MUT’UP : premier spectacle de stand up 100% TRANS

MUT’UP, on connaît : l’iconique soirée de stand up de la Mutinerie où l’on a pu applaudir (et même parfois découvrir) de nombreux·ses comédien·nes. Quel autre lieu sinon celui-ci pouvait accueillir une soirée de stand up qui réunisse sur la même scène seulement des personnes trans ? On n’osait pas en rêver, pourtant la Mut’ et Lou Trotignon l’ont fait. Entre deux spectacles à guichet fermé, Lou a pris le temps de répondre à nos questions sur cet événement unique qui s’annonce déjà démentiel.

Est-ce que tu peux nous présenter la Mut Up ?

La Mut UP c’est un plateau de stand UP « par et pour les queers* », qui a lieu une fois tous les deux mois dans l’un des plus anciens bars queers de Paris : La Mutinerie. J’ai créé ce plateau il y a deux ans en constatant qu’il y avait peu de personnes queers dans le stand UP en France, j’ai voulu créer un espace safe pour les artistes mais aussi pour le public queer. Tout le monde est bienvenu.e, mais pour une fois on adapte pas notre langage ou nos blagues à la norme. On est entre nous, et on l’assume !
Bien sûr ce n’est pas la première initiative de ce type : il existe aussi le Comédie Love avec Tahnee Mahaut Drama et Noam Sinseau, le Good Girls Comedy Club d’Alicia C’est Tout, La Mounette de Natacha Prudent et Célia Bouy, et la liste ne fait qu’augmenter.

*Queer = “bizarre” en anglais. Désigne toutes les personnes en dehors des normes de genre et de sexualité.

La prochaine soirée est consacrée aux artistes trans exclusivement : pourquoi ?

Quand je vais jouer en Comedy club, je suis toujours la seule personne trans. Souvent quand je monte sur scène et que je dis que je suis trans j’entends des « oh non pas encore eux ! » et ça me fait rire parce que y a que moi.
Non seulement les artistes présent.e.s lundi sont des artistes dont j’aime le travail et que j’aurais invité.e.s dans tous les cas, mais l’idée de les réunir dans une soirée 100% trans vient de cette envie de se sentir moins seul sur scène et pour une fois ne pas être une exception. Je veux aussi montrer qu’on existe, qu’on est là et que chacun.e a des choses différentes à dire.

Tu fais toi-même du stand up et tu rencontres pas mal de succès avec ton spectacle Mérou. Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées pour te lancer ?

Quand j’ai commencé, on m’a très vite dit que je n’aurais pas de public : parler de genre et de sexualité c’est « trop de niche », alors que tout le monde a un genre et une sexualité ! J’ai eu l’impression de devoir doubler d’effort et d’être très drôle très vite pour être considéré au même titre que des mecs cis* hétéro.
Cela étant, quand j’ai lancé mon spectacle Mérou, ça a tout de suite fonctionné. J’ai tout de suite remarqué la demande d’un public queer qui jusqu’ici n’allait plus voir du stand UP parce que ça ne leur parlait pas et parce qu’il était devenu inévitable de tomber sur des blagues transphobes, homophobes et tutti quanti. Et c’est ça que j’ai remarqué avec la Mut UP également : à chaque fois on est si full que les gens sont debout.

En Juin dernier avec le Comédie Love et La Mut Up nous avons organisé un plateau pour la Pride à l’Européen. C’était incroyable, 300 Queers dans une salle mythique du stand up.

*Cis = inverse de trans, se sentir en accord avec son genre assigné à la naissance.

© Ambroise King

Quels sont les obstacles spécifiques dans l’accès à la scène pour les personnes appartenant aux minorités de genre ou sexuelles ?

Premièrement un truc qu’on oublie facilement c’est que ça prend beaucoup de temps pour gagner sa vie avec le stand up, c’est une pratique artistique qui précarise. De fait, les personnes déjà précaires vont avoir des difficultés à y consacrer du temps. Or, la plupart des personnes appartenant aux minorités de genre et/ou sexuelles, en particulier les personnes trans, sont déjà précaires.
La deuxième difficulté c’est de se faire une place dans les Comedy Club, on doit doubler d’efforts pour être considéré comme drôle et pas comme juste gay ou trans, etc. Or pour apprendre à être drôle, il faut qu’on ait nos places en Comedy club. C’est le serpent qui se mord la queue. Il y a encore trop de plateaux de stand up avec une seule meuf, à part le Barbès Comedy Club de Shirley Souagnon qui a fermé, je n’ai vu aucun autre grand Comedy club prendre en compte cette difficulté qu’on rencontre en tant qu’artiste queer.
Enfin, il faut être bien accroché, car si des fois nous bidons parce que nous devons encore travailler nos textes, nous avons parfois des scènes où nous recevons en direct du public de la transphobie, du racisme, de l’homophobie, etc. Parfois même (souvent) on en a aussi en loge, du fait d’être seul.e.

Qui sont les gens qui viennent te voir ?

Au départ, j’avais surtout un public queer, ce qui a largement suffi à remplir mes salles. Après ma chronique à France Inter sur l’émission du Grand Dimanche Soir, j’ai pu atteindre un public plus large : à mon spectacle il y a des queers, des hétéros, des parents de personnes trans, des gens qui veulent apprendre, des gens qui veulent rire etc. Le stand up queer n’est pas que pour les queers !

Est-ce que le fait d’être queer et a fortiori trans ça change quelque chose dans le rapport au public ? Et si oui, quoi ?

Ça dépend, j’ai pu me retrouver devant des publics hostiles aux questions LGBT, voire carrément transphobes. Dans ce cas là, mon objectif n’est plus de faire rire mais juste d’exister devant eux en gardant ma légèreté et mon sourire. Mais je trouve ça dommage, moi je fais ce travail avant tout pour faire rire.
Je pense que ce n’est pas la faute du public, c’est la responsabilité des programmateurs et programmatrices de stand up. C’est sûr que si sur le Line up il n’y a que des sketchs sexistes, transphobes, etc, le public va être encore moins enclin à m’écouter.
Cela dit, la plupart du temps, ça se passe bien pour moi. Il y a des hétéros qui viennent à La Mut UP un peu par hasard et qui sont étonné.e.s elleux-mêmes de passer un si bon moment même sans être concerné.e.s par le sujet. Avec le rire, on se sent lié.e.s les un.e.s aux autres.

Qu’est-ce qui change entre un spectacle à La Nouvelle Scène et Mut up à la Mutinerie ? Est-ce que c’est plus ou moins stressant… et pourquoi ?

En réalité je vois peu de différences parce que dans les deux cas, le public présent vient voir une soirée dédiée aux questions queers et LGBT. J’ai fait toutes mes armes à La Mut UP car j’ai pu évoluer dans un endroit safe avec mes pairs. Beaucoup de mes passages de mon spectacle ont pris naissance à La Mut UP.
Quand je suis à La Mut UP, cela dit, je me sens moins obligé d’expliquer des définitions. Il y a une ambiance de concert, une bienveillance énorme du public, les gens sont trop content.e.s de voir des personnes leur ressemblant parler de leurs vies. On dit souvent entre nous, quand on stresse avant de jouer : « de toutes façons à La Mut UP, tu dis bonjour les gens hurlent ».

Peux-tu nous parler des artistes présent·es ce soir-là ? Comment s’est faite la programmation ?

J’ai d’abord contacté une artiste trans, Luciole de Feu, qui commence à faire sa place dans le stand up pour m’aider dans la programmation.
On a ensuite fait la liste des personnes qu’on connaissait et qui nous font rire pour les inviter. Puis on a croisé les doigts pour qu’iels soient dispos. Toustes ne l’étaient pas ! C’est pour dire qu’on est plus que ce plateau.
Toustes sont des artistes trans et/ou non binaire/genderfluid.
Yas est un artiste que j’aime beaucoup et à qui je propose souvent des premières parties, il a un flegme incroyable et des punchs acérées.
Naëlle Dariya est une actrice que j’admire et qui a lancé son one woman show, ça faisait longtemps que je voulais qu’elle soit avec nous.
J’ai rencontré Mado lors d’un atelier d’écriture de stand UP que je donnais avec Tahnee, depuis elle lance aussi des initiatives de plateaux queers à Lyon avec trois autres personnes (Le quatuor de pussy).
Dhyepha fait du stand UP depuis longtemps, ça nous semblait évident de l’inviter également.
Enfin, Phoenix Atala nous fait le plaisir d’être présent et j’en suis ravi car il s’agit d’un artiste complet, transversal, qui propose plus que du stand up.
Nous avons également deux personnes qui viennent tester un de leurs premiers sketch de 5min à l’occasion.
Nous avons également mis un point d’honneur à ce qu’il y ait des personnes trans racisées car elles sont encore plus sous représentées que les personnes trans blanches.
Nous avons aussi proposé à Océan ou Laurène Marx qui sont des artistes trans bien assis.e.s dans le domaine du seul en scène, mais qui n’étaient pas disponibles.

On peut rire de nos vécus quand on est queer ? On a tendance à insister sur l’aspect douloureux de la construction de nos identités et de notre place dans la société. De quoi rit-on quand on est un·e artiste de stand up trans ?

En fait, on parle juste de soi et comme je suis trans, j’en parle. Mais je parle aussi d’amour, de date, de BDSM, de politique, etc. Certaines personnes présentes lundi n’abordent pas nécessairement leur transidentité.

Évidemment qu’on peut rire de nos vécus, tant que c’est nous qui le faisons. On oublie souvent, et moi le premier, que l’humour est une partie importante de la culture queer. On utilise beaucoup ce médium pour parler de choses difficiles : par le drag, l’humour camp, maintenant le stand up. Je pense qu’il est important d’avoir d’autres formes d’art présentant sans humour nos difficultés, mais je trouve que les médias mainstream ont surtout insisté sur nos vécus douloureux souvent pour nous médicaliser, nous psychiatriser, pas toujours pour nous aider à être compris.e.s. Comme je dis souvent ce n’est pas la transition qui est difficile, c’est la transphobie.

Ce serait quoi ton conseil pour se lancer sur les planches ?

Il faut simplement se lancer ! Alors oui, ça paraît bête dit comme ça, mais la première étape c’est d’écrire un premier sketch et d’aller le tester. Il existe plein de lieux pour tenter : les ateliers d’écriture de stand up avec Tahnee à la Flèche d’Or, Shirley Souagnon propose également des ateliers de stand up. Il est possible aussi d’aller tester directement sur scène à des « Open Mic », tout le monde peut y jouer. Je pense au Gym Comic au Charlie et sa bière à deux balles. Et après, il faut recommencer, continuer à tester, créer ses lieux s’il le faut !
Mon conseil pour les personnes queers, que j’aimerais ne pas donner, c’est de toujours penser au fait que le public n’est majoritairement pas queer. Pour se protéger soi-même, mais aussi pour ne pas perdre le public, je conseille d’essayer de se mettre à leur place, de prendre le temps d’expliquer des termes. Mais ça peut déjà être des blagues, et si vous le souhaitez, ça n’a pas besoin d’être dans la douceur. Dans tous les cas, se poser la question de « à qui on parle » est importante. Choisir de s’en foutre est aussi un choix important et légitime.
Et enfin, partez de vous, de vos émotions, si tout le monde ne peut pas comprendre la transidentité, tout le monde peut comprendre le fait de se sentir parfois un peu à côté de soi.

MUT’UP à La Mutinerie, lundi 15 janvier, 20h, sans réservation, prévoir du cash, les artistes sont rémunéré·es au chapeau.

Lou Trotignon joue son spectacle Mérou à La Nouvelle Seine, les jeudis soirs (21€ en plein tarif). Allez-y !