Des meufs racontent des histoires. De mon plein gré, de Mathilde Forget

De mon plein gré est le premier roman policier de Mathilde Forget. Dans le deuxième livre de l’auteure d’À la demande d’un tiers, la trame tourne autour de la recherche d’un(e) coupable et d’une victime. Nous sommes, avec son personnage, tours à tours témoins, coupables et victimes. L’énigme, qui tient la première partie du livre, n’en était pas une pour moi. C’est un peu dommage, parce que j’ai voulu écouter une émission avec Annie Erneaux, je me suis spoilée moi-même De mon plein gré. Spoiler alert : la justice est aveugle.

Ce que je préfère dans De mon plein gré, c’est ce petit tour digne d’Agatha Christie où le coupable n’est pas du tout là ou on l’attendait… et en même temps, si. Avec ce petit tour d’esprit, l’auteure prend un lieu commun (ou plutôt un non-lieu) : les meufs sont coupables des agressions que les mecs commettent, pour le transformer, avec beaucoup de sensibilité et d’humour, dans un récit où une autre platitude (la meuf violée qui refuse d’être une victime) devient plutôt un beau dispositif. Méfie-toi Major, vos paroles peuvent et seront utilisées contre vous. Mathilde Forget est armée. Vous avez refusé la justice (la justice des hommes), il ne reste plus qu’à la faire avec ses propres mains, qui tapent sur le clavier qu’on a récupéré dans la machine à laver.

J’ai lu De mon plein gré d’un trait un dimanche aprèm, parce que j’étais en SPM (syndrome pre-menstruel) et que je n’arrivais pas à quitter mon lit. J’avais la flemme aussi de finir le livre d’essais d’Ursula K. Le Guin parce qu’il était trop lourd, théorique (De mon plein gré n’est pas pourtant de la littérature légère ! La tête d’une meuf en baisse hormonale est pleine de mystères). Dans un essai sur le roman, Le Guin se (nous) demande pourquoi on écrit ? L’être humain je veux dire, pour quelle raison on raconte des histoires ? Elle cite les plus anciens récits laissés par l’humanité, sur des grandes batailles et des massacres et ceux, plus récents, de Primo Levi. Dans ces exemples, la question de la survie et de l’histoire sont très proches : on raconte un événement parce qu’on y a survécu, on survit parce qu’on a une histoire à raconter. On écrit pour ne pas disparaître, ne pas dissoudre, pour témoigner.

Je ne voulais pas ranger le livre de Mathilde dans une catégorie qui le réduit, et j’ai très peur qu’à la fin de ce texte Netflix créé une rubrique “récits féministes autour du viol”, mais je pense que certains parallèles seront inévitables.

De mon plein gré c’est Fight Club sauf qu’au lieu de suivre un connard avec un égo qui lui dit qu’il est Brad Pitt, on suit le personnage d’Helena Bonham Carter, si le personnage d’Helena Bonham Carter était lesbienne et française (?). Je veux dire, ça fait longtemps que j’ai regardé Fight Club, mais l’analogie marche, je pense.

Je me suis levée de mon lit pendant que je lisais De mon plein gré, je pense que je me suis même mise à table. A la fin de la lecture, j’étais sur ma terrasse et je pensais à la série de Michaela Coel, I May Destroy You. Voilà, encore les parallèles gênants.

I May Destroy you, avec qui De mon plein gré partage en partie la thématique, n’est pas là pour expliquer “ce que ressent une personne qui a été violée”. Ce sont des récits qui nous parlent surtout par leurs puissances, leurs nécessités. Et, c’est ma conviction profonde, tandis que l’État n’est absolument pas une caractéristique nécessaire de l’humanité, les récits, eux, le sont. De mon plein gré montre précisément que, accusée injustement par le premier, c’est dans le dernier qu’on retrouve ce qui nous sauve, nous absout, nous rend reconnaissables en tant qu’humain face à d’autres, qui écoutent notre récit. Je pense à toutes les occasions où le pouvoir du récit et le monopole de certains sur celui-ci a été utilisé pour humaniser les coupables — De mon plein gré en est, effectivement, un exemple de plus.

Je dis ça et je pense aux deux derniers épisodes de I May Destroy You, la série dont tout le monde parlait l’été dernier, quand on a cru qu’on serait bientôt libres (libres de la liberté que nous accorde l’État). À la fin, I May Destroy You nous prend au piège : le personnage principal a été tout le temps à côté de la plaque de sa propre histoire, dans le déni, alors qu’on y voyait clair. La série nous habitue à la penser comme ça, jusqu’à la dernière minute, on a peur que la tragédie s’achève, que la destruction déclenchée se réalise complètement et parfaitement, qu’on reste piégé.e.s à assister à la mort à petit feu. Sauf qu’Arabella a une histoire à raconter : elle en a plusieurs. On les voit toutes défiler devant nos yeux. La jouissance de la revanche, la punition, une réalité parallèle : toutes des possibilités qui annuleraient ou effaceraient un événement. Dans la réalité parallèle, Arabella fait l’amour avec son violeur (dans ce scénario, il est juste un gars, définition marginalement plus sympa). Mais la scène est particulière : on dirait qu’elle l’encule. C’est le génie de Michaela Coel, qu’elle encule ce gars ne veut pas tout dire enculer dans le sens qui crient les machos lors des manifs. Elle l’encule, non pas pour le rabaisser, assoir sa domination, ni pour prendre sa revanche. C’est une belle scène d’amour, dans cette fin où toutes les fins à son histoire sont possibles et impossibles à la fois, on est en train d’assister ce qui serait “le monde à l’envers”, un monde où on ne l’aurait pas violée, Arabella, parce que le sexe n’est pas un outil de domination, mais un jeu de plaisir. Elle encule un « il », et c’est aussi anodin qu’une caresse, ou que si les rôles étaient inversés. Dans le dernier épisode de I May Destroy You, il n’y a pas de progression linéaire, il n’y a pas de solution, il n’y a pas de méchant qui est puni. Il n’y a que du récit, et le récit est tout, ou assez.

Que font les conteuses d’histoires quand leur récit ne correspond pas à ce qu’on attend d’un récit ? Quand le méchant n’est pas puni et que le bien ne l’emporte pas sur le mal ? Ça changerait quoi, d’ailleurs, si le méchant était puni ou si le monde était autrement, et la situation ne se serait même pas présentée ?

Je parle ici, bien sûr, de littérature. Un récit est censé avoir un début, un milieu et une fin, dit Le Guin. Une progression linéaire, une solution. Enfin, Le Guin dit que c’est une certaine idée de récit, avec laquelle elle ne paraît pas être d’accord. Elle dit que c’est une idée de récit qui est masculine, ou au moins obsédée par des choses masculines : progrès, conquête, solution, un égo qui avance, qui résout, qui est vainqueur, qui convainc. Pourtant, dit Le Guin, on existe ici, au milieu. La plupart du temps. Au milieu, on existe, ou on essaie de continuer à exister : à témoigner.

De mon plein gré est le premier romain policier de Mathilde Forget et c’est un désastre ! Il ne respecte aucune des règles du genre : finalement, on ne sait pas qui est la victime, ni qui est le coupable, en tout cas personne n’est condamné ! Le personnage du Major est un bouffon. Encore une meuf qui vient tout gâcher dans notre genre littéraire viril, en plus de mettre tous les mecs qui l’apprécient dans l’embarrassante situation de devoir humaniser une femme, une personne née coupable.

On ne cessera jamais de faire nos connes.

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