Le confinement pèse sur la santé mentale des personnes queer. Cela a des répercussions sur la qualité du sommeil de certain.es depuis le début de cette longue pause imposée. Cauchemars, insomnie, augmentation des heures de sommeil ou encore difficultés à sortir de son lit pour se mettre à faire quelque chose de concret, beaucoup d’entre vous avez témoigné de ces difficultés.
Parmi les explications : la rupture du lien social et notamment du lien avec la communauté. Être seul.e, c’est aussi ne plus faire communauté et perdre ses repères. Confronté.e à soi-même, les angoisses ressurgissent.
Confinement et augmentation des troubles du sommeil
Les personnes avec des troubles de la santé mentale le constatent particulièrement en ce moment : les troubles du sommeil sont plus nombreux. L’insomnie et l’hypersomnie font partie des troubles du sommeil fréquents en cas de dépression. Ceux-ci représentent un symptôme central dans la dépression, évoqués par 60 à 90 % des patients souffrant d’épisodes dépressifs caractérisés. Le confinement a tendance à aggraver les troubles de la santé mentale en ayant de fait des conséquences sur la qualité du sommeil des personnes dépressives.
Parmi les personnes LGBTI dont nous avons recueilli les témoignages, beaucoup attestent de difficultés à dormir sans recours à des médicaments : prise de somnifères, de benzo ou autres. La consommation d’alcool a pour certains augmenté, ce qui a également des répercussions sur la qualité du sommeil qui s’en trouve parfois perturbé. « J’avais déjà beaucoup de mal à dormir avant le confinement, je fais souvent des angoisses ou des insomnies. Mais depuis le début du confinement, je passe systématiquement deux heures à attendre de dormir dans mon lit. » nous explique Simon.
Certain.e.s expérimentent des épisodes d’angoisse intense. C’est le cas, par exemple, de Thomas : il y a deux semaines il a senti que son souffle se coupait, « j’ai retrouvé le souffle, mon corps tremblait, j’étais fatigué, alors je suis allé me couché. Ça s’est répété le lendemain mais de façon moins intense, je l’ai senti venir alors je me suis contrôlé, puis ce n’est pas revenu jusqu’à hier, et je me suis aperçu de la raison : penser à notre monde et notre société, sans compter tout ce que l’on peut lire sur ce virus. » Emma se rend compte qu’elle est davantage consciente de la qualité de son sommeil qu’en temps normal : « Je pense que j’y fais plus attention ( dans le sens ou d’habitude je ne prends pas le temps de porter attention à la qualité de mon sommeil) mais je sens bien que j’ai plus souvent des nuits désagréables/ angoissantes ».
L’absence d’activité physique
La frustration liée à l’absence d’activité physique se fait également sentir. L’impossibilité de sortir fait que globalement on se sent moins fatigué.e et il est plus difficile de trouver le sommeil. C’est ce que nous explique Emma : « Je pense aussi que je suis moins fatiguée, d’habitude je dors assez peu et je fais beaucoup de choses donc quand je vais dormir je tombe de sommeil très rapidement et très profondément, là je sens que mon sommeil est moins profond. » L’impossibilité de se dépenser physiquement crée donc des difficultés à l’endormissement plus grandes et par là augmente les angoisses. « Le fait de ne pas avoir pu me dépenser dans la journée, de ne pas avoir pu consommer mon énergie fait que le soir je suis moins fatigué et plus propice aux angoisses, elles sont beaucoup liées à l’avenir (est-ce qu’on va rester dans les mêmes modes de consommation / est-ce qu’on sera capables de changer un peu?). Mais [elles portent] aussi sur mes peurs, ma peur de vieillir seul et de galerer toute ma vie pour survivre, ma peur liée à ma « queeritude » : est-ce qu’un jour ce ne sera pas politique et un combat, et je pourrais vivre simplement comme les gens normaux, etc. » nous raconte Simon. Parfois, c’est l’environnement dans lequel s’effectue la promenade qui n’est pas propice au délassement nécessaire pour induire un sommeil réparateur. La précarité des personnes queer fait qu’elles vivent dans des quartiers plus défavorisés et moins « rieurs » pour reprendre le terme employé par David : « J’ai du mal à aller me promener, à aller marcher, autour de chez moi, ce n’est pas très rieur. Donc j’accumule une grande fatigue nerveuse et pas assez dépense physique. Je vais principalement de ma table de travail à mon lit. »
Autre point notable, les rêves et les cauchemars qui semblent être plus fréquents et plus marquant ces temps-ci. Jules nous raconte : «D’habitude, je ne me souviens JAMAIS de mes rêves sauf immense exception. Là, je m’en souviens assez souvent et il s’agit quasiment systématiquement de rêves qui concernent mes exes!!!!!!!! Au tout début, j’ai fait un rêve hyper long, avec ma première copine, au lycée. Hier, j’ai rêvé que ma dernière exe sérieuse me croisait dans la rue m’attrapait par le bras et fondait en larmes en disant qu’elle m’aimait. Entre ces deux rêves, au moins une dizaine qui concernent des exes, toujours dans la thématique retrouvailles hypothétiques. Je n’ai aucunes connaissances en analyse de rêves, mais je suis particulièrement surprise par 1- l’obsession thématique amoureuse, je pourrais aussi rêver de la prochaine catastrophe naturelle ou bien du jour où on va dégager Macron, 2- le fait que que malgré l’existence dans ma vie actuelle de quelques futurs crushs potentiels, mes rêves ne portent QUE sur des nanas qui a priori appartiennent au PASSÉ (passé peut-être réactualisable dans certains cas, mais enfin tout de même passé pour le moment). » Thomas nous raconte aussi que ses rêves « ne font pas rêver en ce moment ». Ils se nourrissent de ses interrogations : « Mais que va être le monde de demain ? Plus besoin de se battre pour ce que l’on est ? Ou au contraire, enfermement, peur de l’autre, individualisme et sentiment de fin du monde ? Sans compter les extrêmes politiques que l’Europe connaît ? »
C’est comme si j’essayais de vivre le moins possible et de me réfugier dans un état où j’ai pas besoin de penser à la situation.
Pour Léon au contraire, le problème c’est de trop dormir. Résultat, il a l’impression de perdre son temps en se levant à 10H du matin. « Je sais que quand je vais pas hyper bien, j’ai tendance à beaucoup dormir (quand j’étais en pleine dépression j’étais une vraie marmotte). C’est comme si j’essayais de vivre le moins possible et de me réfugier dans un état où j’ai pas besoin de penser à la situation. J’ai l’impression de me protéger sans faire exprès, que mon cerveau se met en mode survie (c’est mon psy qui m’a dit ça) pendant cette période difficile. Et oui bien sûr que le fait de pas voir mes ami.e.s et de fréquenter d’autres queer ça doit jouer. »
Confinement et solitude
La solitude peut également être un facteur aggravant : «Je vis seul, nous dit David. Donc ça fait plus d’un mois que je ne vois personne, jamais, le téléphone et internet n’étant que de bas palliatifs au manque d’interaction sociale. Je me sens extrêmement seul. J’ai cru remarquer, chez mes amis, que les personnes confinées en couple, même si la vie de couple H24 dans un studio de 25 m2 n’est pas simple du tout, s’en sortent tout de même un peu mieux. »
Les angoisses liées au confinement ont de graves répercussions sur le sommeil des personnes queers qui n’ont plus les espaces communautaires comme lieux de refuge. Les apéros virtuels et les coups de fil à rallonge se multiplient pour maintenir du lien, mais cela s’accompagne parfois du sentiment que ces contacts sont fragiles, éphémères voire superficiels. Pour Jules aussi, l’absence de lien social au sein de la communauté queer pèse sur ses angoisses et par conséquent sur la qualité de son sommeil : « Le fait de ne pas pouvoir sortir la nuit pour faire la fête (et l’amour) participe de la frustration physique. Et au début, j’ai super mal vécu le fait d’être coupée brusquement d’un environnement safe et hyper créativ.isant / stimulant au quotidien […] avec le temps, ça va un peu mieux parce que je m’habitue et on trouve des moyens de se reconnecter avec les ami.e.s – mais en même temps il y a une vraie difficulté dans le fait de ne plus être communauté vivante (je pense que ça fait ressortir des trucs genre sentiment d’invisibilisation, gros stress pour les plus précaires d’entre nous, etc) ». Emma va dans le même sens : « Je pense que le fais de pas voir de personnes extérieures à ma famille ne me permet pas de d’extérioriser certaines angoisses et que peut être elles se répercutent sur mes nuits, peut être aussi le fait de dormir seule toutes les nuits. » David nous explique également : « Je n’écarte pas du tout, non plus, nos antidépresseurs sociaux que sont l’alcool et les drogues. Tout cela, en plus du lien social s’est arrêté d’un coup. D’ailleurs les décisions du Préfet du Morbihan d’interdire la vente d’alcool à emporter m’inquiètent. Placer des alcooliques – même mondains – en sevrage sauvage, et donc en décompensation brutale, me semble une bien mauvaise idée… C’est étrange, tout de même, ce besoin impérieux de toucher autrui, de câliner, d’ embrasser, de regarder dans les yeux. C’est fou de réaliser que l’on a perdu ça. C’est un vrai sentiment de manque. Comme un sevrage brutal, que j’évoquais plus haut. Et donc décompensatoire. » Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder la question des addictions dans le contexte du confinement dans cet article.
Alors quelles sont les stratégies mises en place par les queers pour essayer de mieux dormir ? Le yoga, les huiles essentielles, arrêter les écrans… On ne va pas se lancer dans un guide du bien dormir à l’usage des LGBTI mais les trucs et astuces de chacun.e sont toujours bons à prendre.
Certain.es recommandent de prendre un livre jusqu’à ce qu’on n’arrive plus à lire, signe que le cerveau s’est éteint : « Je vais alors pouvoir m’endormir sans réfléchir à quoi que ce soit… » Certain.es évoquent également l’ASMR et les lectures enregistrées, à toute fin utile, nous vous rappelons qu’on enregistre des lectures de poèmes féministes sur le soundcloud de Friction. D’autres s’endorment en rêvant à l’insurrection à venir, et c’est peut-être ce qui nous paraît le plus prometteur.