10 ans du mariage pour tous·tes : « Quand t’es homo, au début, souvent t’es seul. J’ai longtemps été seul. »

Le 17 mai 2023, la loi « ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe » aura dix ans. Cela pourrait être un anniversaire joyeux mais pour beaucoup d’entre nous, ce qu’il s’est passé en 2013 garde parfois un goût amer. À cette occasion, Friction ouvre ses colonnes : car 10 ans après les défilés homophobes, c’est à nos récits d’être mis en avant. 

Cette semaine, Nicolas Petisoff nous offre un extrait de sa pièce, Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot pour le dire ? qui est publiée aux éditions Koinè.

Pendant longtemps, tu crois que c’est le regard des autres qui défini qui tu es, tu t’efforces, bien gentiment, à correspondre à ce que les autres attendent de toi. Alors pour ta maman, t’es un gentil petit garçon, bien mignon tout plein. Papa est fier que tu adores le bricolage et la pêche. Et puis après, pour les copains, t’es le rigolo de la bande. T’es le mec bien, un peu sensible mais c’est pas grave. Ça donne l’impression au meilleur copain qu’il est un peu ton sauveur. Et puis plus grand, t’es le mec qui va toujours bien. Le mec qui rend service. Le gars sympa que tout le monde aime bien.

Mais ce que personne n’a vu de moi avant que je ne le dise, c’est que je ne suis rien de tout ça. Cette belle image de moi n’est pas du tout la bonne. Ce que les gens n’ont pas vu, ce qu’ils n’ont pas su, trop occupés par leurs propres vies, je ne leur en veux pas, c’est que j’étais un rat.

Oui un rat ! C’est vrai.

Quand il n’y a que des mots moches, des mots qui piquent et qui grattent pour dire ton désir, ta baise elle est à l’image de ces mots-là.

Je sortais la nuit pour récolter les miettes et les déchets laissés là par l’amour. Comme un rat. J’allais me blottir et assouvir mes pulsions dans la nuit, dans les endroits sombres, et ça sentait mauvais. Les visages étaient confondus dans la noirceur de la honte. Comme les rats. Je vivais mes désirs dans des lieux de dragues sordides. Les rats vivent et baisent dans un trou à rat. Moi, la tapette du village, c’est dans mon trou à rat que j’ai appris l’amour, l’acte d’amour, le contact d’un corps qui a les mêmes attributs que moi.

J’ai avalé mes premières queues dans des buissons. J’ai éprouvé mes premières caresses dans des cabines de poids lourds polonais. J’ai jouis au bord du vertige en râlant comme un ours dans les labyrinthes sombres des sex clubs parisiens. Les haleines d’alcool dans le cou, les corps à peine visibles, les visages dissimulés, tout dans la pénombre. Il n’y a pas de prénom. C’est comme ça que j’ai découvert qui je suis, dans les odeurs de corps trop fortes et dans les bouches aux dents mal lavées.

Et pendant ce temps là, pendant que tu continuais à te battre contre les stéréotypes de genre bien ancrés au plus profond des cervelles déjà façonnées par maman, papa et l’école, en même temps que tu poussais des coudes pour faire admettre ta vérité, y’a tous les bien coiffés de la Manif pour tous, ceux qui aiment du bon côté du désir, ceux dont les sexes se dirigent vers le bon tunnel et celles qui n’ouvrent les cuisses que pour pondre, neuf mois après l’acte, des ribambelles d’enfants parfaits, tous, ils descendaient dans la rue et défilaient pour remettre en cause ton droit d’exister. Personne ne l’a vue venir celle là. Et ils en ont mis de l’énergie à vouloir faire de nous des hors-la-vie, des hors-la-loi, la loi de leur Dieu qui n’existe même pas en plus. Pour gueuler contre la réforme des retraites, contre le passage en force de la loi sécurité globale, contre la politique d’exclusion des sans-papiers, y’a plus personne. Mais là, ils étaient là, horrifiés par cette loi Taubira, qui pourtant ouvre les libertés et ne retire rien, à personne. Et à cause d’eux, bientôt faudra mentionner sur sa carte d’identité comment on baise pour pouvoir rentrer dans un isoloir et avoir le droit de voter. C’est ça?

Et on me dit, vous me dites, tous les jours que ça va mieux. Que c’est moins pire qu’avant. Que les choses avancent quand même un peu. Mais c’est horrible. C’est vrai quoi. Y’a quand même des camps de concentration qui existent dans le monde, juste pour les pédés qui sont dénoncés à l’État par leurs familles. Y’a des endroits de la planète où on te jette du haut d’un immeuble parce que ton désir n’est pas au bon endroit. On en parle de Ludovic et Johny à côté de Lille, ils sont presque morts brûlés vifs à cause de leur amour qui ne plaisait pas. Et encore, très récemment, Lucas s’est donné la mort à force de se faire traiter de pédé à l’école. Il avait treize ans putain !

Plus la liberté grandit, plus la haine est visible et décomplexée. Ça fout la trouille. Le mieux c’est l’ennemi du bien, je me fous du mieux moi. Je veux juste que ça soit plus un problème. Je voudrais qu’on n’ai plus besoin d’en parler. Je veux juste que ça soit bien!

Je suis fait de cellules de moi-même éparpillées puis recollées ensemble n’importe-comment, parce qu’il faut bien avoir l’apparence d’un corps. Je ne suis qu’un amas de cellules terrorisées.

Pourquoi c’est obligé le coming-out homo ? Les hétéros, ils ont besoin, eux, d’expliquer à leur parents comment il font l’amour pour être légitime dans leur droit de vivre ?

J’aime. Oui, j’aime les garçons. Et alors ? Qu’est-ce qu’on s’en tape de qui j’aime ? Ça regarde qui ? Ça empêche qui de vivre à part moi ? Ma place dans la société se mesure au nombre de centimètres que je me prends dans le cul ? Non mais sérieux !

Aimer c’est pas pareil pour tout le monde. On est pas tous égaux en droit amoureux. Quand t’es homo, au début, souvent t’es seul. J’ai longtemps été seul.

Et puis il y a eu ce concert où des potes m’avaient traîné. Il était là, il s’appelait Marin. Je l’ai tout de suite trouvé très beau, très à mon goût en tout cas. Il avait toute la panoplie, la barbe, les biceps, les tatouages. Même pas peur. Un regard franc. Les yeux droit dans les yeux. Pour la première fois j’ai su. Même pas peur. Nos coeurs battent à la même pulsation. Le sang court au même rythme. Les torses se soulèvent en même temps pour respirer. Même pas peur. J’ai tenté le coup. J’ai osé le rapprochement. La parcelle de peau s’est frottée. Et la peau de Marin a répondu. Les bouches se sont rapprochées et les langues ont été aspirées. Et tout le reste…

Je crois que c’est là que la vie a commencé. Personne ne m’a cassé la gueule.

Lisez les autres textes sur le Mariage pour tous·tes :  
Pour Christophe Martet « La fierté est toujours là, mais elle en a pris un coup »
Arnaud et la rencontre de l'homophobie
« J’avais quinze ans quand j’ai réalisé que mon pays me détestait »
« Tu es de leur côté Claire »
« La possibilité d'un bonheur »