Pourquoi il faut voir et revoir « Mutantes » de Virginie Despentes, toujours d’une brulante actualité 10 ans après sa sortie.
Pendant cinématographique de son essai King-Kong Theory, manifeste féministe qui s’adresse à « toutes les moches et les exclues du marché à la bonne meuf », « Mutantes » dresse un portrait du courant féministe pro-sexe à travers ses membres les plus représentatifs.
Entre Barcelone, New-York et Paris, Virginie Despentes part à la rencontre de travailleur·euse·s du sexe, théoricien·ne·s, écrivain·e·s, réalisateur·ice·s, universitaires, acteur·ice·s porno et activistes se revendiquant du féminisme pro sexe. Illustrant leurs propos par des performances et des extraits de films, la jeune réalisatrice déroule le fil d’une pensée féministe punk à la croisée de l’art et de l’activisme, où le politique s’incarne en mode de vie, et réciproquement.
Dans l’oeil de la caméra de l’ancienne travailleuse du sexe, nous partons à la rencontre de ces « Mutantes » qui font toute la force de ce film documentaire au casting exclusivement féminin et/ou queer.
Porno féminin et post-porno : un miroir des sexualités féminines et « divergentes »
« En 2009, on ne peut pas passer à côté du porno. La question, c’est quelle offre on propose au public ? » : Maria Beatty, américaine réalisatrice et productrice de post-porno et de porno pour meufs cherche à bouleverser les codes hétéro-normés et sexistes qui caractérisent le porno « mainstream ».
Contre ces visions dominantes, au micro de Despentes le collectif franco-argentin Quimera Rosa introduit le courant post-porn de Barcelone, « du porno par nous, les lesbiennes, gays, bis, trans, intersexes et pour nous. Du porno qui met en scène nos corps et nos sexualités ».
Les « Mutantes » se ré-approprient l’insulte, et se revendiquent « queer », « slut » (salope) et puta (pute) pour s’opposer au modèle imposé et normatif du « féminin »
Théoricien espagnol et compagnon (à l’époque) de la réalisatrice, Paul B. Preciado introduit le spectateur à la théorie de la pensée queer ou « étude de(s) genre(s) » venue des Etats-Unis, qui remet en question la vision essentialiste des identités féminines et masculines.
Despentes dépeint la diversité de la population d’identité de genres des personnes nées avec un vagin : une musicienne punk et lesbienne revient sur ses plus grandes expériences scéniques où elles singe les attitudes masculines les plus virilistes et provoque l’indignation du public.
Alors qu’elle clame son identité « queer », de « garçon manqué », des actrices porno telles que la française Nina Roberts ou l’américaine Candida Royalle jouent quant à elles de l’image stéréotypée de la féminité et de la sexualité exacerbée, et s’auto-qualifient de « salopes ».
Les « Mutantes » se ré-approprient leurs corps, et revendique le droit à en disposer et à le marchandiser
À l’opposé des abolitionnistes, qui sanctionnent la prostitution comme un système d’exploitation du corps des femmes, les « mutantes » de Despentes défendent le droit inaliénable des femmes à disposer de celui-ci.
Dans cette optique, la lutte pour la dépénalisation et la réglementation de la prostitution et de l’industrie du film pornographique offrirait un cadre aux travailleur·euse·s du sexe dans l’exercice de leur métiers et les libéreraient de la main-mise des réseaux, souvent dominés par des hommes.
La ré-appropriation de leur propre corps par les femmes passe aussi par l’exploration de celui-ci. Annie Sprinkle, actrice porno et performeuse et personnage fort du documentaire, propose à son public une présentation publique de son cervix (organe situé à l’entrée de l’utérus dont vous n’aviez peut être jamais entendu parler) lors de sa performance « public cervix announcement », qui aujourd’hui encore est considéré comme un acte fondateur du féminisme pro-sexe.
Virginie Despentes, à travers cette immersion dans le féminisme pro-sexe du XXIe siècle et en donnant la parole à ces « Mutantes », cherche à explorer les milles façons d’exprimer et de performer son genre, aux antipodes des représentations cinématographiques dominantes.
À travers ces portraits de militantes qui se sont approprié le slogan des années 70 « mon corps m’appartient », Despentes revendique le droit de chacun-e de choisir et d’affirmer sa propre identité, qu’elles soient « putas », « salopes » ou « queers ».