Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant.
Pour terminer cette série, nous publions le texte de Fred Lebreton, activiste pédé, séropo et journaliste spécialisé sur le VIH.
23 avril 2013, après onze mois de débats publics et politiques INTERMINABLES et onze mois d’HOMOPHOBIE décomplexée, le projet de loi sur le mariage pour tous-tes est ENFIN adopté par l’Assemblée nationale. Le soir même, je rejoins des amis-es de AIDES place Baudoyer devant la mairie du 4e à Paris pour célébrer cette victoire qui nous a coûté si cher.
Que retenir de cette période si particulière dix ans plus tard ? Je pourrai écrire des pages sur la lâcheté de François Hollande qui, le 20 novembre 2012, invoquait « la liberté de conscience » des maires qui refuseraient de célébrer des mariages entre personnes du même sexe. Je pourrais écrire des pages sur le traitement médiatique de cette loi avec des chaines infos qui donnaient une place disproportionnée à la parole des homophobes de la Manif pour tous.
Mais à la place, je vais partager deux évènements personnels qui illustrent toute la violence de cette période. En 2012, j’ai 31 ans et je travaille chez un bailleur social parisien. Tout le monde sait que je suis pédé au bureau et ça ne pose aucun souci. Un matin, en arrivant à la machine à café, j’entends Martine de la compta et Roland le gérant d’immeuble (prénoms modifiés, à peine…) en plein débat sur le mariage pour tous. Je sens une tension. Roland est contre. Il n’a « rien contre les homos » mais pour lui « le PACS c’est suffisant ». Martine est pour mais pense que le mieux serait de faire un référendum. Je ne trouve pas la force de leur expliquer la violence que représente cette scène. Des collègues hétéros, sympas dans la vie quotidienne, débattent de MES droits en tant que citoyen. J’ai envie de crier et de pleurer mais je regagne mon bureau sans broncher et je ravale ma fierté. C’est ça aussi être pédé dans un milieu professionnel à 95 % hétéro. Je suis un citoyen de seconde zone à leurs yeux et ils ne s’en rendent même pas compte.
Pendant l’été 2012, je suis de passage à Miramas, la ville de mon enfance pour voir mon frère et mes neveux. Lui aussi a un avis sur LE sujet dont tout le monde parle : « Le mariage ça me dérange pas, mais les enfants je suis pas d’accord. » Il ne se rend pas compte de la violence de cette phrase pour moi. « Pas d’accord » ? Donc si un jour je décide d’avoir un enfant, il ne fera pas partie de la famille ? Il sera un enfant de seconde zone ? Là aussi, je ne trouve pas la force de confronter mon frère. Je suis en milieu hostile, chez lui entouré de sa famille hétéro, ses amis hétéros, son univers hétéro. Le petit frère pédé doit se taire comme d’habitude et ravaler sa fierté. Je suis un citoyen de seconde zone à leurs yeux ils ne s’en rendent même pas compte.
Avec du recul, je crois que cette frustration et cette colère ont nourri mon militantisme. J’étais un « jeune » séropo à cette époque et je tentais de trouver ma place dans un milieu gay parfois hostile. C’est en devenant militant chez AIDES que j’ai trouvé du sens à toute cette violence que je subissais depuis mon adolescence. Pendant des années j’ai vécu mon homosexualité dans mon coin et dans une grande solitude. En devenant un militant de la lutte contre le sida, à 30 ans, je me suis fait mes premiers potes pédés. Les manifs pour le mariage restent aussi de beaux moments militants. Transpédésgouines et mêmes quelques copines hétéros, on était ensemble, soudés par notre colère et notre détermination. J’avais l’impression de faire partie d’un mouvement. Le 23 avril 2013, place Baudoyer, on chantait, on dansait, on pleurait de joie.
Dix ans plus tard, que reste t-il de ce mouvement ? J’observe une certaine fracture dans la communauté LGBTay. Beaucoup de gays qu’on voyait dans ces manifs ont disparu une fois le droit de se marier obtenu. On ne les voit plus dans les marches pour la PMA pour toutes, dans les marches contre la transphobie, les marches lesbiennes ou la Pride de banlieue. Est-ce que c’est ça aussi la conséquence de se marier et avoir des enfants ? Se dépolitiser et vivre comme des hétéros bourgeois ? Ou bien peut être qu’ils n’étaient juste pas du tout politisés à la base et que le sigle LGBT+ se limite au G pour eux… C’est leur droit après tout d’être égoïstes dans une société tellement individualiste…
Ces derniers temps, de jeunes twinks réacs s’en prennent à nos fetish (« pas de puppies dans nos Pride ») et à nos daddies (« baisez entre vous les vieux »). Chaque jour, l’extrême-droite séduit de plus en plus de gays. Pas une semaine sans voir, sur Twitter, un gay qui bande sur Julien Odoul (et ne voit même pas en quoi c’est problématique). Les applis tuent peu à peu nos bars à cul. Le VIH est toujours là et la sérophobie aussi (« t’es clean ? »). La PrEP a sauvé des vies mais reste encore trop peu déployée (notamment chez gays/bis racisés et/ou nés à l’étranger). Le chemsex gagne du terrain, conséquence, entre autres, d’une solitude exacerbée. De jeunes ados trans, pédés gouines continuent à se faire insulter, harceler et agresser et vont parfois jusqu’à commettre l’irréparable. Nous vivons dans une société qui nous « tolère » sans jamais vraiment nous accepter tels que nous sommes.
En 2023, je me sens toujours comme un citoyen de seconde zone et ma colère est toujours intacte. J’ai 41 ans et avec mon mec (49 ans), on est souvent parmi les plus « vieux » dans certaines manifs dites « radicales » comme la Pride des banlieues. J’observe cette jeunesse militante avec tendresse et admiration. Souvent, ils-elles ont à peine 18 ans. Cette génération a découvert le militantisme sur Snap, Insta et TikTok et manque parfois d’une culture des luttes queer mais ils-elles sont en train d’exploser tous nos codes de genre et de sexualités. Alors certes le fossé se creuse entre cette jeunesse dite « radicale » et une partie des LGBT qui s’embourgeoise et s’hétéronormalise (je sais, c’est pas trop français) mais ça fait un bien fou de voir cette nouvelle génération dans la rue.
J’espère qu’un jour ils-elles ne seront plus considérés-es comme des citoyens-nes de seconde zone.
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