Lesbienne, de l’invisibilisation à l’exposition

La question de la visibilité, ou plutôt de l’invisibilité lesbienne, dans l’art et la culture commence a émerger. Si les femmes doivent se battre contre la déconsidération du vivant de l’artiste, le déni d’accès aux techniques, la répartition inégalitaire des financements, la fétichisation des femmes dans l’art et l’oubli posthume, les lesbiennes se battent aussi contre (no spoiler), l’absence de reconnaissance sociale du lesbianisme et l’homophobie. Combat dantesque.

Certaines tirent leur épingle du jeu et sont reconnues par leurs pairs. Entendez par là des hommes blancs hétérosexuels cisgenres quinquagénaires donc pas vraiment leurs pairs mais vous m’avez compris.

Laissons l’histoire de côté et ne parlons que des vivantes.

Au cinéma, la palme queer de la réalisation est éternellement décernée à Céline Sciamma ou Catherine Corsini et pour les plus flex d’entre nous, à la crypto-queer Rebecca Zlotowski. Chez les actrices, la pauvre Adèle Haenel porte seule la représentation de toutes les lesbiennes de l’hexagone à l’écran. Déso Adèle.

En littérature, il y a Alice Coffin, Wendy Delorme, Anne Pauly, Cécile Coulon, Monique Wittig (je sais qu’elle est morte mais je suis dans le déni), etc. dont la blanchité n’est encore que trop peu contrebalancée par Fatima Daas ou Nora Bouraoui. Elles ne vendent évidemment pas des centaines de milliers d’exemplaires et ne sont pas les favorites de François Busnel (Augustin, on compte sur toi pour faire briller la commu) mais ont le mérite, parfois, pour certaines, d’être mises en tête de gondole. Je sais, il y a aussi Virginie Despentes mais la citer est devenu la norme. Et bon, la norme…

Côté musique, je suis forcée de saluer Catherine Lara pour deux raisons : 1/ Parce que c’est une pionnière et qu’après son coming out si intelligent sa carrière a commencé à lui faire coucou de loin. Objectif. 2/ Parce que ses cheveux blancs sont so cools. Subjectif. Puis il y a la nouvelle garde qui remplit des salles en étant ouvertement queer : P.R2B, Hoshi, Angèle, Pomme.

Si cette montée de la visibilité est encourageante, il y a un domaine qui resiste encore et toujours à l’invasion lesbienne, ce que j’aime appeler “l’art de musée” : pictural, photographique, etc.

En 2019, à la Mutinerie, la nécessité d’une histoire de l’art féministe et queer était déjà d’actualité. Depuis, le Gouinistan a réussi quelques percées notamment en Belgique avec la première édition d’un festival d’art lesbien à Bruxelles en 2021 et une exposition sur les rebel dikes à Londres la même année. Pas grand chose en France où les constats sont si longs à faire, sauf peut-être sur la planète Marseille qui sortira la photographie lesbienne du placard en 2023.

J’ai rencontré Nora qui avec son amie Louise a eu l’heureuse idée de se lancer dans cette aventure après avoir compilé pour son propre plaisir pendant deux ans presque 400 photos lesbiennes sur son compte @museemedusees. Chiffre honorable dans la mesure où selon elle, il est très difficile de trouver du contenu et encore plus difficile d’en trouver qui n’instrumentalise pas et ne fétichise pas les protagonistes.

Le projet de monter une exposition est né de son envie de faire sortir ces images d’Instagram, d’en faire des objets physiques. Comme Nora a 23 ans, qu’elle n’est pas une riche héritière et que les subventions du Ministère de la Culture ne tombent pas des arbres pour financer des projets lesbiens, elle a lancé une campagne Ulule qui s’est clôturée le 1er octobre dernier sur la coquette somme de 4000 euros.

Sur le profil des donateurices, elle ne sait pas grand chose puisque la plateforme protège les données personnelles (et on les en remercie) mais elle suppose que ce sont les principales intéressées qui ont contribué à savoir les lesbiennes ou a minima des femmes. La sororité en action.

Grâce à ce budget, Nora, qui assurera le commissariat de l’exposition mais aussi le montage et l’exploitation, a plusieurs objectifs :

  • Celui de la visibilité. Si le lieu n’est pas encore connu, Nora veut avoir pignon sur rue et ne pas rentrer dans la spirale de l’entre soi en installant son expo dans un squat féministo-queer (je ne l’invente pas, cet endroit existe) ou seules les initiées auraient accès.
  • Celui de l’inclusivité. Elle veut sortir du carcan de la scénographie d’exposition classique qui peut impressionner et fermer les portes. Nora veut faire tomber les murs blancs de la norme muséale en créant un univers. Univers qui se veut inclusif et n’a pas vocation à choquer les visiteurs de l’expo. Militer, oui. Provoquer, non. D’autant que si Marseille est connue pour son multiculturalisme, la queerness n’a pas encore tout à fait trouvé sa place.
  • Celui de la représentativité. Sans prôner l’intersectionnalité, elle est attachée à ce que le contenu soit représentatif de l’ensemble du spectre lesbien en mettant en avant à la fois de “vraies” artistes mais aussi ses potes, vos potes, mes potes. Son appel à candidature est en cours jusqu’au 16 décembre. Si vous avez une chouette photo de vous avec votre meuf en train de manger vos pancakes du dimanche, envoyez lui un DM.

De l’invisibilisation à l’exposition, il y a un pas de géant à franchir et Nora et Louise le font de façon décompléxée. Suivons leur exemple.

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