Du 9 au 12 avril 2018, France Culture a diffusé la série documentaire Quand la création raconte le sida. Didier Roth-Bettoni y décrit comment l’épidémie a provoqué, chez ceux et celles qu’elle a touché·e·s et leurs proches, le besoin de faire de la maladie une œuvre.
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« Maladie de pédé », sexuellement transmissible, le sida n’est pas n’importe quelle épidémie. Elle affecte une communauté déjà stigmatisée pour sa sexualité. Pendant des années, se découvrir séropositif signifiait, à courte ou moyenne échéance, mourir dans l’indifférence voire le rejet.
Didier Roth-Bettoni travaille depuis longtemps sur les questions de représentation LGBTQI au cinéma et a publié l’an dernier Les Années sida à l’écran. Dans une série de quatre documentaires radio de 55 minutes, chacun à l’ambiance très différente, il montre comment le sida « a réussi à générer des formes artistiques singulières » de la part des personnes concernées, principalement les séropositifs eux-mêmes.
Le stigmate, la mort…
« C’est juste au moment où je commençais à m’accepter que c’est arrivé. » Dans le premier épisode, Vincent Borel, auteur du Ruban noir (1995), raconte comment le sida arrive dans sa vie précisément au moment où il parvient à vivre son homosexualité. C’est une constante que l’on retrouve chez beaucoup des artistes cités : le VIH est une malédiction supplémentaire qui touche une communauté déjà stigmatisée par la société.
Mais au delà du stigmate social, le sida est une histoire de corps : la maladie rend faible, déforme, enlaidit et, finalement, tue. Raconter cela, « dire [sa] mort prochaine et irrémédiable, l’annoncer [soi]-même» (Jean-Luc Lagarce) c’est aussi avoir le courage de mettre en scène son propre corps tel qu’il est devenu et de le montrer à la face du monde. C’est le sens d’une démarche d’« autofiction sacrificielle » comme celle d’Hervé Guibert qui se filme en train de faire de l’exercice, de danser ou à l’hôpital dans La Pudeur et l’impudeur (1992).
Et après la mort vient le deuil et le souvenir. Un souvenir parfois difficile à évoquer tant le tabou entourant l’épidémie existe toujours mais aussi, simplement et tristement, parce que beaucoup de celles et ceux avec qui le partager ont été perdu·e·s dans cette « grande guerre » (Philippe Artières). C’est la motivation première d’Élisabeth Lebovici lorsqu’elle écrit Ce que le sida m’a fait (2017).
… et la vie
Mais le sida est aussi synonyme de pulsion de vie. Est-ce paradoxal ? Pas forcément : face à la mort qui approche, il faut vivre plus et plus vite. C’est la musique et la danse comme le raconte Vincent Borel. C’est aussi la lutte. Car du deuil naît la volonté de témoigner, comme Olivier De Vleeshouwer dans La Vie des morts est épuisante (1997), et de militer, d’exposer le deuil sur la place publique comme l’ont fait le Patchwork des noms et les enterrements politiques d’Act-Up.
Notre histoire, notre identité
En racontant, selon ses propres termes, « comment des artistes ont fait œuvre du sida », ce n’est pas qu’un travail d’histoire de l’art que réalise Didier Roth-Brettoni. Car le sida a largement modifié la façon dont les LGBTQI envisagent la sexualité, l’amour, le rapport au corps et l’action politique.
Si l’épidémie n’est plus la vague mortelle qu’elle a été et alors que le succès du film de Robin Campillo, 120 battements par minute (2017), remet au centre des débats la question de la transmission au sein de nos communautés, ce qu’ont raconté et continuent de raconter ces artistes est un indispensable témoignage de nos vécus et il mérite d’être bien mieux connu.
Quand la création raconte le sida
Série documentaire en quatre épisodes de Didier Roth-Bettoni, réalisée par Nathalie Battus
Du 9 au 12 avril 2018 à 17h sur France Culture