10 ans du mariage pour tous·tes : « On tente de trouver une place là où il n’y en a pas vraiment  »

Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant. 

Cette semaine, Mathi revient sur le mariage comme institution patriarcale… tout en reconnaissant qu’on doit bien faire comme on peut dans cette société.

Ok. Mon avis sur le mariage pour tous est un avis sur le mariage en général au final.

Je vais, avec beaucoup de sans gêne, passer à côté du mariage comme opportunité de faire une fête autour de deux êtres ayant pris la décision de se soutenir mutuellement. Qu’il est beau d’acter la volonté de l’engagement durable. Protéger son.sa conjoint.e de complications administratives, c’est une bonne chose dans le cas où nous vivons toujours avec la nécessité d’être reconnu par l’administration et qu’il est pragmatique de le voir et de le prendre en compte. Inclure tout type de couple dans cette possibilité c’est permettre à toute personne qui a le besoin de s’inscrire dans la société de le faire.

Je pourrais m’arrêter là en fait. Well done. On a le choix. Super.

Mais ce qui est premièrement intéressant, c’est de se demander, comme l’on fait beaucoup de gens à l’époque de la législation du mariage pour tous : « Mais, pourquoi ? »

Pourquoi vouloir entrer dans des cases créées par une société patriarcale ? Pourquoi vouloir être validé par celleux qui enfermaient hier ? Est-ce qu’entrer dans un système oppresseur c’est vraiment se protéger ?

Évidemment, je parle de mon point de vue d’une personne qui a pris la pilule bleu du lesbianisme à 30 ans pour sortir avec fracas d’une vision romantique hétéra binaire bourgeoise d’une vie épanouissante. Je n’ai plus que ma colère comme meilleure compagne.

Je serais bien hypocrite de juger qui que ce soit alors que moi-même je me suis mariée et j’ai fondé une famille et j’ai été bien heureuse de le faire au moment où j’ai posé toutes ces pierres d’une petite maison tranquille. Et au printemps 2013, je dois bien vous dire que j’étais enthousiaste à l’idée que tout en chacun puisse suivre le même chemin que moi, peut importe son.sa partenaire. Je disais comme j’avais si bien retenu « L’amour c’est l’amour, peut importe qui on aime ».

Sauf que quand ça s’est cassé la gueule, j’ai bien fait moins la maligne à croire qu’il y avait un bon chemin et que l’amour c’était l’amour, blablabla. Heureusement, en tombant de ma balançoire végétale, je me suis écrasé le nez dans des livres féministes où j’ai découvert l’eau chaude.

Le mariage est un institution née d’une société patriarcale qui s’appuie entre autre sur l’institution qu’est la « famille nucléaire » par la signature d’un contrat d’engagement. Vouloir se marier, c’est vouloir entrer dans des cases crées par la société pour la société dans le but de gérer administrativement ce qui construit notre intimité. 

Sauf que voilà, en vrai, on fait tous, toutes et toustes comme on peut. On tente de trouver une place là où il n’y en a pas vraiment et on bricole un peu nos réalités pour faire co-exister ce qui pourrait sembler incompatible. 

On se marie pour pouvoir adopter plus facilement et en même temps on se crée des familles hors cadre normatif. On change de prénom, en donnant encore l’ancien à l’assistante sociale, le temps qu’on puisse ne pas devoir argumenter trop avec elle du pronom à utiliser. On vit avec des placards fermés et d’autres ouverts. 

Et voilà le deuxième intérêt. Quand certaines personnes ont demandé à entrer dans un système excluant, ça a créé un séisme chez les anti-diversité qui ont pu crier haut et fort leur effroi d’inclure d’autres schémas que le leur. 

Tout ceci m’amène à mon grand-père. On peut dire que c’est devenu mon exemple préféré d’homophobie. Cet homme est entouré de personnes LGBTQIA+ et à cette époque, en 2013, il n’en savait rien et je pense qu’il aurait préféré ne rien savoir du tout. Garder le vernis sur la table et qu’on lui foute la paix.

Il a découvert l’homosexualité de son frère juste après son décès et il a pensé, non pas à l’enfer de rester dans un placard jusqu’à ses 80 ans, mais à cette impression d’avoir été trahi.

Ben oui, trahi. Genre, un couteau dans le dos. 

À mon coming-out lesbien, il m’a envoyé une lettre très culpabilisante en prétextant un « œil pour œil, dent pour dent ». Bim, tu m’as cassé les dents avec ton lesbianisme,vilaine, tu l’as bien mérité.

Lors du mariage pour tous légiféré en France, c’était le seul à claironner « un mariage c’est un homme et une femme, tout le reste, c’est autre chose. »

Le mariage pour tous, finalement, c’est comme un gros coming out national.

Ça a réveillé le tonton, la tata, la mamie et les parents afin que chacun puisse donner son avis sur la question. Ça a ébranlé les chaumières au plus profond de leurs certitudes.

Ça n’a pas réglé toutes les questions, mais ça a mis les pieds dans le plat.

Car se présenter dans toute sa diversité, dans ses plus beaux habits d’être fourmillant d’une multitude de paradoxes et de pensées complexes, c’est, malgré soi, remettre en question la binarité hégémonique qui garde sous scellée tout un système oppressif et aveugle. 

Regarder l’invisibilisé, c’est de toute façon mieux que de le garder dans son placard encore 80 ans. Même pour un prétexte étrange qu’est le mariage.

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