10 ans du mariage pour tous·tes : pour Christophe Martet « La fierté est toujours là, mais elle en a pris un coup »

Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant.

Christophe Martet, journaliste passé par Têtu, Yagg, France Télé et Komitid, et président de Vers Paris sans sida, a accepté d’être le premier.

Mardi 21 mai 2013. Ce jour-là, il ne fait pas beau à Paris. Dans un mélange d’excitation et de gravité, mon mari (enfin pas techniquement mais c’est comme cela que je l’appelle depuis des années) et moi-même, nous prenons la direction de la mairie du 20e arrondissement. En couple depuis plus de dix ans, nous ne voulons pas attendre. La loi instaurant « le mariage pour tous » a été promulguée le 18 mai, il est temps, après des années de combat en faveur de l’égalité, de joindre les actes à la parole !

Oui c’est un acte militant, tout autant qu’intime et personnel. 

Pour mon compagnon, qui est étranger, il s’agit aussi de sécuriser sa résidence en France, dans un contexte toujours plus dur pour les migrant·es. 

Pendant plusieurs mois, nous avions entendu, ad nauseam, les diatribes homophobes de « spécialistes », « d’expertes et d’experts », de religieux, voire même aussi de philosophes et de chercheurs. Toutes et (surtout) tous prédisaient, au choix : « la fin de la civilisation », « une rupture anthropologique », « la disparition de l’ordre symbolique de la société », « la perte des repères », « la porte ouverte à la zoophilie », « la disparition du mot père et du mot mère » (liste non exhaustive).

Il fallait donc reprendre l’avantage sur les opposants au mariage et à l’adoption pour tous. 

La réalité de l’ouverture du mariage a été « banale »

J’allais avoir la confirmation concrète et pragmatique que la réalité de l’ouverture du mariage serait beaucoup plus simple, j’allais dire « banale ». En témoigne cette scène que je racontais dans un article sur Yagg le 30 mai 2013.

« Je vais tout vous expliquer (nous dit l’agente municipale). Nous n’avons pas attendu la loi pour nous adapter. Nous avons préparé un dossier avec deux fiches « époux » pour les hommes homos, un autre avec deux fiches « épouses » pour les femmes homos, et un dernier pour les hétéros. »

Elle nous montre alors les trois piles et pioche dans la première. « Nous avons fait des photocopies ! », lance-t-elle, visiblement amusée.

Je garde un bon souvenir de ces échanges avec le personnel dévoué de la mairie, et notre mariage le 3 juillet 2013 a été un grand moment (j’apprendrai aussi que c’était le premier d’un couple de même sexe dans le 20e). Comme aussi une forme de récompense après plus de 30 ans de combat. En 1981, pour ma première « marche homosexuelle », l’euphorie était totale. Avec Act Up-Paris, où j’ai milité pendant 15 ans, nous avons obtenu des victoires (qui ne compenseront jamais la perte de tant d’amis et de proches).

10 ans après, l’amertume domine

Dix ans ont passé, et si je repense politiquement et professionnellement à la période, c’est d’abord l’amertume qui domine car le chemin a été encore long avant que la PMA, pourtant promise par François Hollande durant sa campagne pour la présidentielle de 2012, soit ouverte et encore pas pour tout le monde (les personnes trans en sont exclues).

Certes, j’avais déjà connu des moments malaisants dans mon engagement pour les droits des personnes LGBT, en particulier lors des débats sur le PACS. Je pense à cette action d’Act Up-Paris contre les opposants au pacte civil de solidarité, le 2 février 1999, lorsque nous avons déployé une banderole « Homophobes » sur la façade du Palais de Chaillot, alors que défilait cette France moche. Protégé·es par les grilles du bâtiment, nous avons pu tenir à distance les coups et la violence verbale des manifestants qui souhaitaient en découdre. 

Mais en 2012 et 2013, les « débats » qui ont précédé la discussion parlementaire ont pris une toute autre tournure. Les attaques contre les personnes LGBT ont fait prendre conscience de la persistance d’une homophobie crasse dans la société. Amplifiée par les réseaux sociaux, décuplée par des chaînes d’info prêtes à tout pour de l’audience, la parole haineuse était enrobée dans du rose et du bleu mais elle n’en restait pas moins humiliante et offensante. 

Le 13 janvier 2013, jour de manif pour les anti-mariage, BFM-TV est en direct des heures durant sur le parcours avec une vingtaine de journalistes mobilisés et quatre cars régie. Deux semaines plus tard, le 27 janvier, pour la manif des pro mariage, BFM-TV, tout comme I-Télé et LCI, a privilégié l’arrivée de la course nautique Vendée Globe

Ils comptaient des personnes LGBT parmi leurs proches et ils le savaient

Il fallait voir aussi tous ces ténors politiques défiler régulièrement au premier rang de la Manif pour tous ! On réalisait alors à quel point le sujet de l’homosexualité a pu être instrumentalisé à des fins politiciennes, au mépris des individus. Les mêmes qui débitaient des inepties contre les couples de même sexe comptaient des personnes LGBT parmi leurs proches, dans leur parti, dans leurs entreprises, et ils le savaient. 

À l’époque, sur Yagg, j’ai eu souvent l’occasion de critiquer la gauche, le gouvernement et certaines associations LGBT que je trouvais trop timorées face à ce déchaînement de haine. Il en a fallu des chroniques et des prises de parole pour qu’enfin, on commence à reconnaître les prises de position des anti-mariage et adoption pour ce qu’elles étaient : de l’homophobie pure et simple.

Les chiffres d’ailleurs ne trompent pas. L’année 2013 a été marquée par une forte hausse de l’homophobie, selon SOS homophobie dans son rapport annuel en 2014, avec un doublement des agressions physiques déclarées.

Lorsque nous nous sommes mariés, la joie et la fierté avaient pris toute la place. Dix ans plus tard, toujours marié, je préfère bien sûr me souvenir de ce beau moment. Tout en réalisant aussi que c’est depuis cette période dure et humiliante que j’ai perdu l’envie (question de tranquillité d’esprit?) de marcher main dans la main avec mon mari dans la rue. La fierté est toujours là, mais elle en a pris un coup.

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