Pour que bientôt, ensemble, nous marchions

N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, covid, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.

Confinement, jour 8. Simone avait raison : la casse de nos droits, fragiles comme du verre, s’accentue en temps de crise. Jeudi 19 mars, Muriel Penicaud et Olivier Veran, respectivement ministres du travail et de la santé-solidarité ont refusé d’aménager l’accès à l’IVG et d’allonger les délais en dépit de la gravité de la situation. Ils ont également décidé de maintenir l’exigence d’une seconde consultation pour les mineur.e.s qui souhaiteraient avoir accès à l’avortement.

L’amendement en question faisait pourtant état des restrictions de circulation en cours, des réquisitions de médecins pour faire face à la crise sanitaire et de la difficulté actuelle à assurer la continuité du soin que constitue l’IVG – car oui, c’est du soin – en cette période de crise sanitaire. Le délai de deux semaines d’allongement de l’avortement qui a été demandé est refusé. Net. On sait pourtant la difficulté, en temps normal déjà, d’accéder à ce droit fondamental : un délai de 12 semaines très court pour réagir, 50% des médecins qui, en en 2017, refusaient de produire des IVG en faisant valoir leur “clause de conscience”, des centres de santé en voie de disparition…

Le coup de gueule de roxane suite au refus d'allongement du délais légal pour l'avortement en temps de covid

Ce gouvernement – déjà criminel à de multiples titres, qu’on pense aux travailleuses et travailleurs pauvres, aux migrant.e.s, aux bénéficiaires de l’aide sociale ou à d’autres catégories minorisées de population – continue la casse de nos droits à touTes, malgré les belles déclarations de Schiappa, Porte Parole de la Vitrine Féministe macroniste.

Ainsi, confinées chez elles, combien de personnes devront poursuivre, par défaut de moyens, par la main de cette décision politique mortifère, une grossesse non désirée ? Combien de mineur.e.s dans l’angoisse d’un rendez-vous tardif ? Combien qui ne sont pas en capacité financière ou logistique de se rendre en Angleterre, en Hollande ? Combien comptent les jours ? Combien multiplient en vain les tentatives de rendez vous ? Combien, peut-être, tentent de résoudre seul.e.s, la situation, par désespoir, au péril de leur santé ou de leur vie ?

L’IVG n’est jamais un droit inaliénable et, depuis sa dépénalisation le 17 janvier 1975, il ne l’a jamais été. C’est d’ailleurs parce que nous, féministes, dépensons tant de temps et d’énergie à défendre nos faibles acquis, que nous ne sommes pas en mesure de lutter pour de nouveaux droits.

Comment, quand ce droit fondamental de disposer de nous-mêmes est attaqué sans arrêt, par des organisations puissantes, serions nous en mesure de réclamer un allongement du délai ? Comment nous battre contre la fermeture, ces 15 dernières années, de plus de 130 centres dédiés à la pratique de l’IVG ? Comment exiger la suppression de la “clause de conscience” qui met en danger de si nombreuses vies ?

Jeudi, un pas de plus a été franchi.

Pour touTes, cette atteinte a une portée à la fois politique et matérielle et est, à ce titre, fondamentalement inacceptable. Sont alors visé.e.s les femmes comme groupe constitué sur des bases naturalisantes mais aussi tous les mecs trans et les personnes non-binaires qui pourraient avoir besoin d’avorter dans les meilleures conditions possibles. Cette lutte est une bataille féministe collective et c’est à ce titre qu’elle doit être menée.

Alors, puisque marcher touTes ensemble vers le Ministère de la Santé nous est aujourd’hui interdit, voici des ressources, audio pour la plupart, pour prendre la mesure de ce que nous perdons, de ce que nous avons déjà perdu, de ce pour quoi nous devons nous battre, encore : nos mémoires d’abord, puisque les savoirs développés notamment par le MLAC sont tombés dans l’oubli ; les histoires de celles, qui, à 30 ans, étaient épuisées d’avoir 6 enfants et mettaient leurs vies en danger pour que leur enfer s’arrête, les récits de celles qui meurent toutes les 9 minutes dans le monde des suites d’un avortement clandestin, les témoignages des battantes, des guerrières qui nous ont amenées à jouir de ce droit si fragile.

Pour que bientôt, ensemble, nous marchions ensemble.

Il est important de préciser le caractère double de cette attaque contre nos droits et quelles sont les personnes visées. Bien sur, elle concerne les femmes, constituée en tant que classe[1] et par ailleurs pensée ainsi par le gouvernement. Réduire les droits du groupe minorisé “femmes”, légitime même l’existence de ce groupe, artificiellement constitué sur des bases naturalisantes, essentialisantes et non sur des conditions d’existence communes, dans un système hétéropatriarcal.
 
En rognant les droits du groupe des femmes à l’accès à l’IVG, ce qui est en fait réduit ici c’est le droit de chacune à disposer librement de son corps. Ainsi, cette attaque n’est pas, à mon sens, pensée seulement contre les fertiles, les jeunes, celles qui concrètement auraient besoin de l’avortement. Elle vise au contraire beaucoup plus large, elle concerne, politiquement, toutes les personnes du groupe minorisé “femmes”, même les ménopausées, même les infertiles, même celles qui ne veulent pas d’enfants. C’est un premier point important.
 
Le second point essentiel est que, dans le même mouvement, concrètement, matériellement – et c’est un impensé[2] total de ce gouvernement cette fois puisque seules les femmes seraient susceptibles d’avorter et que les personnes trans n’existent pas – cette mesure réduit les droits déjà maigres de toutes les personnes qui pourraient avoir besoin, aujourd’hui, demain, en période de confinement, de l’IVG et qui ne sont pas rattachées à ce groupe femmes, tel qu’il est constitué, légitimé et naturalisé par cette mesure et par d’autres.

Signez la pétition : Protéger les droits des femmes et maintenir l’accès à l’avortement période d’épidémie de covid et de confinement

Ressources sur le sujet :


[1] On parle des femmes constituées comme classe, c’est à dire comme groupe dominé dans un système d’exploitation – ici le patriarcat. Il est évident qu’il y co-existe par ailleurs des conditions d’existence plurielles et donc d’autres positions dominées dans ce même système d’exploitation.

[2] “Impensé” ici signifie plutôt que la non prise en compte des personnes trans, dont  les gouvernements successifs s’emploient activement à nier l’existence, s’inscrit dans la politique générale transphobe qui est menée et qui vise, autant que possible, à refuser de les reconnaître comme sujets et donc à entraver leurs accès aux droits à la fois politiques, sanitaires et sociaux. Il apparaît alors évident que dans une politique volontairement transphobe, la place des personnes trans dans l’accès pourtant fondamental à l’IVG n’a probablement même pas traversé l’esprit des auteurs de cette mesure.

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