant le début du montage du festival.
La loi définit 25 critères de discrimination, nous sommes parti de cela pour la rédiger. Elle reprend des bases simples en commençant par rappeler qu’ avoir des comportements discriminants est répréhensible par la loi. On ne peut parler n’importe comment à tout le monde, toucher n’importe qui, dire des insultes sexistes, jeunistes, agistes, racistes, anti LGBT, transphobes etc.
Nous proposions moi et le régisseur du festival de venir nous prévenir si une personne était victime ou témoin pour recueillir ces témoignages afin d’agir en conséquence.
Nous n’avons pas eu de retours en ce sens mais la charte a été un sujet tout au long du montage sur le site du festival avec cette phrase que les salariés se répétaient entre eux : « ce que tu viens de dire n’est pas très charte, etc ». En ce sens c’est un succès, une discussion sur les limites, le consentement, les formes de discrimination s’est engagée.
Nous avons également fait appel à l’association Difenn de Quimper qui propose des ateliers d’autodéfense féministes en milieu festifs en non mixité : nous proposons deux ateliers gratuits sur le temps du festival.
Une salariée de Difenn [aurait dû animer] ces ateliers où on apprend aux femmes à se prémunir face à des situations d’agressions verbales ou physique. Comment réagir en dépassant la sidération qui est un phénomène psychologique et physiologique, paralysant rappelons le et qui fait qu’on peut s’entendre dire « oui mais pourquoi n’a-t-elle rien dit, rien fait ». L’atelier n’est pas comparable à du sport self-defense, il s’agit d’équiper les femmes d’outils, de réponses adaptées ; répartie, riposte, mise en sécurité.. Pour cet atelier condensé en deux heures, Difenn a réfléchi à des situations spécifiques au milieu festif, construit avec les retours des festivalières, et à la façon de les aborder, comment identifier les situations qui sont inacceptables en déconstruisant ce que la société nous a inculqué depuis toujours, ces rapports de forces admis et tolérés jusque là.
L’association Difenn [aurait dû dispenser] également cette année une formation auprès du personnel d’Astropolis pour une meilleure vigilance et prise en charge des agressions sexistes et sexuelles.
Que peut-on mettre en oeuvre chacun.e à son échelle pour prévenir les manquements au consentement en milieu festif ?
Mathilde pour Consentis : Chacun-e peut à son échelle influencer la dynamique de groupe en déconstruisant les injonctions patriarcales (chercher à comprendre les rapports de domination présents dans notre société), en intervenant de manière active (réagir face à une violence : les 5D à voir plus bas) ou en refusant de participer à une dynamique malveillante (blagues sexistes, propos misogynes, etc.).
Prendre conscience que sa voix mérite d’être entendue est une conviction plus difficile à réaliser pour les personnes discriminées par la majorité dominante. Nous pensons ici aux personnes LGBTQI*, aux femmes, aux personnes racisées, handicapées, grosses, portant le voile et aux personnes en situation précaires dans une logique d’intersectionnalité, c’est-à-dire suggérant que ces discriminations peuvent se superposer augmentant les risques de discrimination.
La première étape est alors de donner la parole et d’écouter les personnes discriminées. Dans les milieux festifs, la prise de parole est parfois difficile car les personnes en situation d’inconfort craignent de “casser l’ambiance”, de s’insurger. Accueillir la parole avec bienveillance en croyant les personnes nous relatant des faits est indispensable pour créer une culture du consentement. La parole des survivant-es méritent d’être reçues avec ouverture et intérêt ! Cette bienveillance se manifeste par une attention particulière envers les autres fêtard-es qui, liée à une connaissance des définitions des violences sexuelles, permet de repérer les situations à risque et intervenir.
Différentes méthodes existent pour intervenir lorsqu’on repère une situation où le consentement n’est pas respecté comme la méthode des 5 D :
- Direct : nommer l’acte de violence, maintenir le contact avec le regard avec confiance et répéter
- Distract : prétendre être l’ami-e de la victime, demander quelque-chose, détourner le focus
- Delegate : décrire à quelqu’un-e au pouvoir décisionnel la situation et lui demander d’intervenir
- Delay : si, pour des raisons de sécurité, l’intervention est trop risquée, s’assurer à fin de la situation de l’état de la victime en proposant de l’aide
- Document : la victime reçoit une aide tierce, documenter la situation par exemple avec une vidéo, pourra être un élément crucial s’il advient poursuite judiciaire.
Quelle est l’attitude à adopter si l’on constate ou si l’on est victimes d’agressions sexuelles ou sexistes pendant le festival ?
Madenn : A Astropolis nous proposons au personnes victimes ou témoins d’une agression de se rendre au Stand tenu par Consentis afin de venir témoigner. L’idée est que Consentis puisse se faire le relais des équipes qui pourront prendre en charge la victime afin de lui proposer un soutien (planning familial, Croix Rouge, médecins et de lui proposer de porter plainte auprès des forces de l’ordre présentes sur le site). Nous voulons aussi mettre en place dès cette année un lien permanent avec la brigade numérique de Rennes. La brigade numérique est une brigade ouverte 24h/24 sur laquelle on peut laisser des témoignages sous forme de tchat. Ces témoignages constituent des preuves en cas de poursuite judiciare.
Si la personne est témoin, Consentis pourra permettre un lien immédiat avec notre chargée de sécurité afin de retrouver la victime et interpeller l’agresseur. C’est le protocole que nous proposons et que nous souhaitons être le plus efficace possible.
Pour contacter consentis : contact@consentis.info