La typographie inclusive, un mouvement féministe/queer/trans-pédé-bi-gouine !

Ces derniers jours, la presse et les réseaux sociaux se sont emballés suite à l’article paru ce 20 octobre 2020 sur le site de la Tribune de Genève «Un Genevois crée la première typographie inclusive» concernant le travail typographique de Tristan Bartolini. 

Un grand nombre de médias ont republié l’article presque tel quel, en conservant ce titre qui propage l’idée simpliste que ce travail typographique est la découverte d’une seule personne, alors que de nombreuses personnes féministes/queer/trans-pédé-bi-gouines travaillent ardument à la visibilisation et à la diffusion de caractères typographiques inclusifs (et donc de typographie inclusive) depuis plusieurs années maintenant. Afin de ne pas invisibiliser à nouveau les personnes directement concernées par ces recherches, il nous semble important de rééquilibrer la balance médiatique.
Des caractères typographiques inclusifs et non-binaires, il en existe déjà ! Certains caractères sont par exemple hébergés sur la fonderie Velvetyne, au sein des polices VG5000 de Justin Bihan, ou Cirrus Cumulus de Clara Sambot.

Ces caractères sont publiés sous une licence libre qui autorise et promeut leur utilisation, leur modification et le partage de ces modifications aux seules deux conditions de ne pas leur retirer les informations d’autorat ni de les redistribuer sous une licence plus contraignante.
C’est un choix qui prend ici tout son sens. En invitant les designers à modifier et ajouter des caractères, la licence libre pointe l’urgence d’inclusivité et la possibilité de faire évoluer les polices dessinées à plusieurs mains et dans le temps, requestionnant l’idée du créateur (accord masculin délibéré) solitaire, de son idée géniale et de sa production immuable, incontestable et définitive. Le partage et l’usage des fontes sous licences libres, notamment par les étudiant·es, infusent les réseaux, rendent visibles les dessins de caractères et documentent leurs possibilités techniques.

D’autres fontes existent sans être distribuées, comme par exemple la JonquinabcRT créée par Sarah Kremer et augmentée de glyphes inclusifs dessinés par Emilie Guesse, Maisie Harding et Alain Maréchal. Ces typographies se disséminent au fil du temps à la lecture d’objets graphiques qui les utilisent et de designers engagé·es qui les proposent aux commanditaires de design graphique.
D’autres caractères sont encore à l’état de recherche et d’expérimentation par de nombreuxses ,designers membres de la collective Bye Bye Binary

Ces recherches — amplement présentées publiquement depuis 2018 — feront d’ailleurs l’objet d’un numéro de la revue typographique La Perruque à paraître sous peu chez Surface Utiles ainsi que d’une publication scientifique dans le prochain numéro de la revue RADDAR (revue annuelle franco-suisse consacrée à la recherche en design).
Bye Bye Binary réfléchit aussi à comment rendre les accords de genre fluides grâce à la typographie variable, à la prononciation de ces caractères, aux parallèles entre normes dans le design et dans le genre, à l’aménagement d’un troisième genre, un genre non-binaire, en s’appuyant sur les recherches en linguistique d’Alpheratz ou encore les expérimentations littéraires contemporaines de Clara Pacotte. 
Ces recherches contemporaines ne sont pas détachées de leur histoire (Monique WittigLes Guérillères, L’Opoponax). Dans cette lignée, Bye Bye Binary continue d’établir une grammaire non-binaire nommée ACADAM, qui recourt, entre autres, au pronom neutre « ol » (ex. : « ol est typographe »).

L’article Crystal Clear écrit par Loraine Furter pour Depatriarchise Design  fait également état des recherches typographiques de la collective Bye Bye Binary tout en apportant une perspective historique sur l’invisibilisation des femmes dans le design, invisibilisation dont nous pouvons regretter qu’elle demeure à l’œuvre, lorsque les médias qui se réjouissent de l’apport significatif de Tristan Bartolini oublient les démarches pionnières de Roxanne Maillet, Clara Pacotte, Justin Bihan, Clara Sambot, toutes les autres personnes de la collective Bye Bye Binary et sans doute d’autres encore.
Il n’est pas question pour nous de dénigrer le travail remarquable de Tristan Bartolini puisqu’il est primordial de mettre en avant ces recherches typographiques, qui contribuent à ouvrir un champ supplémentaire de représentation et de matérialité pour les existences trans, queer et non-binaires. 

Nous tenons d’ailleurs à préciser que Tristan s’évertue avec nous à rétablir l’historiographie et la chronologie de ces travaux, et à atténuer les effets en cascade qui se sont enchainés depuis la publication de l’article mal renseigné de la Tribune de Genève (dont le titre vient seulement d’être modifié après plus de trois jours de diffusion et plusieurs demandes de notre part et de la part de Tristan Bartolini lui-même).

Ces recherches contribuent à faire exister à l’écrit l’étendue et les variations du genre : c’est pour cette raison qu’il est important de ne pas invisibiliser la production de designers et plus généralement de personnes concernées (parce que trans, genderqueer, non-binaires) et pour qui ces recherches graphiques sur l’écriture inclusive relèvent d’une urgence et d’une nécessité existentielles, dans la mesure où elles leur offrent de matérialiser leur existence dans l’espace commun, collectif et partagé d’une langue.
Addendum. Depuis ses débuts Bye Bye Binary a cherché à nourrir des imaginaires pour la recherche, dans un processus continu plutôt qu’en essayant de trouver “la” solution pratique qui conviendra à touxtes, et il reste du travail!Nous avons par exemple été interpelé·es par plusieurs personnes handi, dys et neuroa sur la complexité que peut présenter la lecture de nos expérimentations typographiques et nous tenions à communiquer que nous sommes sensibles à ces retours, et que c’est en effet une intersection qui reste à développer. Des premiers travaux en étude de lisibilité sont en cours sur ces questions et nous sommes ouvert·e·s à toute discussion nécessaire pour rendre  les caractères et les typographies que l’on produit les plus inclusives possible.


Signatrix
Barthélémy Cardonne, Camille·Circlude·Caroline·Dath, Laura Conant, Loraine Furter, Laure Giletti, Pierre Huyghebaert, Tiphaine Kazi-Tani, Ludi Loiseau, Roxanne Maillet, Hélène Mourrier, Axelle Neveu, Marouchka Payen, Mathilde Quentin, Léna Salabert, Clara Sambot, Avril*Justine Sarlat.

pour Bye Bye Binary* imaginaires typographiques inclusifs, queer et non-binaires

http://genderfluid.space/

Insta : @bye.byebinary

* Bye Bye Binary (BBB) http://genderfluid.space/ est une collective franco-belge, une expérimentation pédagogique, une communauté, un atelier de création typo·graphique variable, un réseau, une alliance. La typographie inclusive fait partie de leurs champs de recherche.
La collective Bye Bye Binary (http://genderfluid.space/), formé en novembre 2018 lors d’un workshop conjoint des ateliers de typographie de l’École de Recherche Graphique (erg) et La Cambre (Bruxelles), propose d’explorer de nouvelles formes graphiques et typographiques adaptées à la langue française, notamment la création de glyphes (lettres, ligatures, points médians, éléments de liaison ou de symbiose) prenant pour point de départ, terrain d’expérimentation et sujet de recherche le langage et l’écriture inclusive.

Typograhphie inclusive : bye by bynary

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.