PrEP, traitement comme prévention… La lutte contre le VIH a connu plusieurs révolutions ces dernières années. Des révolutions qui concernent en premier lieu la population qui reste la plus exposée à l’épidémie : les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes. À quelques jours de la Journée internationale de lutte contre le SIDA du 1er décembre, on s’est quand même demandé : qu’en est-il de l’accès au dépistage ? On a interrogé des gays autour de nous… et c’est pas gagné.
Update : cet article a été écrit en novembre 2018. Depuis, il est devenu possible de se faire dépister du VIH gratuitement et sans ordonnance dans les laboratoires de Paris intra muros et des Alpes-Maritimes.
Avant, tout était plus simple. Quand j’habitais à Marseille, le centre de dépistage (CeGIDD1) à côté du bureau était ouvert entre midi et deux avec un temps d’attente rarement supérieur à dix minutes. Mais depuis un an et demi que j’habite à Paris, faire un dépistage m’a paru beaucoup plus compliqué. Horaires restreints, lieux complets avant même l’ouverture… Dans la région qui compte le taux de prévalence au VIH le plus élevé de France métropolitaine, rien ne semble possible dans ce domaine sans organisation.
Quand on sait que 1. la majorité des contaminations au VIH concernent des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ; et que 2. Ces contaminations sont en majorité le fait de séropositifs qui s’ignorent : l’accès au dépistage ne devrait-il pas être aussi facile qu’acheter une baguette de pain ? Je me suis donc posé la question en interrogeant des mecs autour de moi : suis-je le pédé le moins dégourdi de Paris ou bien y a-t-il un problème ?
Première embûche : l’accès au dépistage
« Peu de lieux de dépistage, des horaires peu commodes, si peu de créneaux qu’ils sont littéralement pris d’assaut. » Patrick (25 ans) résume à peu près tous les témoignages que j’ai pu recueillir : l’accès aux centres de dépistage est compliqué, voire carrément impossible pour peu que l’on travaille avec des horaires de bureau classiques.
Selon sida-info-service.org, il y a 13 CeGIDD à Paris (pour 2,2 millions d’habitant·e·s) et sept en Seine-Saint-Denis (1,6 million)2. Parmi eux, deux se destinent à un public LGBT (dont un en priorité aux HSH : le 190). La plupart ouvrent à des horaires de bureau la semaine ainsi que le samedi matin. Des créneaux existent parfois pour des dépistages sur rendez-vous. Cependant, le Checkpoint a récemment cessé ces rendez-vous car, selon l’explication que l’on m’a donnée quand j’ai essayé d’en prendre un, « les gens prenaient rendez-vous et ne venaient pas ».
Mais les ouvertures affichées ne disent pas tout, comme le raconte Léo (31 ans) : « Quand tu regardes les horaires de CeGIDD sur internet, on te donne des plages horaires de dépistage mais, en fait, il faut arriver une heure avant : si tu arrives à l’heure d’ouverture, toutes les places sont déjà prises par les gens qui sont arrivés une heure avant toi. »
« J’ai été au CMS Belleville sans rendez-vous un jeudi après-midi. J’ai dû attendre 2h30 parce qu’il y avait du monde. »
—Ranveer, 31 ans
Ces difficultés poussent certains garçons à choisir d’autres accès au dépistage. Ainsi, Antoine, 27 ans : « À force d’avoir des problèmes à trouver un endroit ou des dispos, voire de ne jamais avoir de réponse au téléphone, maintenant je fais de l’auto-dépistage en achetant les tests en pharmacie. » Ces kits coûtent entre 16 et 28 € : il s’agit de tests rapides qui permettent de connaître son statut à partir d’une goutte de sang en une quinzaine de minutes. Problème : ils ne sont fiables que si la prise de risque date d’au moins trois mois et ne testent pas les autres infections sexuellement transmissibles.
Autre solution, choisie par Marc, 37 ans : aller directement faire un test sanguin en laboratoire. « Sans ordonnance, c’est 22 € : j’assume. C’est ma façon de le faire régulièrement, sinon je ne me motiverais pas. »
UPDATE : Mardi 27 novembre, la ville de Paris a annoncé que les tests VIH seraient accessibles gratuitement et sans ordonnance en laboratoire dans la capitale.
Enfin, il reste la possibilité de se faire prescrire un test par son ou sa médecin. À condition d’avoir en face de soi un·e professionnel·le compétent·e.
ZOOM SUR LA PREP
La prophylaxie pré-exposition ou PrEP est un traitement préventif qui s’adresse aux personnes séronégatives. Bien suivie, elle est efficace à 100 % dans la prévention du VIH.
La première prescription de PrEP a lieu en CeGIDD ou à l’hôpital. Le suivi, qui comprend des dépistages réguliers pour les diverses IST, peut s’effectuer par un·e médecin généraliste.
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Des professionnel·le·s parfois à côté de la plaque
Si vous n’avez pas la chance de Ranveer, 31 ans, dont la médecin généraliste, aujourd’hui retraitée, « était assez open et [lui] prescrivait les tests, y compris pour la gorge et anal », votre médecin de famille n’est peut-être pas très au point sur la santé sexuelle en général, et encore moins celle des gays.
Ainsi, après mon expérience infructueuse en CeGIDD, ma nouvelle médecin traitante en arrivant à Paris n’a eu aucun problème à me prescrire des tests, mais pas pour l’hépatite A car « ce n’est pas une IST » (sauf que pour les gays : si). Erwan, 26 ans, a voulu faire un check up après une rupture. « Le généraliste que je suis allé voir était étonné de la démarche et m’a demandé pourquoi : “C’est pas bien de vous mettre en danger comme ça, il faut faire attention…” C’est un médecin de ville qui s’occupe surtout des petits vieux et des familles. Il ne devait pas être habitué à ce genre de demande. Il a quand même fini par me faire une ordonnance mais je ne suis jamais retourné le voir. »
Plus embêtant, les personnes censées être des spécialistes de santé sexuelle ne sont pas toujours les plus bienveillantes face aux hommes qu’ils accueillent. Brad raconte ainsi son expérience au centre de la Place des Fêtes, alors qu’il avait 22 ans : « J’étais totalement flippé du VIH à l’époque. Je demande au médecin quels sont les risques de contamination quand on suce quelqu’un. Il m’a juste répondu, d’un ton condescendant, “vous connaissez beaucoup de mecs qui acceptent de se faire sucer avec une capote vous ?” et a refusé de me répondre3. Je n’ai plus osé poser de question. »
« J’ai dû expliquer à mon généraliste ce qu’était la PrEP. Il avait l’air perplexe. Il n’en avait jamais entendu parler. »
— Pierre, 32 ans
Ce n’est que plus tard, en allant se faire dépister chez AIDES à Montreuil que Brad s’est rendu compte « qu’il y a des gens qui peuvent répondre aux questions sans culpabiliser ». D’ailleurs, de manière générale, plusieurs témoins racontent qu’ils se sentent mieux accueillis et plus à l’aise dans des lieux communautaires LGBT plutôt que des centres généralistes.
Au-delà de la froideur de l’accueil ou de la méconnaissance, certains récits témoignent de situations beaucoup plus problématiques face à des personnes en situation d’urgence. Ainsi, Marc raconte qu’après qu’un de ses partenaires l’ait informé avoir attrapé la syphilis, il s’est rendu dans trois CeGIDD différents. Tous ont refusé de le prendre en charge par manque de place. « Au final c’est mon mec, qui vit à l’étranger, qui a réussi à se procurer une dose d’antibiotique et m’a piqué. »
« Dans un lieu LGBT, je me sens plus libre de parler des pratiques. Cela me gêne moins de parler fellation, sodomie, etc. »
— Léo, 31 ans
Mais Hemeric, 29 ans, a un récit encore plus déstabilisant : « Après une soirée, je rentre avec un mec. Je le prends avec capote. On s’endort. Je me réveille trois heures plus tard et le mec est en train de me prendre sans capote, il se passe un peu de temps entre le moment où je reprends conscience, où je réalise ce qu’il se passe et où je comprends que ce rapport est non protégé. Je file aux urgences de Saint-Louis pour un traitement post-exposition (TPE). L’accueil là-bas est assez merdique et franchement pas du tout adapté à une personne dans ma situation : j’ai failli partir après que la personne de l’accueil se soit ouvertement foutue de ma gueule parce que je lui ai demandé quand j’allais passer car le TPE était urgent. »
ZOOM SUR LE TPE
Le traitement post-exposition ou TPE est donné en urgence après un risque de transmission, tel qu’un rapport non protégé. Pour en bénéficier il faut se rendre aux urgences de l’hôpital si possible dans les quatre heures suivant le risque et dans tous les cas avant 48 heures. Le TPE est 100 % remboursé par la Sécurité sociale.
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Mais le pire vient quatre jours après « avec le médecin du centre IST, toujours à l’hôpital Saint-Louis4, chez qui je suis allé faire le suivi. Il a tiqué parce que j’ai employé d’emblée le mot “viol” en lui racontant mon histoire5. Il a laissé entendre que j’exagérais en employant ce mot. On a passé plus de temps à débattre de sémantique qu’à parler de santé sexuelle. Je me suis barré assez rapidement, en oubliant de mentionner certains détails qui auraient pu être importants pour évaluer les risques. » Comme le résume lui-même Hemeric « Qu’est-ce que ce débat a apporté à la consultation, à part niquer totalement la relation patient-médecin et me donner envie de me casser le plus vite possible et de ne jamais revenir ? »
La fin de l’épidémie passe par des moyens supplémentaires pour le dépistage
Les chiffres sont éloquents : les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes sont de loin la population la plus touchée par le VIH. Ils constituent 44 % des découvertes de séropositivité. L’Île-de-France concentre 42 % des nouveaux cas de séropositivité en France (alors qu’elle ne compte que 18 % de la population). À Paris, l’épidémie est cinq fois plus élevée que la moyenne nationale.
Or, aujourd’hui, une personne séropositive correctement traitée depuis plusieurs mois ne peut pas transmettre le VIH. Ce sont donc les personnes qui ne connaissent pas leur statut qui alimentent l’épidémie.
La Haute Autorité de Santé recommande que les hommes gays ou bisexuels effectuent un test tous les trois mois… Pourtant en 2017, seuls 53 % d’entre eux avaient effectué un test dans la dernière année.
Les témoignages recueillis ici ne constituent évidemment pas une étude scientifique sur les freins à l’accès au dépistage et à la prévention chez les gays parisiens. Ils font cependant apparaître que le manque de moyens et de formation des professionnel·le·s est une difficulté pour accéder au dépistage.
Quand on sait que les hommes qui ont accepté de me répondre sont probablement plus informés sur la question que la population générale, qu’ils ont déjà effectué des démarches et se sont renseignés, on devine que la fin de la transmission du virus — qui est pourtant un objectif politique affiché — ne se fera pas sans investissements supplémentaires pour l’accès au dépistage.
DANS VOTRE AGENDA DU 1ER DÉCEMBRE
- « DISCRIMINATIONS + RÉPRESSION = CONTAMINATIONS » : La manifestation d’ACT UP Paris partira à 17 h de la place de la République.
- Sidragtion : Pour la troisième année consécutive, les drag queens parisiennes parcourront le Marais à partir de 17 h pour recueillir des dons pour le Sidaction.
NOTES
1 Un CeGIDD est un centre gratuit d’information de dépistage et de diagnostic des infections. Parfois appelé par son ancien nom de CDAG, centre de dépistage anonyme et gratuit.↑
2 À titre de comparaison, il y a 14 CeGIDD dans les Bouches-du-Rhône pour 2 millions d’habitant·e·s.↑
3 Il existe un risque faible mais réel de transmission du VIH pour la personne qui fait une fellation, notamment si elle reçoit du sperme ou du liquide séminal dans la bouche. Pour en savoir plus, cliquez ici.↑
4 Ce n’est pas le premier témoignage concernant la façon dont les victimes de viol sont (mal) reçues à l’hôpital Saint-Louis : à lire sur Retard Magazine.↑
5 Selon le code pénal, un viol est « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Le fait de pénétrer une personne pendant son sommeil, c’est-à-dire sans son consentement, est un viol.↑