À la fin du mois d’août, rituel de fin d’été, je suis retournée en Ardèche avec quelques copines pour les tant attendus Etats Généraux du Film Documentaire de Lussas. Au programme, 3 séances par jours, des projections enthousiasmantes et d’autres parfois plus pénibles, des débriefs enflammés au Kilana, des escapades à la rivière pour lire Léa Rivière, des fêtes incroyables dans des lieux secrets, une canicule conclue par un bel orage. A noter cette année, le festival avait fait la part belle aux (très) longs films, comme pour conjurer notre déficit croissant d’attention. Et, sur une autre note, on aperçu plein de nouvelles pédettes parmi les festivalier·e·s, ce qui nous a ravi car ici on aime fort les pédettes.
Pour résumer cette 35ème édition, voici une liste des séances auxquelles j’ai pu assister (car beaucoup étaient complètes avant même notre arrivée sur place) et qui m’ont marquée, séances recensées ici par ordre de visionnage afin d’éviter tout incident diplomatique.
Last Things, de Deborah Stratman
Tirant vers l’essai et la science fiction, ce documentaire raconte l’extinction de l’humanité du point de vue du règne minéral. Un film remarquablement poétique qui nous invite à désanthropocentrer notre regard, à voir la roche comme une matière vivante et potentiellement hostile, et qui personnellement m’a rappelé l’étrange essai Alien Phenomenology du chercheur Ian Bogost.
Nuestra voz de tierra memoria y futuro, de Marta Rodriguez & Jorge Silva
Tourné en noir et blanc entre 74 et 81, ce film mêlant documentaire et fiction évoque la lutte d’un groupe d’indigènes colombiens de la région des Andes pour récupérer leurs terres confisquées par les descendants des colons espagnols. Via la création du CRIC, Conseil Régional Indigène du Cauca, les paysans tentent d’en recollectiviser la production. Mêlant discours marxistes et superstitions religieuses, ils semblent en prise avec des visions du diable et d’un étrange propriétaire aux traits d’Abraham Lincoln.
Le Repli, de Joseph Paris
Un documentaire politique plus que bienvenu, qui retrace deux décennies d’autoritarisme gouvernemental, de faux dérapages présidentiels en glissements sécuritaires. A travers des archives et des commentaires, le film analyse le racisme et l’islamophobie françaises non (comme bien souvent) en se concentrant sur les positions du front national mais en décortiquant cette fois ses incarnations par l’Etat, rappelant au passage le rôle non-négligeable joué par la gauche et le parti socialiste dans l’instauration d’un état d’urgence permanent et la répression policière de la communauté musulmanes.
4801 Nuits, de Laurence Michel
Difficile d’être objectif sur un film quand on en connait l’autrice : j’ai rencontré Laurence à Lussas il y a quelques années, c’est elle qui m’a convaincu de me former au documentaire. Avec pudeur, poésie et une pointe d’humour, son court-métrage intime raconte son rapport à l’alcool puis à la sobriété, de son enfance aux nuits lesbiennes du Pulp et des années 2000. Avec tendresse, Laurence nous rappelle – si d’autres films nous en avaient fait douter – que l’écriture à la première personne, en documentaire, peut être sensible et bienvenue. On s’attache à cette narratrice et on regrette presque de ne pas passer plus de temps avec elle : sans doute le seul bémol du film, sa courte durée (39 minutes), qui révèle quelque chose, sans doute, de l’humilité de l’approche de sa réalisatrice.
By the throat, d’Effi & Amir
« Ce film était si beau, je ne peux plus rien voir d’autre aujourd’hui ». Voilà le genre de phrases qui, quand tu l’entends à la sortie d’une séance à laquelle tu n’es pas allée, te fait grandement reconsidérer tes choix de programmation et même de vie : et si je m’étais couchée plus tôt hier, et que j’étais allée à telle séance ce matin, alors j’aurais pu voir ce film dont toutes celles qui l’ont vu disent combien il les a bouleversées. Petite exception à cette liste, donc, By the throat est le seul film ici que je n’ai pas visionné, mais compte tenu des retours de personnes en qui j’ai pleine confiance, je vous recommande cette réflexion sur la langue et la frontière avec le conflit Israëlo-Palestinien en toile de fond. Et comme il est sur Tenk, m’a-t-on dit, je compte bien le voir très vite.
La Nuit de la radio, par Judith Bordas
Temps fort du festival, c’est avec un plaisir quasi-enfantin que nous avons retrouvé la Nuit de la radio, organisée chaque année par la Scam. Pour cette édition, pluie diluvienne oblige, l’évènement a été relocalisé au sein de l’église de Lussas. Et si on a regretté les terrasses de Saint Laurent et leur vue saisissante sur la vallée, on aura apprécié cette collectivisation temporaire du bâtiment religieux et la possibilité d’y boire une bière – bien plus agréable que le vin de messe. Surtout, écouter le programme Les morts ne l’entendent pas de cette oreille dans une église – étrange coup du sort lussassien – aura permis une mise en abime particulièrement heureuse : merci l’orage.
Transfariana, de Joris Lachaise
En Colombie, la convergence entre les luttes des FARC en passe de signer un accord de paix et de devenir un parti politique d’une part, et la communauté trans d’autre part, se tisse grâce à différents militants aux parcours variés : tombé amoureux de Laura, détenue trans qu’il a rencontrée en prison, Jaison interpelle ses camarades depuis sa prison contre la transphobie et le virilisme qui gangrènent leur mouvement, qui l’a même exclu temporairement de la guérilla pour cette raison. D’anciennes guérilleras devenues trans lors de leur détention tentent elles de faire évoluer la guérilla de l’intérieur en y gardant la tête haute. Militants trans et communistes, Daniela et Máximo rappellent les liens entre luttes sociales et luttes trans tout en faisant de la pédagogie dans les campements des FARC – quitte à se retrouver confrontés à une transphobie et une homophobie parfois crasses. Un film puissant, porté par ses protagonistes solaires et retraçant avec poésie et justesse les mutations politiques récentes de la Colombie.
En communauté, de Camille Octobre Laperche
Un groupe de bonnes soeurs à l’âge de la retraite raconte leur éloignement progressif de l’Eglise catholique. Imprégnées de culture communiste, elles ont en effet décidé de briser leur voeu de silence, de vendre leur couvent et de s’établir en communauté non-mixte en ville afin de pouvoir se réengager dans le monde et rejoindre des manifs. Sans doute l’un des films les plus butchs du festival.