Vibrations #37 : Néon rouge

Il y a des grands changements dans ma vie en ce moment.

Le premier

Le premier, c’est que je me suis acheté un néon rouge pour éclairer ma chambre. C’est une idée que j’ai eu chez un gars avec qui je baise de temps en temps et qui a une lampe qui change de couleur. Le rouge, c’est la couleur du cul, la peau est belle quand elle est éclairée par le rouge. Mon coloc m’a dit qu’on allait perdre la caution si je perçais des trous dans les murs, et puis je n’ai pas de perceuse, alors je l’ai installé debout, comme une lampe de chevet.

Je me suis rendu compte que ça niquait moins les yeux quand je lis. Quand je raconte ça aux gens, personne ne comprend pourquoi j’ai acheté ce néon. Quand je leur réponds : « bah, pour la baise, qu’est-ce que tu crois », ils lèvent les yeux au ciel. Comme si la baise n’était pas essentielle. Comme si elle ne méritait pas qu’on lui consacre un peu de fric et un peu d’énergie. C’est de loin la chose la plus amusante que je fais dans ma chambre, je lui dois bien ça.

Le deuxième

Le deuxième changement, c’est Diego, c’est ce garçon avec qui j’étais, pendant le confinement. Une histoire régulière, qui avait commencé comme dans Les 101 dalmatiens. On est début avril, je commence à capter que tout le monde à Montreuil va taper son jogging ou sa partie de foot sur la pelouse des Guilands, derrière chez moi. Quand je dis tout le monde, on aurait dit les Buttes Chaumont façon popu.

C’est l’avantage de ce parc : tu as les gens des tours et les gens du bas Montreuil qui se côtoient. Bref, moi je fais ma balade quotidienne solitaire à peu près à la même heure tous les jours. Je broie un peu du noir, comme tout le monde. Et puis il y a ce garçon que je vois à chaque fois, plutôt mignon, fin et juvénile, et on s’échange des regards, de plus en plus souriants, de plus en plus longs. Le quatrième jour, je lui taxe une clope, et on discute. Il me raconte qu’il vit dans un appartement pas terrible avec lumière du soleil indirecte et matelas par terre. Le lendemain, je reviens avec des canettes de bière et on les vide en regardant le soleil raser la colline. La vie, quoi.

On est encore dans les distances de sécurité, mais ça ne va pas tarder à déraper. Le samedi suivant, il vient chez moi, et on prend des ecsta que j’avais en réserve. Sur le toit de mon immeuble, la vie redevient enfin comme avant, l’espace d’un instant. Des parties de baises agréables, des weekends entiers à regarder des trucs de télé-réalité débiles en se gavant de gyosas, et des textos avec des émojis quand il n’est pas là. Ca ressemble à un couple, pas vrai ? Et puis je suis parti à Rennes quelques semaines, et quand je suis revenu à Montreuil, les choses avaient changé, le confinement était terminé. Et cette histoire s’est brusquement arrêtée, parce que Diego et moi, ça ne pouvait pas vraiment durer, pas sérieusement.

Les différences qui avaient été gommées par le cosmos du confinement avaient fini par refaire surface. Et mon putain de sentiment d’urgence s’était remis à me hanter, et à se mettre, comme à son habitude, entre moi et l’engagement. Je me suis pris les affaires que j’avais laissé chez lui dans la figure : sweatshirt, poppers, et je ne sais plus quoi. Je n’étais pas fier.

Le troisième

Le troisième changement est que ces derniers temps, je manque tous les rendez-vous alors que j’ai l’habitude d’organiser ma vie autour : Pride, réouverture de la Station, et tout ce que le post-confinement autorise de parties pédées et queer. Je suis en léthargie militante. Tout ça, je crois, parce que je vagabonde. Je passe mon temps à profiter du fait que je ne travaille pas pour aller rendre visite aux amis. Ceux qui vivent ailleurs qu’à Paris ou à Montreuil, et je me déconnecte, et ça me fait un peu des vacances, mais aussi un peu de frustration qu’il me tarde de calmer. Ma chambre en Airbnb promet des vacances au cours desquelles il m’est interdit de rentrer chez moi. Il ne m’est permis que de m’exiler chez les unes et chez les autres. Et de laisser le temps filer, en faisant le DJ là pour gagner cinquante euros, et en chourrant dans les Monoprix des cadeaux de remerciement pour mes hôtes.

Quand j’arrêterai de voyager et que je poserai à nouveau mon sac et ce qu’il contient dans l’étagère de ma chambre rouge, j’espère qu’on pourra à nouveau clubber, qu’on pourra à nouveau s’emboiter dans les backrooms, parce que ça commence sérieusement à manquer aux gens. Certains m’ont dit qu’ils ne savaient plus comment on faisait. Il y a bien quelques raves illégales dans le bois de Vincennes : elles étaient excitantes au début, mais sans laser et sans caisson de basse, on s’ennuie vite.

Le dernier changement est pour la rentrée : mon coloc/meilleur pote se barre. Je vais vivre avec deux filles, désormais. Dont une que je ne connais pas. C’est fou, le champ des possibles que ça ouvre, une nouvelle coloc. Un nombre de nouveaux êtres humains qui peut vous aider à sortir enfin de votre entre-soi que vous n’arrivez pas à définir mais qui finit par être un peu enfermant. 

Cet été, j’ai prévu de relire les œuvres complètes de Dustan qu’on m’a envoyé en pdf. Je suis allé l’imprimer, ça m’a coûté 25 balles. Parfois on pense avoir l’idée du siècle pour économiser quelques euros, et la vie se venge.

Que votre été soit doux et libertin,

Achille

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