Sous les paillettes : état des violences LGBTphobes en 2017

À la veille de la Marche des Fiertés, on fait le point sur les violences LGBTphobes à travers deux rapports parus en mai dernier : dans une société qui nous rejette, nous précarise, nous violente et nous discrédite, la Marche reste plus que jamais nécessaire.

À la veille de la Marche des Fiertés et à l’heure du retour des débats stériles sur le caractère soi-disant dépolitisé de nos danses, revenir sur deux des rapports parus le 17 mai dernier peut paraître un mal nécessaire. Être LGBT aujourd’hui en France, c’est subir davantage de discriminations, d’injures, de violences, que celles-ci s’exercent dans l’espace public ou privé. C’est aussi appartenir à une population minoritaire plus touchée par certaines pathologies, allant du VIH/SIDA aux troubles psychiatriques générés par les positions subalternes que nous occupons dans une société qui nous rejette, nous précarise, nous violente et nous discrédite. La marche des Fiertés est alors l’opportunité de crier – toutes paillettes dehors si ça nous chante – que nous existons tout de même, malgré les crachats et les insultes, en dépit des propos et actes LGBTphobes dans la rue, au travail, dans nos familles, dans l’accès au logement ou aux soins. Nous survivons et ces résistances se célèbrent.

LGBTphobes SOS Homophobie Friction Magazine collectif Le Seum minorités discrimination marche des fiertés LGBT racisme

Les deux rapports synthétisés ici relèvent de deux organismes et méthodes différents. Le premier est celui de l’association SOS Homophobie qui recense, depuis près de 20 ans, l’ensemble des témoignages — dont des extraits sont reproduits ici — reçus dans l’année par ses équipes.  L’association y ajoute les récits issus d’autres collectifs mais aussi l’analyse des faits d’actualité de l’année 2017. Le second rapport provient de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) qui exploite un des volets d’une enquête menée par l’INSEE chaque année, depuis 10 ans, auprès de 25 000 foyers. Si les données de l’ONDRP n’évoquent que les seules injures subies par les victimes, les autres recensent également les actes. Récolte associative de témoignages spontanés et d’actes recensés en 2017 par la presse d’une part, large enquête institutionnelle de victimation — de 2007 à 2016, mais limitée aux seules injures — de l’autre, voilà pour la méthodo des deux enquêtes.

Bien entendu, les données présentées ici ne peuvent être représentatives de l’ensemble des exactions subies par les LGBT. Personne n’appelle SOS Homophobie à chaque insulte ou altercation. Tout le monde ne participe pas non plus à l’enquête de l’INSEE. De la même façon, très peu d’entre nous poussons la porte du commissariat pour tenter d’y déposer une plainte, d’autant que nous sommes nombreuses et nombreux à craindre, légitimement, l’accueil qui nous y serait réservé (et on ne parle pas de pistolets à eau, cette fois). Il s’agit ici alors de prendre ces enquêtes comme révélant partiellement les insultes, agressions et mauvais traitements subis par la minorité LGBT. C’est déjà trop.

Combien d’actes LGBTphobes cette année ? Pour quelle évolution ?

SOS Homophobie a récolté, en 2017, 1 650 témoignages uniques de violences LGBTphobes. C’est plus que l’année dernière (1 575) et que 2015 (1 318) mais on reste bien loin de la mortifère période LMPT de 2012-2013 au cours de laquelle l’asso avait noté une augmentation de 78 % du nombre de témoignages.

Qu’on vienne encore nous dire, quand on hurle sur Macron et son discours aux évêques enjoignant les catholiques de France à « s’engager », que ce type de déclaration d’amour à une organisation composée de puissants qui souhaitent notre mort et militent avec acharnement contre nos droits, qu’on exagère, que cela n’a aucune conséquence sur nos conditions de vie. Si le mariage pour tou·te·s fut bel et bien voté, ce fut au prix d’une augmentation sans précédent des agressions, des injures, des moqueries, des expulsions du domicile familial. Avec les conséquences que l’on sait. Mais bref.

1 650 témoignages, donc. De son coté, puisque l’ONDRP rassemble toutes les données recueillies entre 2007 et 2016, l’enquête de l’INSEE ne nous permet pas de mesurer l’évolution du nombre de personnes victimes d’injures en 2017.

Jeanne, jeune fille vivant en Normandie, nous contacte pour nous parler de Margaux, sa petite amie, mineure comme elle. Elle subit des violences de la part de ses parents, ces derniers n’acceptant pas son orientation sexuelle, ni le fait qu’elle sorte avec Jeanne. Ils lui interdisent de la voir, et si elle demande des explications, elle est frappée par son père. Jeanne est inquiète, car elle reçoit des appels de Margaux en pleurs suite aux violences physiques et morales que ses parents lui infligent.

Quelles victimes ? Quels actes ? Dans quels contextes ?

Du coté de SOS, la majorité (70 %) des victimes (hors inconnu·e·s) qui témoignent sont des hommes[1].  En termes de tranches d’âge, ce sont les 35-50 ans qui se sont les plus manifesté (37 % des témoignages), suivis des 25-34 ans. On notera que les mineur·e·s représentent plus d’un témoignage sur six. D’après l’ONDRP, les victimes d’injures homophobes recensées sont également majoritairement (64 %) des hommes. Dans cette enquête, la moitié des victimes a plus de 35 ans et l’autre moins. Enfin ici, les 14-24 ans représentent plus d’un quart des victimes d’injures LGBTphobes.

Il est notable que les hommes soient les principales victimes dans les deux enquêtes : le sens commun — y compris dans nos milieux — aurait tendance à affirmer qu’ils sont moins victimes ou en tous cas, qu’ils subissent de moins en moins d’injures ou d’agressions. C’est loin d’être le cas.

Enfin, SOS Homophobie distingue différentes natures d’actes : plus de la moitié sont des insultes (52 %) et des manifestations de rejet ou [2]d’ignorance (62 %). Les situations de menaces et de chantage augmentent, passant ainsi de 14 % des situations en 2016 à 19 % l’année dernière. Rassurant.

Guillaume est un jeune homme vivant en Île-de-France qui se rend régulièrement dans les parcs en fin de journée. Un jour, en fin d’après-midi, il est pris à partie par six militaires de la Légion étrangère. Il les avait déjà croisés auparavant, s’était senti menacé par eux, mais n’en avait pas été victime. Cette fois, il est agressé sur place. Un militaire l’attrape à la gorge et le bloque sur un buisson. Il subit un contrôle d’identité violent, durant lequel il est traité de « tapette », de « tafiole ». Les militaires lui disent : « Vous êtes des animaux, des porcs, vous n’avez pas honte. » Guillaume, téléphone à la main, est sommé de le ranger, pour éviter qu’il puisse filmer la scène. Après 30 minutes, il ressort sonné de cette agression et se demande si c’est une bonne idée d’aller porter plainte. L’association l’encourage à le faire. Malheureusement sa plainte sera refusée par l’agent du commissariat. Guillaume est profondément révolté après cet événement violent.

 Les insultes

 Les trois quarts des insultes dont ont témoigné les appelant·e·s à SOS Homophobie se sont produites dans la rue. Il est ainsi toujours — et de plus en plus, d’après les données disponibles — difficiles pour le groupe minoritaire LGBT de parcourir cet espace en sécurité, qu’il s’agisse de se rendre au cinéma ou chez des ami·e·s, ou tout simplement de faire des courses. La dangerosité sans cesse plus important de l’espace public montre l’étendue des LGBTphobies dans notre société et peut amener des personnes à tenter, tant que faire se peut, de s’en retirer, au détriment de leur accès à la vie sociale. Cette situation est confirmée par les données de l’ONDRP qui révèlent, quant à elles, que plus la moitié des injures recensées ont été commises dans l’espace public, entendant par-là la rue (47 %) et les transports en commun (6 %). Mais à part ça, notre principal problème, ce sont les difficultés d’inscription à la zumba (non).

Par ailleurs, un quart des insultes proférées l’ont été en milieu scolaire ou professionnel et 14 % dans un logement, qu’il s’agisse ou non de celui de la victime. Les contextes sont ici moins précisés, ce qui rend l’analyse de la part des injures commises en milieu familial difficile.

Maéva est victime de double discrimination : pour sa couleur de peau et pour son androgynie. Militante, elle a témoigné dans un documentaire réalisé par une association luttant contre les LGBTphobies, mais depuis, elle subit quotidiennement un harcèlement de la part de ses proches, et des menaces du voisinage qui la traite, entre autres, de « sale trav ». Elle se sent en danger et a peur que la situation ne dégénère en agression physique.

Les agressions physiques

Les agressions augmentent de 15 % et se tiennent à un niveau élevé : elles concernent 9 % des témoignages reçus l’année dernière, soit 139 agressions physiques en 2017. Une tous les 2,5 jours. Presque 3 par semaine. Et ce ne sont que les chiffres associatifs, d’une seule organisation. Près de la moitié de ces agressions (45 %) ont lieu dans l’espace public suivi par le voisinage (espace qui concentre de plus en plus d’actes LGBTphobes, rendant la vie quotidienne anxiogène alors même que le domicile devrait être un lieu de récupération dans lequel on se sent en sécurité). Enfin, 16 % des agressions physiques ont lieu dans le cadre familial — ce n’est pas pour rien qu’on veut le détruire —, 12 % en milieu scolaire et 8 % au travail.

Un soir, un couple d’hommes promène tranquillement son chien dans son quartier. Un groupe d’une dizaine de personnes les interpellent : « Venez là, sales PD, on va vous crever !» Les deux hommes ne répondent pas, et continuent de marcher. Soudainement quatre individus du groupe les rattrapent et commencent à les frapper, notamment à l’aide d’une matraque télescopique. Depuis, les deux hommes ne se sentent plus en sécurité et souhaitent déménager

À propos des auteurs

D’une manière un peu étrange, se contenter de décrire les actes, les contextes et les caractéristiques des victimes tend à faire disparaitre les acteurs et acteurs principaux des actes LGBTphobes : les auteurs. Au masculin, oui puisque, dans 92% des agressions physiques au cours desquelles ces derniers sont identifiés, il s’agit d’hommes, seuls (38 %) ou en groupe (54 %). Lorsqu’il s’agit d’injures, les victimes déclarent que les auteurs sont des hommes dans 78 % des situations. On notera également que 4 % des auteures d’agressions sont des femmes et que ces dernières représentent également 9 % des auteures d’injures.

Sans surprise, comme les trois quarts des insultes se produisent la nuit, les victimes considèrent que les auteurs sont sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool dans un peu plus d’un tiers des cas.  Enfin, un peu plus d’un tiers des auteur·e·s sont perçus comme mineur·e·s par les victimes, soit davantage que dans les contextes d’insultes non homophobes.

Sarah est une femme trans auvergnate. Lassée des attaques, elle décide un jour de tenir tête à un groupe d’hommes qui l’insultent alors qu’elle fait ses courses. Après une véritable traque, Sarah est passée à tabac sur un parking. Les agresseurs ont été appréhendés, mais les blessures physiques et surtout psychologiques demeurent.

On pourrait hélas continuer longtemps à détailler l’ensemble des données présentées par ces deux rapports, d’autant que le document de SOS Homophobie consacre des sections spécifiques aux victimes de transphobie, de lesbophobie ou encore aux LGBTphobies exercées dans les commissariats (coucou le FLAG), dans les tribunaux, dans les médias. De même, le rapport présente des extraits de témoignages de victimes, des graphiques récapitulatifs des actes mais aussi des données permettant d’évaluer la santé mentale des personnes qui témoignent, permettant ainsi de mesurer les conséquences délétères des violences qu’elles et ils ont subi.

Pouvoir se déplacer librement sans craindre d’être frappé·e·s ou injurié·e·s, jouir de l’égalité des droits, tenir la main de sa/son partenaire dans la rue, parler de soi à la machine à café du boulot ou de la fac, accéder à des soins médicaux adaptés et de qualité, louer un appartement, se rendre à un déjeuner de famille, vivre chez soi sans crainte, participer à la vie sociale, voici quelques-uns des enjeux de nos luttes. Et c’est ce qui se jouera à nouveau ce samedi (notamment dans le cortège de tête organisé par plusieurs associations et qui insistera sur le traitement inacceptable réservé aux migrant·e·s LGBT et sur l’insupportable instrumentalisation raciste de nos luttes) à la Marche des Fiertés.

Soyons-y, cette année encore — nombreuses et nombreux, déterminé·e·s et en colère.

****************************************************************

[1] D’après le rapport, les femmes (21 % des témoignages) rechignent à rapporter leurs vécus, en raison à la fois d’une invisibilisation générale des lesbiennes mais aussi de la position sociale des femmes que le système patriarcal n’encourage pas à considérer leur vécu, même de victime, comme légitime. En revanche, la création d’une catégorie «personnes trans » à coté de « hommes » et « femmes » est discutable et ne permet pas de rendre compte du vécu des hommes et femmes trans.

[2] D’après la typologie établie par le rapport, cette catégorie intègre « les moqueries, brimades, appels à la haine, dénigrements et préjugés véhiculés sur les personnes LGBT ».

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.