Rouge Mary : « L’humour est ma protection mais aussi ma bienveillance envers les autres »

S’il y a une artiste qui met des paillettes dans nos vies, c’est sans hésitation Rouge Mary. Connue pour avoir été un temps l’une des voix emblématiques d’Hercules & Love Affair (au sein duquel elle a notamment chanté l’électrisant « Rejoice »), la musicienne s’est lancée depuis 2019 dans une carrière en solo avec son EP Remedy, à la couverture signée François Rousseau et dont on vous avait parlé ici, et un paquet de performances y compris chez les copines la Discoquette, dont on avait papoté par là. Quelques semaines (à peine) après la sortie de son dernier clip, « Movin’ On », on a échangé avec elle parce que pourquoi se priver après tout ?

Rouge Mary photographiée par Alfredo Piola et Nico Mua
Crédit Photo Alfredo Piola – Nico Mua

Friction : On t’avait interviewée il y a presque deux ans avant ton passage à la Discoquette. Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis ? Où en es-tu de ta carrière en solo ?

Rouge Mary : Exact, plusieurs choses me sont arrivées depuis, d’abord 2019 a été une année riche pour moi, il y a eu la sortie du single cover d’Al Jarreau « Boogie Down » en Février et le clip, signé André Atangana, peu de temps après. J’étais ravie de pouvoir faire ma première vidéo en tant que solo, cette chance d’être en équanimité totale avec ce que je voulais proposer artistiquement. Une réunion de personnes minorisées, racisées, avec du talent et un smile jusqu’aux oreilles, pour danser et donner cet espoir que l’on peut vivre ensemble en étant nous mêmes.

Puis en septembre le EP Remedy où j’ai pu creuser davantage mon idée… Le Remède est dans la visibilité. J’ai pu faire de la scène à Paris, Londres, Tokyo ou Bogota. C’est formidable d’avoir ces opportunités. Bien sûr, on n’en a jamais assez, mais ma nature optimiste me permet d’être sereine par rapport à ma carrière.

Comment tu vis la situation actuelle de confinement et l’impossibilité de faire de la scène ? Tu arrives à prendre du recul ?

Je ressens une grande frustration évidemment, comme mes collègues dans ce domaine. La scène est le seul endroit où je n’ai pas les mains moites, alors crois-moi, je traine une pierre d’alun dans mes poches depuis quelques mois maintenant.

Tous ces regards subis, finalement je n’en suis que spectatrice, passer à autre chose m’aide à ne pas (ou plus) en être la victime

J’ai hâte de retrouver la scène, la chaleur du public, les clubs. J’ai envie de retrouver ces matins où je me réveille avec la voix de Jeanne Moreau. Donc oui je prends du recul, mais j’ai l’impression que mon dos n’est plus très loin de toucher le mur…

Ton dernier clip Movin’ On, sorti début octobre (oui, je sais, on est à la bourre), est une ode à l’art de s’en foutre, de prendre de la distance, que tu as présenté comme « un médicament ». Tu peux nous en dire plus sur cet « art of moving on » ?

J’ai écrit cette chanson sur la musique de Madani Braik (producteur et mon frère), la ligne de basse est telle que le message ne pouvait qu’être en rapport avec le fait d’avancer.

Je ne sais pas si c’est l’art de s’en foutre ou plutôt l’art de passer à autre chose. Peut-être une lassitude ? D’avoir constamment à justifier de mon identité de genre, de sentir quotidiennement le racisme systémique, ça provoquerait chez moi, cette flemme aiguë de prendre le temps d’expliquer (pour ne pas dire éduquer) aux nombreux ignares qui croisent ma route. 

Combien de fois a-t-on tenté d’éveiller les racistes, transphobes, grossophobes, etc. etc. etc. ? Tous ces regards subis, finalement je n’en suis que spectatrice, passer à autre chose m’aide à ne pas (ou plus) en être la victime. Avec l’expérience, on le fait de mieux en mieux, passer à autre chose, tellement, qu’on en fait un art, dans lequel on peut même exceller !

L’humour est une énergie magique, il brise la glace tellement de fois pour moi. Il est ma protection mais aussi ma bienveillance envers les autres. 

Je te suis sur les réseaux sociaux et je me dis souvent que tu as l’air d’être une personne assez drôle. Ça fait du bien, surtout en ce moment. D’où te vient cet humour ? C’est quelque chose de central chez toi ?

Merci, non ce n’est pas central chez moi, mais c’est un trait de ma personnalité assez flagrant, tu n’es pas la première personne à me dire que tu me trouves drôle… (taper « awkward » dans GIF, la petite fille blonde dans la voiture de ses parents avec le regard chelou).

Mon humour, je l’ai de ma mère, qui est une femme théâtrale avec une imagination sans fin et des images à te faire taper des barres. L’humour est une énergie magique, il brise la glace tellement de fois pour moi. Il est ma protection mais aussi ma bienveillance envers les autres. Je me rends souvent compte que j’aime entendre le rire des gens avant de pouvoir dire si je les aime ou non. Le temps passé à rire n’est jamais perdu.

On en parlait sur Insta, après que j’ai évoqué ma petite sœur queer, mais ta famille a l’air d’être une vraie petite queerocratie matriarcale. Tu peux nous en dire plus ? C’est ça qui a participé à la liberté qui semble être la tienne ?

Oui alors, j’aime voir des familles où les liens sont forts malgré la queerness de ses membres. C’est vrai, je viens d’une famille nombreuse dans laquelle être homo est presque fade ! lol

Et j’entends souvent, autour de moi, des témoignages de coming-out, ça me laisse toujours ébaubie. J’ai la chance de venir d’une famille où ce qui est une honte c’est de ne pas être soi-même.

Une de tes punchlines sur Facebook c’est « If I Can Be Me, You Can Definitely Be You ». What do you mean by that?

C’est un peu vieux et bien sûr ça s’adresse surtout aux cis-het à la complainte facile… J’ai voulu dire par là, que si JE trouve le moyen d’être moi-même sans filtre, trans/trigenre/reubeu/croyante/saltimbanque, alors c’est certainement que ton profil sera OK et plus aisé à assumer.

Se détacher de ce que l’on est, sans jamais cesser d’être qui l’on est, ouvre aussi les portes, banalise les particularités qui paraissent complexes à la majorité

Quelque chose que je trouve intéressant chez toi, c’est cette manière de brouiller les pistes, de ne pas faire de ton identité quelque chose de trop sacralisé ou fixe. C’est important pour toi ?

Ce qui est important à mon sens, c’est d’être la personne qu’on est, mais de ne pas oublier ce que l’on a à faire, sa « mission », ce pour quoi on est fait.

Se détacher de ce que l’on est, sans jamais cesser d’être qui l’on est, ouvre aussi les portes, banalise les particularités qui paraissent complexes à la majorité, et allège le ressenti de l’oppression. C’est ce qui fait que les gens disent « Beth Ditto la chanteuse de rock » et pas « Beth Ditto la lesbienne ». 

Lorsqu’on regarde tes clips, tu cultives un univers très pop et très joyeux, une espèce de candeur sauce 90’s qui contraste énormément avec le contexte politique actuel très sombre. Lors de ton interview avec Benjamin, tu avais évoqué « ta propension à la positivité ». Comment on fait, en 2020, pour cultiver une positivité qui permette peut-être de mieux résister sur la durée, sans tomber dans la naïveté ou nier la dureté de l’époque ? Comment on trouve l’équilibre entre lucidité et positivité ?

C’est vrai et tout est lié, la musique m’a sauvé, je la perçois comme un art utile. Si au travers de mes chansons je peux insuffler un peu de positivité dans les cœurs, alors c’est mission accomplie. Le mood 90’s est aussi directement collé aux années de mon arrivée à Paris, de mes premiers émois sur des sons donc forcément ça doit s’entendre.

Je me dis que si une personne trans mineure de 12 ans, me voit, ou entend ma musique, peut-être qu’elle se dira : « Donc on peut être ‘comme ça’ et avoir le smile, être épanouie, etc… »

Perso ce qui me surprend, c’est que la positivité n’est jamais à la mode. C’est toujours un peu vu comme de la naïveté comme tu dis, voire de la bêtise, alors que c’est une bouffée d’oxygène. Je suis absolument lucide quant au monde qui m’entoure. Prétentieusement je me dis que si une personne trans mineure de 12 ans, me voit, ou entend ma musique, peut-être qu’elle se dira : « Donc on peut être « comme ça » et avoir le smile, être épanouie, etc… »

Désolé de plomber l’ambiance, mais il est peut-être bon de rappeler qu’en France, plus de 65% des personnes trans 15-25 ans ont déjà envisagé ou même tenté de mettre fin à leur jour. Ma positivité, c’est ma manière de leur HURLER « IT’S OK ! YOU’RE VALID !!! », « vous n’avez rien d’anormal !!! »

I’m crying now… Tu vois je ne suis pas si joyeuse que ça…

Rien à voir mais on se posait la question chez Friction, par rapport à un post Facebook qu’on avait fait. Est-ce que tu nous autorises à t’appeler Mummy Rouge Mary ?

Hahahaha ! Jamais de la vie ! J’ai plus de collagène dans mon visage que vous n’avez de cheveux sur la tête ! Je vous autorise à peine à m’appeler « Grande Sœur Rouge Mary ».

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