La pluie tombe toujours sur le petit chemin qui longe la côte et qui mène au bourg. Tout est plus triste quand il pleut : les arbres semblent pleurer et la mer est noire. La boutique de location ne marche pas fort, ce matin, et je m’occupe en réparant un vieux vélo cassé, dans l’arrière salle.
L’après-midi, le soleil sèche petit à petit le bitume et l’été se réinstalle, puisque rien ne dure jamais longtemps, sur cette île. C’est une mauvaise journée, pour le patron :
« Ceux qui louent des vélos sont ceux qui viennent à la journée. Et si le matin, il flotte, tu peux être sûr que personne ne prendra la bateau à Quiberon. »
Mathias est un type sympa. Lui et sa femme se sont installés ici il y a dix ans après la naissance de leur premier enfant. Ils ont quitté Nantes pour élever Noé dans le calme insulaire.
« L’hiver, il faut être solide, et l’été, il faut être travailleur. C’est comme ça la vie ici ».
J’ai trouvé son numéro dans l’annuaire au début de l’été, il avait besoin de renfort pour le mois d’août. C’est lui qui m’a donné le contact pour la caravane. Il m’avait dit : « tu verras, c’est spartiate ». Je suis habitué à vivre sans confort, ce n’est pas un problème, surtout l’été, mais je suis en colère pour les trous dans le toit de la caravane. Je rumine cette rage toute la journée, et lorsque les rayons illuminent la ruelle, vers quinze heures, je termine la réparation du vélo devant la vitrine, ce qui achève de me sécher totalement.
Je pense à mes invités d’hier. Je pense surtout à Augustin : je suis presque sûr que nos regards se sont croisés au moment où il partait. Impossible d’en être certain : je n’avais pas bu comme ça depuis longtemps.
Ma journée se termine. Mathias a décidé de fermer plus tôt que prévu. « Personne ne vient louer un vélo après quatre heure, de toute façon ». Au moment de partir, il me propose de garder le vélo que j’ai réparé, le cadre est trop rayé pour qu’il soit loué. Je suis fou de joie. Avec un vélo, la vie est différente.
Je passe la fin de la journée à rouler le long des plages et dans les villages de l’île, de Sauzon jusqu’à la pointe des Poulains, où la mer se déchaîne en toute saison. Au loin, quelques voiliers tentent de passer le cap. Plus loin, vers le nord-ouest, on aperçoit Groix. Le ciel est parfaitement bleu, d’un bleu de fin de journée, sans défaut, et je reste un moment au pied du phare, dans la lande nue, à regarder l’eau en ne pensant à rien. A partir de la moitié du mois d’août, de manière générale je sens arriver la période des longues nuits et des jours froids. C’est une obsession absurde : alors que nous sommes encore en été, je pleure déjà l’arrivée de l’automne. Et j’ai des heures mélancoliques. La solitude n’aide pas.
De retour à mon campement, alors que le ciel rosit, j’ouvre l’une des boîtes de conserves que j’ai achetées en grand nombre pour économiser ma paie. Haricots verts. Je pense à cet énigmatique message, laissé dans ma chaussure, et que je n’ai pas pu lire. C’est frustrant. Je me plais à imaginer que c’est Augustin. Soudain, je n’ai plus envie d’attendre : je vais passer « par hasard » devant le hameau dans lequel ils habitent pour provoquer les choses.
La grande route est déserte : c’est l’heure des apéritifs sur la pelouse et des dîners à rallonge entre copains. Quand je passe devant ces maisons dont les jardins sentent l’hortensia et la fumée de barbecue, je me rappelle de la scène où Kevin, dans Maman j’ai raté l’avion, observe à la fenêtre des voisins de son quartier, ceux qui fêtent noël en famille alors que lui sera seul. Je me moque de moi-même. J’ai fait le choix de venir seul ici pour réfléchir, il ne s’agit pas de dramatiser ma situation.
En contrebas, il y a un petit lavoir, dont la pierre réverbère jusque tard dans la nuit la chaleur emmagasinée le jour. Ici, on dit que les lavoirs, utilisés jusque dans les années 1960, étaient appelés les tribunaux féminins. Il se disait des choses lors de ces regroupements de femmes qui façonnaient la vie collective des villages. Des lavoirs sont nées les prises de pouvoir des femmes sur l’île.
j’ai dépassé le lavoir et il me reste quelques centaines de mètres avant le hameau, quand, dans l’obscurité fraîche, j’entends une voix :
« Achille, c‘est toi? »