Depuis 2021, chaque année une marche lesbienne est organisée à Paris par une association qui en prend l’initiative. A un mois de la date et apprenant que personne n’avait pris cette initiative, c’est l’association FièrEs qui a repris ce projet « afin de permettre aux lesbiennes non seulement d’occuper l’espace public pour porter leurs revendications, mais aussi de visibiliser leurs existences et s’assurer que cette journée de la visibilité lesbienne reste un rendez-vous annuel notamment pour un grand nombre de lesbiennes ne vivant pas dans les grandes villes, et dont les seuls moments communautaires se cristallisent au sein de ces événements. » FièrEs est une association féministe radicale et révolutionnaire créée en 2013. Le féminisme porté par l’association est intrinsèquement lié aux identités lesbiennes, bies et/ou trans’. L’objectif principal de l’association est de « contribuer à détruire le système cishétéropatriarcal, raciste et capitaliste dans toutes ses dimensions. »
La marche a lieu ce dimanche 23 avril. Côté pratique : le départ est à 14h de la place du Châtelet, puis nous marcherons jusqu’à la place de la République. À partir de 15h, place de la République, il y aura un point fixe organisé par l’association Diivines LGBTQIA+ (lesbiennes, décoloniales et afro-caribéennes) qui sera là jusqu’à l’arrivée de la marche où auront lieu diverses prises de paroles de collectifs concernés par la lesbophobie d’Etat.
Le mot d’ordre appelle à lutter contre la lesbophobie d’État. Est-ce que vous pouvez nous dire ce dont il s’agit ?
FièrEs : La lesbophobie est souvent considérée comme la conséquence d’actes individuels, hors il faut comprendre que comme la racisme et d’autres oppressions elle fait partie d’un système qui est maintenu grâce à la collaboration non pas juste de la société civile (les individus) mais aussi des organes de l’Etat et de la société politique. La lesbophobie se manifeste d’abord dans les lois. L’accès à la PMA tel qu’il a été voté maintient une différence de traitement injustifiée entre les couples hétéroparentaux et les couples lesbiens : les premiers bénéficient d’une présomption de paternité au profit du mari de la mère, dont le lien de filiation est automatiquement établi à la naissance, alors que l’épouse de la mère gestatrice doit passer devant le notaire pour une reconnaissance anténatale si elle veut voir son lien de filiation établi. Cette PMA est aussi transphobe : les hommes trans n’y ont pas accès, alors même qu’ils peuvent porter leurs enfants. Cette PMA demeure enfin toujours raciste : l’appariement (principe qui consiste à associer des spermatozoïdes/paillettes d’un donneur de la même couleur de peau que la personne qui porte l’enfant) reste pratiqué par défaut, ce qui retarde la PMA de plusieurs années pour les couples lesbiens racisés.
Les dernières déclarations du groupe RN qui propose la création d’un “front anti-wokisme”, dont l’objet est de « réunir des parlementaires de tous bords pour lutter contre le péril woke », pour par exemple “interdire la tenue de réunions non mixtes dans l’espace public, ou sur l’accès au sport féminin par une femme transsexuelle” (Le Figaro, 12 avril 2023). Comment ne pas se sentir menacé.e.s par ces propos explicitement LGBTQI-phobes ?
Toutefois, la lesbophobie d’État ne se remarque pas que dans les lois qui nous concernent nous et nos familles (mariage, PMA etc). Nous sommes aussi touché.e.s par les réformes actuelles. Les lesbiennes, et plus particulièrement les lesbiennes subissant diverses oppressions (trans, racisé.es, handicapé.es, TDS) sont d’autant plus touchées. On parle beaucoup de la précarisation des femmes avec la réforme des retraites en raison de carrières hachées et de l’allongement des cotisations qui amoindrit voire annule l’effet des trimestres maternité. Cependant pour les lesbiennes, longtemps exclues de la parentalité légale, la situation est encore plus délicate. Pour celle qui n’a pas porté l’enfant, qu’en est-il de la question des trimestres maternité ?
Quelles sont les oppressions systémiques et spécifiques vécues par les lesbiennes qui justifient une marche dédiée ?
Nos oppressions sont intrinsèquement liées aux autres oppressions systémiques précédemment citées (sexisme, racisme, transphobie, homophobie, validisme), qui les accentuent. Mais nous faisons également face à des oppressions spécifiques, par exemple la négation de notre sexualité qui engendre un mauvais accès à la santé. Les lesbiennes sont mal prises en charge car leur sexualité est méconnue ou niée. Encore davantage pour les lesbiennes grosses, les lesbiennes trans et encore les lesbiennes racisées qui subissent notamment les préjugés du “syndrome méditerranén”. Nous vous redirigeons d’ailleurs vers d’autres collectifs queer font un gros travail sur ces questions : collectif Queer Racisé.e.s Autonomes, Décolonisons le féminisme, Nta Rajel?, Pride des banlieues, OraaJuives, Raizes Arrechas, Diivines LGBTQIA+. Ainsi que Acceptess-T, OUTrans, Front TransMasc.
On observe une quasi absence de prise en charge dédiée, ce qui accentue les risques de transmission d’IST ou du VIH. Peu d’études et de moyens sont consacrés au sujet. Sur la question de la prévention, l’État ignore les lesbiennes mineur.es et les jeunes LGBTQIA+ de manière générale, alors qu’iels peuvent se trouver dans une situation de grande vulnérabilité.
Le Président de la République a donné une position de principe en opposition au traitement des questions de genre et d’orientation sexuelle en contexte scolaire (interview donnée à Brut en 2022) en affirmant qu’il n’était pas « favorable à ce que ce soit traité à l’école primaire », ajoutant : «Je pense que c’est beaucoup trop tôt. Je suis sceptique sur le collège, mais ma position n’est pas arrêtée.» Les plus jeunes sont éduqués dans un présupposé d’hétérosexualité et de cis-identité. Dès la crèche, on leur prête des petit.e.s amoureux.ses, dans une projection hétérosexuelle, et on leur parle de leur future famille en supposant qu’elle sera hétéroparentale. Il est d’autant plus important que ce sujet soit abordé tôt et avec bienveillance en contexte scolaire au vu du harcèlement scolaire dont sont victimes les mineur.es LGBTQIA+ ou perçu.e.s comme tels et du risque très fortement accru de suicide des mineur.es LGBTQIA+, aujourd’hui largement documenté au sein de nos communautés. Le personnel enseignant et médical des écoles doit être formé pour les protéger.
Comment peut-on contribuer à l’organisation de la marche ?
Nous organisons un atelier de création de pancartes le samedi 22 avril à 14h, au café Bonjour Madame dans le 12ème arrondissement. Vous pouvez venir nous rencontrer et rencontrer les autres manifestant.es si vous n’avez pas envie de venir seul.e.s !
FièrEs est une association non subventionnée qui fonctionne grâce à ses bénévoles. Vous pouvez nous faire un don via notre site internet : ici
Les traductions en LSF des prises de paroles sont financées par la cagnotte ci dessous, à laquelle vous pouvez aussi contribuer : ici
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