En France, en 2016, on comptait près d’une cinquantaine de structures sportives se revendiquant LGBT+ qui permettaient à environ 60000 sportif.ve.s. de pratiquer leur sport favori. Les clubs en question, soit environ 45 sports différents, sont même regroupés en une fédération, la Fédération Sportive Gaie et Lesbienne (FSGL) qui fête cette année ses 30 ans et qui définit ainsi l’une de ses missions : faciliter l’intégration des personnes discriminées en raison de leur orientation sexuelle, de leur genre ou de leur identité mais également à cause de leur incapacité physique, de leur performance sportive, de leur âge, de leur physionomie ou leur maladie. « [La FSGL] encourage l’accueil de tous les publics par la pratique du sport au sein de ses associations LGBT, dans un cadre bienveillant où l’orientation sexuelle, le genre, le sexe, l’âge, l’état de santé, etc. ne sont pas des sujets », peut-on en effet lire sur son site. En somme, l’adhésion à un club de sport membre de la FSGL procèderait plutôt d’une démarche inclusive (ces clubs sont ouverts à tou.te.s) qu’exclusive.
On peut toutefois s’interroger sur les raisons qui poussent à faire intervenir les questions liées à l’orientation sexuelle dans les choix relevant des pratiques sportives. Pour tenter de comprendre ce qui poussent sportifs et sportives à adhérer à des structures LGBT+ friendly, nous avons recueilli un certains nombres de témoignages.
Des arts martiaux au roller derby
Lucie, qui pratique la course à pieds chez les Frontrunners, explique qu’elle n’avait pas envie d’un club qui ne se concentre que sur la compétition. L’étiquette LGBT+ friendly a été déterminante dans son choix. Elle voulait « éviter les comportements ou les remarques sur le fait [qu’elle était] une femme et/ou homosexuelle. » Elle explique : « je parle de paroles un peu déplacées, de petites choses (de petites agressions en fait) pas forcément fréquentes mais qui mettent mal à l’aise pour longtemps. Globalement, dans le sport il y a un rapport à son propre corps. La course m’a permis de prendre pleine conscience de mon corps, de me le réapproprier, de l’affirmer. À cette période-là de ma vie, j’avais besoin d’évoluer avec des gens qui ne se permettraient pas d’objectiver mon corps, que ce soient les hommes aux remarques sexistes/lesbophobes (vraiment beaucoup vécu) ou d’autres femmes qui me verraient comme l’expérience sexuelle rigolote à avoir avant 40 ans (vécu). »
Guillaume, lui, pratique la danse sportive. Pour lui, c’est la « possibilité de danser en couple de même sexe, [sans que le] rôle de danse (meneur-se; mené-e) [soit] imposé par le genre de la personne» qui a été déterminante.
Marie, qui pratique le karaté à Niji-Kan Karaté Do, dit également que la dimension LGBT+ du club a été décisive dans son choix, à l’époque, il y a 18 ans, cela procédait de la « volonté de [s’affirmer] dans [sa] vie lesbienne, concomitant à un coming out progressif, de la volonté de rencontrer d’autres LGBT ailleurs que dans des bars, et de faire un sport de combat, sans être jugée. »
Hache Tag Joe, qui pratique le roller derby chez les Cannibal Marmots de Grenoble, précise que « ce sont plus les valeurs d’ouverture et de tolérance qui [lui] ont fait choisir ce sport. » Furiosagathe, qui pratique le même sport chez Les Sirènes Hurlantes (à Dunkerque) dit elle aussi être « tombée amoureuse de ce sport autant pour sa pratique que pour ses valeurs. »
En effet, le cas du roller-derby, sport résolument féministe (pour les femmes et par les femmes) est de ce point de vue particulièrement intéressant. Depuis peu, le règlement sportif fédéral de la discipline Roller Derby FFRS intègre officiellement un article dédié et également une charte sur la politique du genre. C’est une grande première et un immense pas en avant pour le roller derby français et ses licencié.e.s. Le règlement permet à « tou-te-s de se sentir accueilli-e-s, en sécurité, estimé-e-s et encouragé-e-s au sein des équipes féminines ou masculines avec qui il/elle/iel/ielle se sentent le plus en accord avec leurs propres identités de genre. Désormais les personnes trans et intersexe pourront concourir au championnat de France dans le charter (masculin ou féminin) de leur choix en fonction du genre dont elles se sentent le plus proche. »
C’est encore Apo qui pratique également le roller derby (chez les Roller Derby Panthers à Saint-Gratien dans le 95) qui explique bien l’intérêt de ces structures LGBT+ : « les structures LGBT+ friendly existent pour leur permettre d’accéder à des conditions de vie sociale décentes et respectueuses. Ce n’est certainement pas nous qui cherchons à nous isoler de la société, c’est la société qui nous stigmatise et nous isole en étant laxiste sur les agressions dont nous sommes victimes, [en étant] volontairement aveugle sur la LGBT+phobie ordinaire, et en négligeant nos droits et besoins élémentaires. Les structures communautaires et LGBT+ friendly seront vitales pour notre défense, et parfois notre survie, tant que la société n’aura pas changé son attitude inacceptable et impitoyable à notre égard. »
Ne pas rester à la marge
Justement, lorsque l’on interroge les sportif.ve.s plus largement sur l’intérêt de l’existence de ces structures sportives LGBT+ friendly, les réponses sont assez unanimes. Ces structures existent, comme le dit Denis qui pratique le badminton, car elles permettent des « rencontres dans un milieu ‘protégé’ [où l’on peut] être soi ». Julien-Bernard, qui pratique également le rugby chez Les Gaillards, développe ainsi : « C’est une prise de position politique afin de donner à voir les groupes minorisés au reste de la société, que ce soit dans les championnats sportifs ou ailleurs. Les revendications LGBT Friendly, féministes, racisées, n’ont pas vocation à rester des marges, des ghettos dans le sport ou ailleurs, mais devraient être revendiquées par une majorité des clubs ou communautés. »
Lucie rappelle que s’il existe autant de structures LGBT+ friendly, c’est bien parce que le monde sportif français est homophobe : « Pourquoi aussi peu de sportifs et sportives sont out en général mais surtout en France? Il y a un tabou dans le sport en France. Tabou qui révèle simplement un problème d’acception. Les LGBT sont souvent vu.e.s comme des pervers sexuel.le.s ou plutôt porté.e.s sur la chose. Le sport a des effets sur notre rapport au corps (bons ou mauvais). Comment on perçoit notre corps, comment on le ressent, comment on le pousse, comment on le respecte, comment on le projette dans l’espace public ou dans des espaces plus intimes. Le sport crée une certaine proximité des corps (aux vestiaires, pendant l’entrainement, etc.). Pour les personnes qui voient les LGBT comme des prédateurs et prédatrices sexuel.le.s, cette proximité est source de malaise car la proximité physique avec des pervers, logiquement, c’est inquiétant. »
Elle continue : « Quand on va dans un club LGBT, le seul point qui change, mais qui change toute la manière dont on se projette au sein d’un groupe, c’est qu’il n’est plus question du genre pour déterminer une performance, plus question d’orientation sexuelle dans les rapports entre membres (que ce soit dans l’intimité des vestiaires, pendant les manipulations type étirements, ou juste dans les discussions d’après entrainement). On ne se voit pas à travers le prisme du genre ou de la sexualité mais simplement à travers celui du sport voire également des affinités personnelles. Et cela permet aussi d’intégrer les personnes trans plus naturellement, car ce qui attrait au genre n’est qu’anecdotique, pas déterminant. »
Les questions géographiques entrent également en ligne de compte comme l’explique encore Lucie : « Je pense qu’il faut aussi se rappeler que les clubs LBGT (ou autres organisations LGBT) existent en quantité dans certains endroits puis peu voire pas ailleurs. J’habite à Marseille. Il y a deux structures sportives multi-sports. Je déménage à Montpellier où je rejoindre l’unique structure sportive LGBT multi-sport. A Paris, on ne compte plus les clubs LBGT. Mais en dehors des grandes villes, je ne pense pas que la France regorge de clubs LBGT. Je crois que l’enjeu serait de développer ce type de structures là où elles n’existent pas. Bien sûr, l’enjeu à terme est que les clubs sportifs ‘traditionnels’ intègrent les problématiques LBGT dans leur manière de s’organiser, d’évoluer et de former. »
La sexualité, un « non-sujet »
Ce qui marque particulièrement, dans tous les témoignages que nous avons pu recueillir, c’est de voir à quel point, finalement, la sexualité au sens le plus large du terme, semble être un « non-sujet » dans les clubs LGBT+. La plupart des sportif.ve.s que nous avons intérogé.e.s mettent en avant l’idée qu’intégrer des clubs LGBT+ friendly leur permet de vivre sereinement leur sexualité sans craindre l’hétéronormativité, le sexisme et l’homophobie.
Comme l’écrit Antoine Leblanc dans son article « Gestion du risque et résilience des pratiques spatiales du sport lgbt », « les associations étiquetées LGBT, en France comme ailleurs, sont des associations de facto ouvertes à tous sans distinction de genre ou de sexualité. […] La sexualité ne devrait peut-être pas être considérée comme facteur décisionnel, mais les études sur le sujet montrent que c’est une illusion de croire qu’elle est absente des clubs traditionnels ; en réalité, c’est sans doute dans les clubs estampillés LGBT que les sexualités rentrent le moins en ligne de compte, ces clubs constituant une réponse pragmatique au fait que les clubs traditionnels, non estampillés LGBT, pratiquent une normativité hétérosexuelle marquée, qui se traduit, volontairement ou non, par une discrimination envers les homosexuels plus ou moins visible et plus ou moins assumée. »