« Un jour les cicatrices et les bleus vont s’estomper. C’est pas moche, c’est pas toi mais c’est pas moche. Mais dans le fond est-ce qu’un visage c’est une identité ? Est-ce qu’on est soi parce qu’on se ressemble ? Est-ce que tu es plus une femme maintenant ? ». Seule sur la scène du théâtre de Belleville, Laurène Marx tient son public en haleine. A partir du moment où elle a commencé à parler, tu n’as plus décroché une seconde, te redécouvrant des capacités d’attention que tu ne soupçonnais même plus. Il faut dire que ça cogne, sur le plateau : les mots de Laurène visent juste, uppercuts poétiques et chassés verbaux enchaînés pour tenter de rendre compte – si tant est que ce soit possible – de la violence sans limite qui s’abat chaque jour sur les femmes trans.
Après l’avoir un temps confié à une autre comédienne, Laurène Marx incarne aujourd’hui elle-même Pour un temps sois peu, texte qu’elle a écrit avec ses tripes, mis en scène par Fanny Sintès. Et en le découvrant, tu te demandes qui d’autre mieux qu’elle pourrait le déclamer avec autant de puissance. Pendant 1h30, dans une sorte de dialogue à trois entre elle-même, une femme trans en transition et la société transphobe, l’autrice balance tout : les obsessions transmisogynes des proches et des moins proches, les commentaires abjects des psychiatres et des médecins, le rejet des amant·e·s, les injonctions contradictoires qui acculent à la folie, ses doutes et angoisses infinis, les questionnements vertigineux qui jamais ne trouveront réponse.
Dans le public, tu oscilles entre indignation, révolte et admiration, entre les larmes et le rire aussi, auquel tu ne t’attendais pas. Car malgré la rage au coeur évidente, Laurène Marx manie une ironie corrosive et un humour noir comme l’asphalte, déploie des punchlines mordantes, acérées, qui te font te demander souvent si t’as vraiment le droit de rire aux perches qui te sont tendues, te font te dandiner de malaise parfois devant la colère légitime qui émane de ce corps en feu.
Tu penses à ta benjamine et tout ce qu’elle va endurer dans sa vie et te dis que toi, pédé, tes combats sont indissociables des luttes de tes soeurs trans, pour toujours viscéralement liées. Surtout ne jamais l’oublier, ne jamais le perdre de vue. Pour un temps sois peu, piqûre de rappel bienvenue. Ça dure jusqu’au 29 novembre au Théâtre de Belleville alors bouge ton cul, prends ta place et parles en autour de toi, c’est de salubrité publique.